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On a tort de croire que le frein d'une société est sa religion

par Baghli Abdelouahab*

La religion est un besoin humain, la moitié de l'humanité a besoin d'une religion pour vivre. Il faut bien qu'il y ait une morale au niveau de chaque pays. Une vie essentiellement matérialiste est une vie sans âme, pas plus qu'une vie essentiellement spirituelle ne peut être concevable.

Il faut qu'il y ait une représentativité à proportion égale entre ces deux éléments dans la vie. On accuse le monde de retard, en pointant du doigt la religion. Il lui est reprochée d'être à l'origine de tous les atermoiements sociaux, économiques, politiques... Elle reste enclavée, dit-on, dans des positions sclérosées, moyenâgeuses et entrave toutes les initiatives qui préconisent l'ouverture sur un monde qui évolue sans cesse.

 Elle est accusée de ne pas être au rendez-vous avec la modernité, de s'opposer à la bonne gouvernance. Cette allégation est actuellement réservée à la religion musulmane, les pays occidentaux ayant fait leur mue. Une approche pour la compréhension de l'influence de cet élément sur la vie quotidienne, est la comparaison de la pratique de la religion dans les pays occidentaux par rapport aux pays musulmans.

 La religion chrétienne, de mèche avec le pouvoir a été considérée en tout point de vue bien plus obscurantiste, accusée d'empêcher toute initiative, maintenant en otage les institutions de l'Etat et la population par des interprétations arriérées, refoulant la pensée, les libertés et les sciences. Ou du moins c'est la description de la religion chrétienne jusqu'à la fin du Moyen Age. C'est ce qui fait que la religion chrétienne sera de plus en plus exclue du champ politique. La révolution française de 1789 mettra fin non seulement à l'immixtion de la religion dans les affaires de l'Etat mais également au pouvoir politique absolu. C'est la séparation de l'Eglise et de l'Etat principe qui sera appliqué à l'ensemble du monde occidental. Ici, le cycle khaldounien pour la prise du pouvoir n'aura pas lieu, car l'évolution politique du pouvoir représentée par la participation populaire s'est faite très tôt, petit à petit certes, mais sûrement.  

L'islam au contraire est une religion plus éclairée, religion des sciences et de la législation (le droit positif napoléonien n'est-il pas inspiré de la chariaâ). Elle s'est adaptée mieux par exemple aux problèmes sociaux et à ceux de gouvernance. Notre religion est au contraire de la religion chrétienne d'essence pragmatique et elle peut contribuer à promouvoir à la création d'un Etat juste, équilibré. L'islam peut s'adapter à tous les temps et est à ce titre une religion des temps modernes. L'islam peut être considéré si l'on revient à l'époque de sa révélation, c'est-à-dire quatorze siècles en arrière, comme une révolution civilisationnelle, digne des revendications d'un parti politique avant-gardiste actuel.

Promotionnelle et d'essence pédagogique, la religion musulmane:

- a contribué à:

- libérer l'homme,

- libérer la femme en lui accordant un statut social digne, considérée jusque-là par les autres religions comme un être inférieur,

- promouvoir les libertés intellectuelles,

- recommander l'acquisition des sciences,

- recommander la choura, parmi les gens de connaissances, c'est le principe même du régime parlementaire et de la démocratie

- mettre en place une législation.

- a exigé de:

- recourir à l'ijtihad pour chaque question qui n'a pas été discuté du temps du prophète (qsdsl), avec pour réflexion de base «que Dieu vous veut du bien et non du mal»,

- en annonçant qu'à chaque nouveau siècle, un savant qui apparaîtra « et qui solutionnera vos litiges».       Le savant dans la religion musulmane est l'héritier du prophète (qsdsl). Ceci prouve que la religion n'a pas pour finalité de maintenir à l'état de sclérose la situation du monde musulman ; qu'elle est évolutive. C'est le principe même du discours-action cher aux pays anglo-saxons. L'islam est au monde musulman, ce que la révolution de 1789 a été pour l'Occident mais une avance de plus de onze siècle.

