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Du pain minimum garanti

par El-Houari Dilmi

A l'ère menaçante de l'homo-bouftanticus, le pain, en tant que dessous de table, est né des restes décomposés des entrecôtes droites de celui qui le domestiqua pour la première fois. Premier casus-belli du bipède face à son congénère, le loup de haute montagne, le pain, par une curieuse mutation stomacale, est, ensuite, devenu à l'ère du tout-mangeable, la première destination de l'homme tombereau. Jusqu'au jour où naquit l'homme-quignon qui, par le miracle de la rétro-révolution des «khobzistes», fera du vaccin sous-lingual son miroir de poche grossissant. Présent contre son gré à tous les râteliers et premier argument-massue pour réduire au silence les bouches... trop pleines, il est l'invité désobligé de tous les festivals des croquemitaines costumés.

 Première raison de vivre du bipède «panifié», l'ancêtre du flouze n'a pas le même arrière-goût pour toutes les bedaines brettelées. Selon qu'on soit un affineur de pain blanc ou un goûteur de pain perdu, tout le monde ne mange pas le même pain par le même morceau. Sous nos cieux ennuagés, le pain est le premier cadeau royal fait au peuple depuis le temps «bénit» de «ragda oua t'mandji». Aliment basique le plus bradé de tous les marchés de dupes, sa couleur en arc-en-ciel change selon l'ampleur volumique de l'estomac et le tour de cou de celui qui le dévore... par tous les bouts. Selon qu'on émarge au budget à fonds perdus de l'Etat-mamelle ou dans celle sans fonds du petit peuple, le pain n'a pas la même saveur pour celui qui le mange sous la lumière crue du jour et celui qui le picore dans les nids douillets, à la nuit tombée. Qu'il soit «imbibé» de sueur trop chaude ou «relevé» à l'huile de coude, le pain n'a pas la même couleur pour celui qui le mange en roupillant, en «fourrageant» dans l'arrière-cuisine des repus, en dérobant de la pâte à modeler les ventres creux dans les usines trucidées, en essuyant les auges des rassasiés à vie, en ouvrant simplement sa bouche béante, pointée vers le ciel, en ramassant les miettes tombées du haut du bec acéré des rapaces, en fouinant dans les champs brûlés des péquenots ruinés.

 A la vie infinie, jusqu'à faire passer le goût du pain au dernier des mastiqueurs sur terre, il est surtout magiquement dérobé de la bouche béante des sans-le-pain. Des «enfarinés» vifs. Des empêtrés par vocation. Des fermentés pour la vie. Et même des destins «moisis». Parce que de ce bon côté-ci de la vie des babas, même s'ils le font «fourré» avec une levure frelatée, ils ramassent du blé comme... des petits pains. Pour les autres, la vie est comme un long jour sans pain. C'est qu'en attendant le relèvement du Pain minimum national garanti (pas pour tous), il faudra se gaver des deux mains de son pain perdu, et jouer des deux pieds pour espérer se «désengluer» du pétrin gigantesque de nos incuries.