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Faut pas rêver

par Mahrez Ilias

Voilà, le rêve est passé. On se frotte les yeux, on se pince pour se persuader que c'est bien fini. Pour cette fois-ci du moins. Ben ! Oui. Les Verts nous ont apporté de la joie, du bonheur, et nous ont, l'espace de quelques jours, remis parmi les gens normaux qui comptent dans cette planète. En deux-trois jours, on s'est mis à rêver de conquête, d'aventures, de puissance à l'échelle internationale. C'est fou ce que le football peut rassembler, drainer de passions et de rêves les plus abracadabrants. La victoire contre la Zambie, qui parachève une semaine de préparation psychologique, d'abandon des choses pénibles et quotidiennes, comme les prix des denrées et des légumes en ce mois de Ramadan estival, a apporté son lot de satisfactions morales pour tout un peuple et ses dirigeants. Les joueurs auront une belle prime, les supporters la conscience du travail accompli, et les autorités un temps de répit sur le front social. Mais, aujourd'hui, la victoire contre les Chipolopolo est oubliée, les joueurs professionnels de l'équipe nationale rentrés chez eux... en Europe, il ne reste plus sur cette fresque sans couleurs et monotone que le petit peuple, les mains vides pour aller de nouveau affronter les marchés, les prix, la rentrée scolaire, l'Aïd et l'inflation. Fini donc le rêve, on retourne à la dure réalité d'une fin de Ramadan difficile pour les petites bourses qui auront à gérer deux événements majeurs : la rentrée scolaire avec son lot de dépenses, et l'Aïd El-Fitr, tout aussi boulimique. C'est ça la réalité des Algériens d'en bas, ils sont toujours là pour supporter, comme des hommes d'airain, les pires missions, même celles les plus impossibles pour le bien de la patrie, Lebled, mais, aussitôt après, ils sont sûrs d'être rapidement oubliés, mis dans le placard eux et leur rêve d'une plus grande justice sociale, d'un kilogramme de pomme de terre à moins de 15 dinars, d'une Algérie qui sait où regarder, pas seulement vers la stratosphère. Le rêve est-il permis en dehors des aventures sportives de l'équipe nationale ? Et puis, faut définir, dans ce Bled, de quel rêve il s'agit : celui de routes bien goudronnées, de l'eau H24, de pas de Hogra ni administrative ni Hogra tout court, de logements à gogo, de boulot en veux-tu en voilà puisqu'il y a le pétrole qui fait travailler, de dignité retrouvée, de... de... bref, les rêves, il y en a dans notre beau pays. Sauf un seul : la sélection nationale est bien réelle. Elle a un président, un entraîneur, un staff d'adjoints, un local où s'entraîner et vivre en communauté fermée lors de stages de préparation, comme celui prochain pour préparer le Rwanda, des ballons, des tenues et des sceaux d'eau, et même un peuple de supporters. La totale, quoi !

 Fini l'intermède zambien, la réalité des Algériens redevient insipide, incolore et inodore. Au mois d'octobre, deux choses sont sûres : il n'y aura pas d'annonces d'augmentation des salaires à l'issue d'une tripartite prévue d'ici là, et l'équipe nationale reviendra jouer à Blida contre le Rwanda. On se remettra alors à rêver éveillés de conquêtes africaines, à défaut d'amélioration du quotidien de la Nation. One, Two, Three, Viva l'Algérie !