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Propos sociologiques sur le progrès technique : Appuyer les innovations paysannes

par Mohamed Khiati*

«Technique: un de ces nombreux mots dont l'histoire n'a pas été faite. Histoire des techniques: une de ces nombreuses disciplines qui sont tout à créer ou presque. Les Annales n'ont pas la prétention aujourd'hui, ni d'imposer l'histoire du mot, ni de suppléer hâtivement à quelques-unes de nos plus criantes ignorances des choses.

Elles se proposent simplement d'amener leurs lecteurs, les jeunes surtout, à réfléchir sur un ensemble de problèmes que l'histoire néglige avec beaucoup trop de sérénité » C'est par ces mots pleins de sens et de significations que Lucien FEBVRE entama sa réflexion sur un sujet consacré à l'histoire des techniques dans un article paru dans les Annales d'Histoire Economique et Sociale datant du 30 novembre 1935.

 Aujourd'hui, 74 ans après, ce postulat d'ignorance n'a malheureusement pas tellement changé. L'histoire des techniques n'a pas été faite ou du moins n'a pas été sérieusement examinée. En Agriculture, l'histoire de l'évolution des techniques ou l'histoire des techniques agronomiques n'a jamais ou presque jamais fait l'objet d'examen et d'études par les chercheurs?. agronomes ou sociologues, mis a part certaines tentatives qui restent toutefois, isolées et sporadiques inscrites dans un cadre général et générique, appelé communément « valorisation des acquis ».

 Dans cet essai, nous n'avons nullement la prétention d'aborder l'histoire des techniques agricoles qui, elles-mêmes sont en vertigineuse ascension à l'échelle mondiale depuis l'avènement de la révolution verte enclenchée au milieu du siècle dernier (1950), mais aborder la notion de diffusion des techniques et des innovations propres à instaurer le progrès technique dont lequel, les paysans, faut-il le reconnaître, ont joué, au cours de l'histoire, un rôle prépondérant.

 A travers cet essai, nous tenterons de cerner quelques uns des contours de la problématique de la diffusion des innovations et de soumettre le sujet à réflexion pour pouvoir se consacrer à l'étude d'une approche globale technique et sociologique qui permettrait, préjugeons-en, aux agriculteurs de nouer des liens durables avec les agronomes en tant que diffuseurs du progrès technique agricole et partant, établir des réseaux permanents entre eux, susceptibles de favoriser l'essor, l'élan et le développement agricole et rural dans une arène où s'entrecroisent, les savoirs empiriques (les savoirs locaux) et les savoirs modernes.

En la matière, rares sont les études, mis à part certaines tentatives, consacrées à la sociologie rurale et à l'histoire des techniques dans le milieu rural, un milieu sociologiquement parlant, aussi hostile que prometteur pour l'avenir des pays. Le processus de transfert de technologie et les systèmes de vulgarisation opérés généralement selon un modèle de «Patch Work» pour promouvoir le monde rural, constituent certes, des références viables, mais demeurent loin de savoir, dans le détail, la logique paysanne.

 Tout d'abord, parler de la diffusion du progrès technique en milieu rural, cela renvoie à décortiquer dans «leurs entrailles » les notions de transfert de technologies et celles de la vulgarisation agricole. A ce sujet, bien que les deux notions aient des caractères communs, elles divergent dans leur contenu. La différence est « qu'on a parfois tendance à identifier les termes de vulgarisation agricole au transfert de technologie, ce qui est une erreur, En effet, le terme « transfert de technologie» recouvre également les questions d'approvisionnement en facteurs de production et de responsabilité des services agricoles, alors que la vulgarisation agricole doit enseigner aux exploitants les méthodes de leurs applications ».

 Aujourd'hui, la tendance procède de la diffusion du progrès technique à telle enseigne que tout le monde est unanime à dire qu'à travers les processus de communication et de vulgarisation, on tend à diffuser le savoir et les connaissances modernes en direction des populations rurales, à favoriser chez elles le transfert de technologies : un terme de plein sens pour les technocrates chargés du développement agricole et rural. Les chercheurs en font leur pain quotidien; les vulgarisateurs en assurent l'application : les agriculteurs, quant à eux, faut-il le souligner, sans précaution oratoire, subissent souvent «l'injonction » sans trop se soucier d'appliquer les recommandations car, se sentant non concernés parce que souvent, non associés, estiment-ils.

