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Du métier de «laver» les consciences

par El-Houari Dilmi

C'est l'histoire (à ne surtout pas raconter aux insomniaques) d'une lévitation spi (ritournelle) à l'envers; un peu comme si un homme, dans sa solitude sépulcrale, voulait convertir tous les hommes, laissés de l'autre côté de la barrière, à la religion de la contre-vérité. Chalachou quitta son douar natal avec un sou, chipé dans la vieille tirelire familiale, pour retourner trois lustres plus tard avec deux baluchons de blé aussi grands que la Muraille de Chine et aussi épais que le Mur de Berlin. Taraudé par le regard mi-suspect, mi-baba de ses congénères désargentés du douar, Chalachou décida d'une action si peu accessible au genre humain qu'il l'inscrivit en lettres géantes sur le registre d'or frelaté de la mairie du coin. Enguenillé dans un burnous délavé, Chalachou sortit dans la rue par une nuit «enluminée» pour placarder un dazibao sur un mur décati de la salle de prière du coin. Sur le journal mural, Chalachou écrira à l'adresse de ses congénères fantomatiques du douar un message plus troublant que cabalistique:

 «Chers (con) patriotes, pour sauver ma descendance d'une malédiction annoncée, moi Chalachou, j'ai décidé de faire oeuvre de salubrité publique en transformant ma fortune malodorante en oseille aseptisée de vos postillons arsenicaux. Pour cela, j'ai dû consulter un médium manchot et au pied bot, seul capable de lire de par-derrière mes pensées enfouies dans le revers de mon burnous en faux blanc immaculé. Partant du demi-principe ?métaphysique' qu'un bien plus ou moins mal acquis peut profiter un jour qui viendra peut-être, j'ai dû faire amende honorable en me résolvant à cacher mon oseille malodorante quelque part sous votre immense terre en friche. Au premier qui mettra le grappin dessus, je promets ripailles éternelles, bombance sans fin, avec à la clef une surcharge pondérable digne d'un animal antédiluvien.

 Ma dernière volonté sera cependant celle de vous demander de m'enterrer, mon jour dernier arrivé, avec un billet de banque en devises, de préférence faiblement dosées. Le billet sans odeur ni couleur sera placé, contre reçu-bon, juste sous mon crâne chenu, orienté face au soleil levant. En contrepartie, moi Chalachou, l''équanime' inaccompli, pour laver au karcher ma conscience souillée jusqu'à la moelle, prierai, par-delà la vie, pour le salut de vos âmes grugées». L'histoire non écrite dira, par la suite, que son jour dernier arrivé, Chalachou sera finalement retrouvé inhumé en position debout, la tête à ras du sol, avec un douro érodé en guise de piercing nasal et un vieux billet dépareillé enfoncé dans la bouche jusqu'à la luette...