A décrire ainsi la religion musulmane, on conclut que celle-ci doit être un moteur et non un frein pour l'évolution du monde arabo-musulman.

 Qu'est-ce qui se passe alors dans le monde musulman, dans la contrée de la religion de l'équité «din el ouassate» ?

Nous subissons à ce jour le cycle khaldounien pour la conquête du pouvoir:

- une révolution éclate après qu'un régime autoritaire dénie le peuple,

- les nouveaux parvenus au pouvoir après renversement se montrent cléments avec le peuple qui les a aidé à emporter la victoire,

- à nouveau s'enclenchent lors des descendances royales ultérieures, l'étranglement des libertés et l'absence de la distribution des richesses confisquées au profit d'une oligarchie,

- la séparation entre gouverneurs et gouvernés devient irréversible ; puis de nouveau le divorce éclate suivi d'une révolution pour mettre un terme au pouvoir despote.

 Cette théorie restera valable jusqu'au XIXème siècle. Depuis les choses ont changé politiquement pour le monde arabe. En effet, deux phénomènes vont apparaître et se tétaniser:

1°) invasion du monde arabe par l'Europe, qui devient colonisé, sous occupation occidentale,

2°) mise en place du traité de Sice-Picot en 1912 par l'Angleterre et par le lobby juif qui ont décidé:

a) la liquidation de la nation musulmane, dont l'exécuteur sera Mustapha Kamel Attaturk en procédant à l'annulation du khalifat ottoman. La régionalisation de la nation musulmane était considérée comme dangereuse, car pouvant être réactivée à tout moment sous la férule de personnalités engagées. La fédération des Etats d'Amérique du Nord n'a-t-elle pas contribué à hisser les USA au rang de première puissance du monde ? L'Europe a compris l'importance de ce regroupement régional et va en faire son cheval de bataille pour pouvoir assurer sa souveraineté et son développement économique.

b) Lawrence d'Arabie, épris soudain d'un amour pour les Arabes, promet de les décoloniser du joug turc.          Il a joué à ce titre un rôle prépondérant dans cette stratégie oeuvrant pour la parcellisation de la nation.    Il va exécuter la fragmentation de la nation musulmane en «royaumes» d'après un quadrillage réducteur où les rois étaient installés et maintenus au trône, en exigeant d'eux en contrepartie une politique répressive envers leur peuple, dotés pour ce faire d'une police et d'une armée recrutées pour mater les peuples, pour les empêcher de s'émanciper, d'évoluer...

 Après les décolonisations, des leaders du monde arabe ont fait leur apparition tels que Gamel A.Nacer, Saddam Hussein, Hafed El Assad, Houari Boumediene..., si les pays ont été libérés des tutelles étrangères, leurs présidents se sont comportés malheureusement comme leurs prédécesseurs les monarques arabes des temps anciens ou comme les colonisateurs. Ils ont dirigé d'une manière autoritaire le pays, en imposant un régime qu'ils croyaient certainement salvateur, mais confisquaient les libertés et marginalisaient les peuples de la décision. Les résultats ont été d'ailleurs décevants. Il est vrai que les révolutions, hélas, confisquent les libertés. On aurait gagné beaucoup si ces chefs étaient plus près de leur peuple et s'ils ont instauré une consultation populaire, un vrai projet de société conforme à nos aspirations, une véritable démocratie et une constitution adaptée à la modernité. Ils auraient amorcé une ouverture éclairée, qui nous aurait épargné le chaos dans lequel se démènent nos peuples.