 Ainsi, faute d'imagination et de conceptualisation d'une stratégie de «linkage » entre chercheurs, vulgarisateurs et agriculteurs qui devraient s'associer pour un même but de progrès, le résultat ne serait qu'un leurre et il n'y a pas là, assez à espérer à un succès de progrès technique fulgurant, lorsque les agriculteurs restreints à leurs réseaux internes, ne sont pas partie prenante de ce processus qui les concerne en premier chef. Ce qui suggère, disons le, à la profession, une pleine intégration pour s'impliquer davantage dans l'animation du monde rural. Il est entendu par profession, les organisations et les associations agricoles et rurales ou/et plus particulièrement, les chambres d'agriculture.

 Pour beaucoup, la vulgarisation consiste en un processus de diffusion des innovations techniques à destination des agriculteurs en vue de les appliquer pour leur procurer rendements et partant revenus agissant, en bout de chaîne, sur l'amélioration de leur niveau de vie.

 Dans ce contexte, d'énormes investissements à la fois sur fonds propres et sur fonds extérieurs ont été consentis en faveur de la promotion de la vulgarisation et de l'appui technique, de telle sorte qu'on a vu, au cours de nombreuses années se multiplier les projets de vulgarisation et se mettre en place des organismes de recherche et de développement agricole (stations de recherche et de développement, institutions spécialisées de vulgarisation?) établis généralement sur une base régionale, réalisant ainsi un « quadrillage «presque total des zones rurales. Mais, ce que l'on a constaté par le passé est que non seulement ces différents projets n'ont pas abouti à une amélioration durable de la production et de la productivité agricoles, mais que bien souvent, ils ont conduit à un « traumatisme de comportement « chez les populations concernées et que l'on s'est retrouvé en fin de projet dans une situation pire que celle qui existait avant la mise en œuvre du projet au point qu'on arrive à se demander, parfois, s'il n'y pas une corrélation inversement proportionnelle entre l'importance des sommes investies et les résultats effectivement obtenus. Cela devrait à mon sens constituer en lui-même, un axe de recherche en matière d'économie ou de sociologie rurale, pour lequel le monde scientifique devra sérieusement s'y pencher.

 Alors, une chose paraît aujourd'hui certaine à la lumière des expériences passées « rien ne servirait d'investir davantage dans les entreprises d'assistance technique, dans sa vision globale, si on ne commence pas par changer les méthodes ? et que toute reconversion doit tout d'abord viser la reconversion des esprits- qui eux, font appliquer les méthodes, c'est dire que la performance première est celle que recèle l'homme en lui, en premier chef - (fort heureusement que celles-ci sont actuellement en train de changer graduellement. Le sens de conscience pleinement ressenti aujourd'hui, tant au niveau des pouvoirs publics que la société civile pour la promotion de l'agriculture et de son soubassement le développement rural, offre cette opportunité de changement, d'autant plus que toutes les approches envisagées -me semblent être- basées sur la participation et donc fondées sur certains principes de rentabilité économique, d'acceptabilité sociale et de durabilité écologique, dans la mise en œuvre des programmes de développement engagés. Dès lors, le développement démocratique prend son entière signification.

Aussitôt, un virage important devrait s'opérer en matière de développement agricole et rural, qui présage d'un avenir de pleine mesure. Aussi dans cette approche, les jalons d'une agriculture moderne apte a affronter les défis de la sécurité alimentaire du pays, semblent aujourd'hui, être réunis, mais qui appellent néanmoins, une consolidation et une poursuite des efforts avec toutefois, une « modélisation » sur le plan de l'intégration agriculture-industrie et les systèmes d'appoint à l'agriculture (ressources en eau, système de connaissance : recherche-formation et vulgarisation et autres mesures juridiques et d'intendance; les ressources humaines devront y être pleinement engagées, car faut-il se convaincre que l'homme est au centre du développement et que par ailleurs, nous devons y être pleinement impliqués dans la mesure où le développement est une affaire de tous et donc une affaire de la nation toute entière et non seulement celle des gouvernements et des pouvoirs publics. Notre devenir est dès lors, entre nos mains et l'agriculture est un trésor d'avenir.

