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La bêtise humaine

par Mohammed Beghdad

Il ne se passe pas un jour sans que des familles entières ne soient décimées ou endeuillées par les accidents de la circulation qui ne cessent de nous frapper durement en dépit du nouveau code de la route.

 Sans un profond travail de prévention et d'éducation surtout auprès de nos jeunes conducteurs, en plus de l'acquisition stricte du permis de conduire accompagné de tests psychologiques sur les futurs candidats, on continuera à pleurer les morts de la bêtise humaine. La répression n'est sans doute pas la seule solution idéale, il faut beaucoup plus un réel travail de formation et de proximité. Des erreurs volontaires ou insoucieuses de quelques secondes vont laisser des traces insurmontables pour les petits orphelins laissés par les défunts. Le dernier accident en date qui a lieu s'est déroulé le vendredi 9 avril dernier du côté de Bethioua, a causé 5 morts et fait plusieurs blessés dans un carambolage incroyable entre 4 véhicules.

 J'étais ce jour-là en visite familiale à Relizane lorsque l'épouvantable nouvelle est arrivée brusquement tel un couperet vers les coups de midi. Elle s'est propagée à la célérité de la traînée de poudre juste à la sortie des fidèles de la prière du vendredi. Cette fois-ci, la bévue humaine a aussi frappé fortement, de plein fouet 2 familles de la ville, en leur arrachant 2 de leurs membres. L'information était sur toutes les lèvres. On s'est lassé à compter le nombre total des morts et des handicapés, en nette croissance durant les dernières années. Nous sommes presque paralysés et terrorisés devant cette bête immonde à chaque fois que le désastre nous emporte. Citez-moi une seule famille qui n'a pas été touchée ainsi dans sa chair par la disparition d'un proche parent ?

 Dans la ville, les gens accouraient de partout vers les domiciles, tantôt chez les Osmane, tantôt chez les Gacem pour présenter les condoléances et se solidariser en ces moments douloureux. Toute la ville était choquée par ce drame de la fatalité. Les deux éprouvées familles ne sont pas près d'oublier de sitôt, pas avant très longtemps, ce déchirement à chaque fois qu'ils se mettront en face des prunelles des yeux des regrettés.

 Le lendemain, une foule dense et immense se joignait aux 2 cortèges funèbres en accompagnant dignement les disparus jusqu'à leur dernière demeure.           Les lieux de l'enterrement étaient pleins à craquer, noirs de monde, tellement le bouleversement était profond. Plusieurs imams étaient aux avant-postes de la prière sur les morts.     Une très forte émotion régnait au cimetière de Sidi Abdelkader où les enfants de la ville n'ont que ce lieu pour se retrouver nostalgiquement et se lamenter sur la dégradation de la vie d'antan. Beaucoup de personnes sont venues de loin pour assister à la mise en terre des déplorés. Elles se sont déplacées à Relizane pour témoigner leur sympathie et leur compassion aux familles.

 Les victimes représentaient également la famille du judo relizanais au niveau national et ne rataient aucun événement sportif régional ou national sauf imprévus. Ils assuraient fidèlement la relève en compagnie du désormais orphelin Laraba Benaouda qui ne s'est pas déplacé ce jour-là avec ses amis pour inconvenances familiales malgré les incitations de ses feus camarades comme il le tenait à me l'affirmer d'un air complètement traumatisé. Les regrettés Gacem Kader et Osmane Amine étaient inséparables depuis leurs jeunes enfances. Ils faisaient partie de cette sincère et inestimable famille du judo de la ville. Ils ont remplacé à merveille les précurseurs de la discipline que sont les légendaires Touahria et les Mokhfi, actuellement retraités. Dieu a voulu que Amine et Kader soient partis ensemble dans l'au-delà, à la fleur de l'âge sans parachever tous leurs projets.

 Ils allaient justement en ce jour de repos vers Oran pour assister à une compétition sportive de judo accompagnés de leurs tout jeunes judokas. Mais en cette matinée, la faucheuse les attendait sur leur chemin. C'est le maktoub comme on le dit à pareille occasion pour se soumettre à la volonté divine. Il faut du temps et de l'inspiration pour analyser ce fléau qui lamine le pays. Le moment n'est pas aujourd'hui fortuit, il est à la prière et au recueillement sur nos morts. Tant qu'on n'a pas remédié à ce mal qui nous ronge dans nos entrailles, la route continuera à saigner et à anéantir les familles. La scène vécue ce week-end à Relizane est identique à celles que vivent chaque jour les coins les plus reculés du pays.

 A la fin, je retiendrais cette image insoutenable et symbolique des pères des disparus Hadj Cheikh et Hadj Habib, tombés l'un dans les bras de l'autre juste après la fin des enterrements de leurs enfants, entourés des siens et des présents. Ils venaient de mettre à jamais sous terre leur foie comme on le dit si bien dans l'un de nos édifiants adages populaires. Des sanglots interminables à chaudes larmes parachevaient le portrait émouvant. Une image qui restera à jamais gravée dans nos mémoires. Que Dieu nous portera secours pour apaiser leur souffrance et soulager nos peines.

Enfin, j'espère que leur ville ne les oubliera pas une fois les larmes asséchées en leur rendant un hommage lorsque l'occasion s'y prêtera. Toutes les initiatives sont opportunes pour instaurer et perpétuer les traditions.

 Adieu Kader, adieu Amine. Reposez-vous en paix.