Avec la fin de ces «géants» morts soit d'une mort naturelle, soit assassinés, le lobby sioniste entend mettre la main sur tous les chefs d'Etat des pays musulmans en plaçant autant que possible des «Hamid Karzaï» un peu partout (réactivation du traité Sice-Picot). En réalité, c'est bien le politique qui freine tout développement sociétal. C'est lui qui possède les commandes en matière d'organisation, de législation, de décisions..., c'est lui qui détient et commande la police, l'armée et tous les services de répression et de rétorsion. Lorsque les révolutionnaires français ont décidé de mettre fin à l'ingérence religieuse dans les affaires de l'Etat, ils ont réussi. De même, lorsque le président Houari Boumediene a décidé d'écarter des affaires de l'Etat, aussi bien «Djamiat el ouléma» que les zouis, il l'a fait, rien ne s'est passé, rien non plus n'a changé dans le panorama de la vie quotidienne. Obscurantiste ou éclairée, la religion n'a pas les pouvoirs que possède l'Etat. Le dernier mot revient aux autorités politiques.

 Il y a quelques points de litige que les religieux voudraient bien parrainer (nuits du doute, intérêts bancaires, week-end...), mais ils ne peuvent en aucun ni s'imposer ni influencer sur la décision de l'Etat. Lorsque l'Etat fort décide et met en avant les intérêts de la nation, dûment justifiés, aucune institution ne pourra se mettre en travers, bien au contraire tout le monde sera d'accord pour y participer. Que peut faire un imam ou même une institution religieuse lorsque l'Etat décide. Combien de têtes ont été coupées pour un avis contraire.

 Le pouvoir a toute latitude de prendre la décision qui s'impose. On aimerait bien que l'Etat soit capable de trancher.

 Evidemment la seule possibilité qu'avait le peuple pour exprimer son mécontentement, se faisait par le biais de la religion qui accordait à la fois la légitimité du combat, le discours révolutionnaire et la possibilité de sensibilisation et de rassemblement.

 La religion comme d'ailleurs les institutions religieuses ont joué, il est vrai à défaut de représentativité civile autorisée, les pôles d'attraction aux hommes politiques qui voulaient se débarrasser de l'oligarchie dominante en attirant vers eux le peuple opprimé. Les institutions religieuses (zouis, mosquées...) ont été utilisées, à défaut d'autre tribune d'expression, par des chefs politiques pour mener leur lutte. Mais celles-ci ne sont pas préparées pour les combats: la mosquée demeure le temple de la pratique quotidienne des prières, avec un discours religieux, canonisé, hebdomadaire ; au niveau des zouis, une doctrine soufi est enseignée axée sur la vie spirituelle (amour, charité, altruisme...) donc à l'antipode de l'esprit guerrier.

Les pouvoirs actuels mémorisant comme éléments dangereux les institutions religieuses tentent soit de les embrigader, soit de les contrôler en leur offrant des avantages.

- A tort, car ce qui était valable il y a quelques siècles ne l'est plus actuellement. En comparant la force de l'Etat à celle des zouis, l'affrontement n'est plus possible. L'action revendicative de ces zouis, même bien armées, n'a plus la même force. Elles n'ont plus la capacité de renverser un pouvoir en place. A partir du XIXème siècle, le recours à cette forme de prise du pouvoir n'est plus possible. En effet, en Algérie par exemple comme d'ailleurs au niveau des autres pays arabes, les tribus se sont substituées à l'Etat absent et ont assuré contre l'invasion coloniale, la résistance au nom de la religion. Malheureusement elles n'ont pas réussi, même lorsqu'elles se sont étendues à plusieurs régions, et même lorsqu'elles ont été «unifiées» représentant tout le pays sous la férule de l'Emir A.Kader.

La disproportion lors de l'affrontement en armes et en nombre entre les corps belligérants en présence était si importante que malgré leur détermination les révoltés se faisaient écraser. Récemment la révolte au Nigeria menée par des «talibans» a coûté la vie à plus d'une centaine de personnes inutilement.

 De toute façon, ces zouis avaient répondu à l'appel de la guerre sainte, parce que l'adversaire était un non musulman, un apostat. On ne verra pas cet élan guerrier par exemple lors de la régence ottomane. Cela prouve que l'esprit guerrier n'est pas un qualificatif des zouis à moins qu'elles ne soient sollicitées. C'est dire que la révolte des zouis relève d'une vision archaïque. Elles peuvent à tout casser prêcher une théorie subversive, mais sans déstabiliser l'Etat.