 Il faut cependant se convaincre que l'agriculture ne se pratique pas en vase clos, dont les éléments endogènes sont les variables de commande, mais fait appel à une action multisectorielle qui en gros, favorise son essor, au moment où la modalisation accrue du commerce agricole, les négociations avec l'OMC, les accords d'association avec l'UE, la baisse des ressources en sol et en eau suite à une urbanisation féroce, à une dégradation et une sécheresse qui pourrait sévir, la diminution des aides agricoles, la mise à niveau pour s'insérer au marché international demeurent autant de défis à relever pour l'agriculture algérienne au cours des années a venir. Ici, arrêtons- nous, un laps de temps pour dire, sans ambages aucun- vérifiable néanmoins sur des bases scientifiques- que le recentrage opéré tout dernièrement, traduit par la mise en œuvre de la politique de renouveau de l'économie agricole et du renouveau rural, fortement appuyé par les hautes autorités du pays, par S/E Monsieur le Président de la République en l'occurrence, présage d'une orientation vers la prospérité de l'agriculture au cours des années à venir. Ses jalons ont été annoncés au cours de la Conférence nationale sur l'agriculture, tenue à Biskra en février 2009.

 Cela est d'autant plus confirmé scientifiquement dans la mesure où la stratégie adoptée se base, notons le, sur une vision (c'est-à-dire des objectifs clairs) et d'une action (mise en œuvre effective des programmes et actions) et donc un cadre logique d'intervention, assorti de système de suivi évaluation et de contrôle permanent sur le plan de l'encadrement technique, économique et financier qui ne laisse nullement une marge de dérapage de toute nature vécue dans un passé récent.

 Aussi, cette tendance de promotion graduelle de l'agriculture dont les contours demeurent, avouons-le, en somme satisfaisants est relayée par la promotion rurale qui devrait, sans nul doute, donner un souffle et un essor particulier au développement des zones rurales et à la promotion des populations qui y vivent - ce qui nous laisse imaginer en définitive que d'un mal passé pourrait sortir un bien récent, si la réduction des ressources disponibles conduirait à approfondir la réflexion sur les causes des échecs passés et les conditions à réunir pour promouvoir un réel développement agricole et un développement rural harmonieux dont la société se sent concernée. Ce faisant, voyons donc quelques uns des agrégats de l'échec, enregistrés par le passé, dans la conduite des politiques agricoles des décennies durant- notamment dans son volet encadrement-, que, croyons-nous, constituer la preuve probante des insuccès constatés et qui ont marqué les étapes d'évolution de l'agriculture algérienne.

 - L'une des raisons qui parait devoir expliquer, croyons-nous, cette tendance à l'échec est l'insuffisante préparation des agronomes à comprendre les sociétés rurales auxquelles, s'adressent-ils et espèrent les aider à se transformer. Ce constat s'explique par la très nette insuffisance d'une formation en sciences sociales qui donnerait aux futurs agronomes, à la fois la conception et les outils pratiques leur permettant de découvrir la logique de fonctionnement des populations rurales. La réalité est telle qu'en l'absence d'une formation en sciences sociales se développe dans les institutions de formation une sociologie et une économie implicites reposant sur toute une série de préjugés « européocentriques » faisant en sorte que les agronomes ou les futurs agronomes en subissent l'aliénation et s'inscrivent en porte à faux envers leur propre société.

La seconde raison est que de point de vue psychologique, les agronomes universitaires surtout prétendent savoir et maîtriser les techniques infiniment supérieures à celles des agriculteurs et vivent de ce fait, un complexe «d'infériorité» entaché de toute une série de préjugés sciemment et inconsciemment dressés à l'endroit des agriculteurs, lesquels sont «taxés» de peu enclins au progrès. Cette tendance au préjugé est devenue une pratique courante. En fait, il n'y a là que l'image de la partie visible d'un Iceberg de préjugés que l'on porte illico à l'égard des agriculteurs qualifiés sin die d'incultes et peu enclins au progrès et à l'amélioration.

 - La troisième raison est que les agronomes, programmes universitaires dépourvus de modules de sciences sociales aidant, n'ont pas souvent été conscients du fait que les agriculteurs sont aussi des innovateurs dotés d'expériences (l'agriculture est elle-même une science de l'expérience et des localité), jusqu'à ce qu'on ait fini par croire que les agriculteurs ne sont que de simples producteurs agricoles, incapables d'innovations et dépendants d'agences extérieures pour la recherche, la vulgarisation et la commercialisation. Penser ainsi dénote toute la méconnaissance de la logique des agriculteurs voire même le mode de fonctionnement qui régit leur comportement et leur manière de faire.

 Dans le monde des pléthores de plaidoiries ont été consacrées à ce sujet. Elles dénotent en somme, que les agriculteurs sont restés actifs dans le processus de développement des technologies et à l'heure actuelle on s'y penche avec beaucoup d'intérêt, dans les milieux scientifiques et de recherche-développement.



Deux tendances justifient cet intérêt:

D'une part, il a été constaté que la plupart des entreprises de développement dirigistes ont été vouées à l'échec, faute de concertation avec les principaux concernés par ce processus et qui sont évidemment les agriculteurs. D'autre part, les changements des systèmes politiques et économiques devaient conduire à la démocratisation du développement et donc à une participation plus accrue des artisans de ce même développement, d'autre part.

 - La quatrième est que la recherche conduite en vase clos, se consacrant à sa propre organisation et fonctionnement, n'a pu établir des liens durables avec les agriculteurs en vue d'identifier les véritables problèmes d'ordre technique, économique ou social auxquels, ceux-ci sont confrontés dans leur pratique quotidienne. Autrement dit, les chercheurs s'occupant de leur propre réseau ont souvent omis de lier des relations avec les agriculteurs pour lesquels, les innovations issues de la recherche sont censées être destinées. Pis encore faut-il insister ici, sur le fait que les problèmes de la valorisation des produits de la recherche et de la production de référentiels techniques, dans le cas de l'Algérie, n'ont souvent pas été résolus. Il est ainsi une vaine besogne de s'engager dans des activités de recherche, si ci celles-ci ne servent pas ses destinataires. Il existe de la sorte, un clivage entre chercheurs et agriculteurs qui ne font en définitif bénéficier, ni les uns, ni les autres des expériences acquises.

 Sur le plan théorique, beaucoup de recherches ont été faites que leurs précurseurs en parlent avec emphase, mais dans la pratique on reste loin de démontrer le sens d'applicabilité de leurs résultats, jusqu'à finir par dire, pour certains, que :» les chercheurs qui cherchent on en trouve et les chercheurs qui trouvent on en cherche»

 - La cinquième est que l'émergence de la profession agricole (quoique relativement récente) sous-entend, dans l'arène du développement, la participation des agriculteurs aux diverses activités agricoles. Certes elle (la participation) reste d'une portée révolutionnaire, mais elle ne saurait être complète sans se décharger de sa conception linéaire favorisant les plus nantis. Se départir des vieux réflexes dans la gestion des activités agricoles, constitue également un gage pour leur réussite de concert effectif avec les populations concernées par le développement. Les organisations professionnelles telles les chambres d'agriculture, censées développer les proches de participation, n'ont pas, à l'heure actuelle, pensé leurs approches pour atteindre les objectifs escomptés.

Le constat fait, est qu'elles (les Chambres d'Agriculture) s'inspirent encore des modèles dirigistes fondés sur des principes bureaucratiques, sans pouvoir cristalliser sur le terrain une quelconque forme mobilisatrice des populations qu'elles sont censées les organiser dans un forum à caractère de promotion et de développement. Aussi la politique envisagée par les chambres d'agriculture s'inscrive dans le général et « des généralités « sans pour autant consacrer des études centrées sur le particularisme que vivent la majorité des agriculteurs. Il est constaté dans ces chambres, une tendance qualifiée de «pessimisme méthodologique « conduisant de fait, à la réflexion pour mieux identifier les obstacles et les malentendus profonds auxquels peut se heurter la stratégie du développement participatif. Il s'agit de rendre explicite les critiques qui restent le plus souvent diffuses et implicites, mais qui prévalent souvent dans les milieux chargés de promouvoir la participation.