A l'inverse, c'est un parti politique islamique, national, agréé au même titre que les autres partis:

- Qui peut s'imposer lors des compétitions électorales et prétendre à la majorité en raflant des sièges au niveau des structures éligibles, comme ça a été le cas du FIS en 1992, et peut même devenir le patron d'un pays à cause de la déception populaire.

- Mais qui ne peut, vaine prétention, pouvoir conquérir le pouvoir par les armes (GIA, AIS en Algérie, Talibans en Afghanistan ou au Nigeria...).

 D'ailleurs ces groupes armés présents un peu partout dans le monde arabo-musulman sont des ramifications de la «Qaïda» qui est un instrument de la CIA et du lobby sioniste, créé et entretenu pour déstabiliser et anéantir le croissant vert. Ces groupes armés à l'intérieur des pays arabes n'auraient jamais vu le jour si la «Qaïda» n'existait pas.

 Ce qu'il faut c'est un pouvoir modéré et des institutions religieuses modérées. Un pouvoir modéré n'engendrera jamais des mouvements extrémistes. Dans les époques modernes, les partis politiques doivent remplacer les mouvements religieux utilisés par les temps passés. C'est par une pratique légitime de représentativité du peuple que celui-ci pourra éluder son mécontentement. Le parti rassemble les citoyens autour d'un programme. Il doit servir de contre-pouvoir et doit veiller sur la gestion du pouvoir. Il dénonce les failles et les erreurs du pouvoir qui doit se corriger en permanence. Un vrai pouvoir s'édifie à l'ombre de partis politiques forts. A la fin d'un mandat, le peuple peut renouveler sa confiance au pouvoir en place, comme il peut la lui retirer. Et ainsi par le jeu d'élections libres, le pouvoir se renouvelle et se ressource en assurant la stabilité politique. Le pouvoir en place se voit ou non réitéré la confiance qui lui a été accordée antérieurement par le peuple, sans recourir à la force ni à la fraude. La vraie force d'un Etat, donc sa stabilité, est testée par la continuité sanctionnée par la transparence des urnes dans l'alternance du pouvoir.

Malheureusement, les partis politiques dans le monde musulman sont domestiqués, tenus en laisse, car en plus des avantages dont on fait bénéficier leur groupe dominant, on les gratifie par des quotas de sièges au niveau des différentes assemblées élues. Ils ne sont malheureusement ni le siège de débats d'idées, ni celui de la promotion pour ses cadres et ses vrais militants, motifs de leur adhésion. Ils ont perdu leur unique raison d'exister, celle de représenter le peuple.

 Il ne reste plus qu'une seule alternative aux peuples qui n'ont pas une réelle représentativité partisane, c'est la fronde populaire, drainée soit par des tendances extrémistes (manipulation de la «Qaïda»), ou par un soulèvement spontané généralisé, incontrôlable. Le cycle khaldounien restera d'actualité tant que les politiques ne pensent qu'à eux-mêmes en constituant une oligarchie et en s'acharnant à bloquer l'émancipation de la représentation populaire. En fait, les pouvoirs des dirigeants musulmans n'ont pas évolué, ils sont restés bloqués, égaux à eux-mêmes des siècles durant. C'est ce qui explique la récession du monde musulman. Celle-ci a été amorcée à partir du XIème siècle. L'Andalousie n'a pas échappé des mains des musulmans victime d'une interprétation religieuse rigoriste, ou en se laissant bercer par les épopées fastes et fêtardes nostalgiques de l'époque des milles et un nuits, mais bien d'une pratique politique autarcique maintenue au profit d'une classe dirigeante excluant la liberté et le partage des pouvoirs.

 La déchéance de la civilisation musulmane au niveau de la péninsule Ibérique est bien le résultat d'un affrontement entre deux pratiques politiques qui se distanciaient l'une par rapport à l'autre et ce n'était que le début de l'écart. La faille a été mise en évidence au niveau de ce point de cohabitation.



· Membre de l'Instance exécutive du FLN, Ex-député