 Les chambres d'agriculture ont un rôle essentiel à jouer dans ce contexte. Ces critiques concernent généralement les difficultés pratiques résultant des conflits d'intérêt, d'information insuffisante sur des contextes spécifiques, du manque de temps et des procédures administratives. C'est toujours le cas lorsque la participation en est, est considérée comme une panacée. «Estimer ainsi que sans la participation active des ruraux, notamment des groupes défavorisés, il n'y a guère de chances que les initiatives soient viables à long terme et que les injustices dans les campagnes puissent être corrigées. Ce qui demeure un pari ambitieux et une hypothèse forte auxquels nous adhérons complètement». Pis, les chambres d'agriculture ne doivent pas être en marge de l'évolution des conceptions, mais constituer elles- même un forum pour pouvoir prendre en charge les préoccupations des agriculteurs et concrétiser leurs attentes. L'engagement dans des études approfondies et des analyses faites sur le monde rural constitue également une des tâches nobles dévolues aux chambres d'agriculture.

Forum de concertation et de dialogue, et une fondation pour la représentation de la profession, les chambres d'agriculture, considérées ainsi, peuvent elles aller au delà ? Du général pour s'intégrer dans le particularisme caractérisant les plus démunis des zones rurales, lesquels attendent une promotion collective et individuelle à la fois. Dans cet ordre d'idées nombreux sont ceux qui parmi les agriculteurs voient en l'aide qu'on a tendance à apporter aux plus nantis comme une profonde « injustice ».

 Dans une étude très récente consacrée à la vulgarisation et la professionnalisation de l'agriculture en Algérie, J.C DERONGS, expert français de la firme FERTILE fait remarquer que « le mouvement professionnel apparaît aujourd'hui en Algérie comme une construction très institutionnelle (la création des organisations s'appuie jusqu'à ce jour, sur l'initiative de l'Etat que sur les producteurs eux-mêmes ) et de façade ( la Profession est représentée à tous les niveaux de décision mais trop souvent par un cadre de l'administration détaché auprès de l'institution), pourtant d'une part, la volonté politique de voir émerger des interlocuteurs et des partenaires du développement est bien réelle et d'autre part, de nombreuses initiatives à la base, de la part d'associations, de chambres ou de coopératives démontrent que les agriculteurs ont la détermination et la capacité de construire des outils nécessaires à leur développement.» « Sur un plan plus global, le dispositif professionnel n'est toutefois pas aujourd'hui un opérateur capable d'assumer la charge de définir et de mettre en œuvre un programme de développement et de vulgarisation. La construction de ce dispositif est en cours, le chantier sera long et difficile et doit s'attacher à soutenir l'initiative organisée des producteurs autour de fonctions concrètes et basiques telles que l'approvisionnement, les services, la collecte ou la mise en marché de la production afin de consolider et d'élargir la base de ce mouvement».

 D'emblée avance-t-on une triade de postulats erronés sur lesquels, repose ce que nous avons appelé la sociologie implicite. Le premier se distingue au niveau des projets de vulgarisation, lesquels s'appuyant souvent sur des stratégies orientées vers des paysans dits de contacts ou pilotes. Le second, sur l'application de thèmes techniques simples sciemment destinés à une population cible qui doit s'exécuter et enfin, le troisième, sur un encadrement dit rapproché qui ne voit ici que le résultat direct de la sociologie implicite et ses préjugés «européocentriques» c'est-à-dire, l'application sans vraie adaptation des acquis techniques obtenus dans des milieux étrangers, surtout occidentaux.

 Ainsi donc on a souvent tendance, lors d'exécution de projets à choisir des agriculteurs de contact ou pilotes auxquels on demande de se singulariser aux limites de se couper du groupe dans des communautés vivantes en pleine harmonie. Or, il semble que cette démarche génère une situation de conflits qui désintègre la cohésion du groupe, car le soutien apporté à certains individus au détriment d'autres est perçu comme une profonde injustice. Généralement les groupes d'agriculteurs s'attendent plus à une promotion collective qu'à une promotion individuelle.

 S'il est vrai que les services de vulgarisation ne peuvent, dans le cadre de leurs projets, atteindre toute la communauté, il demeure néanmoins nécessaire de trouver une formule fondée sur un consensus par lequel les groupes choisissent eux-mêmes leur leader ou leur représentant. De même et dans un cadre général, n'est - il pas évident que le choix délibéré qui est fait de ne proposer que des thèmes simples ou aisément assimilables soient inopportuns, alors que dans la plupart des cas, les problèmes à résoudre sont particulièrement complexes et nécessitent plutôt, le recours à des techniques elles- même plus complexes qui, dans le fond s'expliquent par ce préjugé que du fait de son analphabétisme, le paysan a des capacités intellectuelles limitées.

 Quant à l'encadrement dense ou rapproché ne trouve-t-il pas sa justification dans le préjugé selon lequel, le paysan étant «naturellement conservateur». Pour pouvoir le charger, il faut exercer sur lui une pression continue. Le résultat de cette démarche est aujourd'hui connu : une réaction de rejet généralisé de toutes ces armadas d'encadreurs par des paysans las d'être « infantilisés « et placés sous haute surveillance. En dernière analyse et dans toutes les situations, le paysan est maître de sa destinée. Il sent bien qu'il est risqué de suivre les conseils de celui qui n'aura pas à en subir les conséquences. Il tiendra sûrement, peut être discrètement, à lancer à l'endroit des agents de développement cette phrase empruntée d'une aborigène Australienne : « si vous n'êtes venus que pour m'aider, vous pouvez rentrer chez vous. Mais si vous considérez ma lutte comme faisant partie de votre survie, nous pourrons, peut être, travailler ensemble.»

 Nous avons avancé précédemment, un ensemble de faits dénotant des préjugés non fondés sciemment portés à l'endroit des agriculteurs,» taxés» de peu enclins au progrès, hostiles à l'innovation, mais néanmoins, porteurs de ce qu'on peut appeler une civilisation culturale voire culturelle ayant survécu au cours de l'histoire aux péripéties multiples de l'environnement et de ses divers désagréments car les paysans ont souvent subi depuis la nuit des temps les affres des besognes fastidieuses allégées néanmoins à l'heure actuelle par la mécanisation.

 Aujourd'hui, on est en mesure, comme le soutiennent de nombreux agronomes de renommée, de dire que les agriculteurs ont depuis toujours joué un rôle actif dans le développement des technologies de production et d'agroalimentaire. Ce sont les paysans qui ont découvert, sélectionné les cultures principales et domestiqué les animaux. Grâce à leurs activités innovatrices, plusieurs systèmes agricoles ont vu le jour et ayant été adaptés aux conditions locales et aux ressources disponibles. En Algérie la tendance est perceptible et qui appelle son encadrement dense tout en s'appuyant sur les acquis et en développant l'esprit des capacités, les aptitudes et les pratiques de leurs précurseurs.

 Dans cet ordre d'idées que l'évidence saisissable le confirme au quotidien, RHOADES (1988) pense « qu'il est possible de montrer qu'un changement de technologie introduit par le paysan ne se produit pas par accident, mais suit une forme de raisonnement qui lui est propre et que l'on pourrait comparer à la méthode scientifique d'aborder et résoudre un problème». Plus loin, l'Auteur averti consolide ses idées et cite au passage un autre auteur GORDON Prain qui devait raconter « : qu'un paysan du village de Chiche- Vallée Montaro (Pérou)-, avait formulé l'hypothèse que des variétés exprimant une dominance apicale, produiraient moins de tubercules, mais que ces dernières seraient plus volumineuses, en conséquence, dit-il, le prix de vente serait supérieur à celui obtenu avec les variétés sans dominance apicale».

 Ce courant de pensées qui tend aujourd'hui à s'accréditer semble s'appuyer sur cette idée que les scientifiques ont la même approche que les agriculteurs : formuler les problèmes, envisager des hypothèses, les expérimenter empiriquement pour valider ou invalider les résultats. Les paysans s'appuyant sur leurs propres expériences acquises depuis des générations ont souvent été à l'avant garde du progrès réalisés à travers les âges. Sur cette idée personne ne peut en disconvenir. Leur rôle dans le développement des technologies est aujourd'hui universellement reconnu.

 Comme la plupart des humains, les paysans sont curieux, de la sorte « qu'il n'est pas inhabituel de voir un paysan tenter l'expérience d'une idée qui lui est passée par la tête, comme il n'est pas forcément nécessaire que l'expérience réalisée ait un but final « disent RHOADES et BEBBINGTONS (1)

S'appuyant sur les réseaux endogènes qui leur sont propres, les paysans ont participé pleinement à la production et à la diffusion des innovations. Cela s'est produit par des événements successifs survenus aux cours de l'histoire d'une manière telle que « dans une tribu humaine, un génie découvre par exemple qu'il peut lancer une pierre deux fois plus fort en la faisant tournoyer autour de sa tête dans une lanière .Les autres membres de sa tribu ne tarderont pas à découvrir son secret. Les communautés voisines à leur tour remarqueront les succès de cette tribu à la chasse et bientôt tout le monde fabriquera des frondes ».

 C'est exactement ce qui pourrait se passer avec l'introduction de nouvelles innovations et pratiques agricoles, pour lesquelles les réseaux de communication des paysans jouent un rôle déterminant. Ainsi alors, le processus de vulgarisation - qu'on est tenté de conduire en direction de la communauté paysanne - devrait aider à lier les réseaux entre les groupes eux mêmes et entre les groupes et d'autres catégories d'organisations, d'organismes et institutions. Nous pensons d'ailleurs, que le rôle de la vulgarisation est complémentaire à celui d'autres organismes responsables de la communication avec les paysans.

 Mais de prime abord, on est tenté à travers ces idées, de démontrer l'importance de la diffusion des connaissances agronomiques dont certaines sont produites par la recherche, d'autres par contre et peu être la plupart sont développées dans la pratique courante par la mise à l'épreuve et l'accumulation des expériences de plusieurs générations d'hommes. Ainsi, la recherche scientifique et l'accumulation de la pratique de tous les jours sont autant de manières dont l'homme acquiert le savoir.

 Voilà explicité en gros, le rôle des paysans dans le développement et la promotion des technologies nouvelles qui suggère de notre part en tant qu'agronomes et sociologues, la profondeur des idées dans une lanière de réflexion qu'on tentera d'aborder en terme de courants de pensées en matière de diffusion des innovations constituant un terme générique nécessitant, ipso facto, une spécification.

 Des dizaines voire des centaines d'études ont été effectuées durant la moitié du second millénaire correspondant à la mise en application de la révolution verte entamée depuis les années 1950, notamment en Amérique du nord et en Europe considérée comme «fiefs» du progrès scientifique et technique, sur l'adoption et la diffusion des innovations dont une large part a été consacrée aux recherches empiriques inhérent principalement aux innovations introduites dans le développement agricole. Il s'en est suivi un processus de communication et de vulgarisation (extension) entre les institutions et centres de recherche agronomique, les institutions de développement et les agriculteurs (paysans).

 De ces études, découlent de nombreuses expériences acquises et des connaissances enrigistrées de telle sorte que des pléthores entrecroisées de plaidoyers y ont été consacrées ; ils dénotent en somme que: « les agriculteurs sont restés actifs dans le processus de développement des technologies et la diffusion des innovations et à l'heure actuelle on s'y penche avec beaucoup d'intérêt ».

 Une innovation telle qu'entendue est d'abord, un fait nouveau constitué par une idée, une pratique récente ou un objet perçu comme nouveau par un agriculteur, un paysan dans un sens général. Mais une innovation dans la pratique de tous les jours peut être le résultat d'une intuition aiguë d'un sujet éclairé, d'une pratique ancienne rénovée, ou d'une expérimentation confirmée.

 Cependant, on s'accorde indéfiniment à dire que la plupart des agriculteurs adoptent rarement les innovations qu'ils ont entendues ou vues pour la première fois. Le plus souvent, ils ne les adoptent pas avant de les avoir mises en application ou d'avoir discuté auparavant des conséquences escomptables avec d'autres agriculteurs qu'ils connaissent et à qui ils font confiance.

 Les agriculteurs, les plus enclins au progrès se présentent généralement aux réunions et aux journées d'informations et à toute autre occasion consacrée à la démonstration au cours desquelles, ils rencontrent des agents de développement. Par contre les agriculteurs traditionnels le plus souvent majoritaires, eux obtiennent d'habitude leurs premières informations sur les innovations à partir de leurs propres réseaux ou parfois des médias, puis, ils prennent leur décision en s'appuyant sur la communication personnelle. Les circuits de vulgarisation ne sont pas les seuls à fournir ces informations; les agriculteurs peuvent s'adresser à des sources différentes de celles utilisées par les agriculteurs modernes et qui sont généralement plus nantis et proches des centres d'information et de décision.

 De multiples recherches ont été réalisées en vue d'identifier quels sont les agriculteurs qui, dans une communauté donnée, sont les premiers à adopter les innovations qui leurs sont proposées. Il en découle que ce sont généralement les agriculteurs qui par rapport à la moyenne, ont fait des études plus longues et assistent fréquemment aux cours dispensés aux agriculteurs et ont davantage de contacts avec les agents de développement. Ceux-ci sont plus actifs dans toute sorte d'organisations non exclusivement agricoles mais aussi sociales et politiques. Un tour d'horizon dans notre environnement et on se rend compte de la véracité de ce fait. Cela considère que toute approche de formation et de perfectionnement, devra être destinée prioritairement à la population rurale (agriculteurs et éleveurs) en vue de l'inciter à être enclin au progrès en vue de s'adapter au changement et aux facettes multiples de la modernisation.

Ces agriculteurs s'aperçoivent assez fréquemment que l'agriculture est en phase de mutations et qu'en fin de compte, s'ils veulent demeurer dans cette sphère d'activités, ils doivent eux aussi changer. Ils sont ainsi constamment à la recherche d'informations qui les aideront à saisir les nouvelles opportunités et adapter leurs systèmes de production aux changements intervenus. Ceci veut dire dans un certain sens que si nous voulons encourager l'adoption des innovations, il ne suffit pas d'offrir aux agriculteurs des informations sur les innovations, mais, il est important de modifier leurs attitudes et comportements envers le changement et d'accroître leur ouverture sur le monde tout en les incitant à regarder au-delà de leur voisinage pour s'enquérir des nouveautés. La tendance au changement pourrait être obtenue au moyen d'écoles d'agriculture et par des programmes d'éducation destinés aux agriculteurs et à leur famille. Les vulgarisateurs et leur réseau peuvent ainsi jouer un rôle primordial dans l'information des agriculteurs. Les agriculteurs, si on considère seulement cette frange de la population rurale, ont souvent besoin uniquement d'orientations et d'informations. Il ne va pas sans dire que la politique du renouveau agricole et rural adoptée, par sa démarche novatrice et par les moyens financiers qu'elles recouvre constitue le fait majeur d'une politique de relance qui incite en Algérie, tous les acteurs de l'économie agricole, en premier lieu les agriculteurs et les éleveurs, les opérateurs d'amont et d'aval, et en second lieu les institutions de recherche, de développement et de vulgarisation publiques ou professionnelles, à mieux répondre aux enjeux du renouveau de l'économie agricole et rurale tant au plan économique que social et indissociablement environnemental et avouons, sans précaution oratoire que l'agriculture algérienne à travers la mise en œuvre de la dite politique a pris un tournant décisif irréversible vers la prospérité. Celle-ci a d'ailleurs atteint un degré d'évolution significatif ce qui laisse présager d'un avenir prometteur pour l'agriculture algérienne qui constitue une branche vitale de l'économie nationale.

Enfin est-il nécessaire de dire aujourd'hui, que Dieu nous a dotés de tant d'hydrocarbures et nous devons impérativement s'impliquer pour avoir tant d'hydrates de carbone.



* Agronome Universitaire, il est auteur de trois ouvrages :

1. L'agriculture algérienne: de l'ère précoloniale aux réformes libérales actuelles » paru chez l'ANEP-2008.

2. L'Essentiel de la vulgarisation agricole: théorie et pratique, édité par l'INRAA en 2007.

3. De la Communication en Général et de la Vulgarisation en particulier, éditions THALA -2009.



Note:

(1). RHOADES et BEBBINGTON.- Farmers who experiment : an untapped resource for Agricultural research and development, International Potato Center- Apto. 5965. Lima, Perou