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A quoi peuvent rêver les cigognes ?

par Aïssa Hirèche

Quoi qu'elle puisse allonger ses arrêts, la cigogne finit toujours par repartir vers les horizons lointains et, quel que soit le lieu où elle s'en va, elle finit souvent par revenir, parce que les oiseaux migrateurs sont ainsi faits d'un mélange bizarre d'envies de départs répétées et de besoins de retour... dans cette quête de l'impossible chez soi, quelque chose ne cesse pourtant jamais de brûler telle une flamme et qui laisse espérer qu'un jour peut-être, oui un jour peut-être, cesseront enfin ces vols interminables d'un pays à l'autre, d'une contrée à l'autre, d'un continent à l'autre...

 Les cigognes sont multiples. Il y a celles qui quittent leurs nids au-dessus des hautes cheminées ou des hauts minarets, mais il y a aussi celles qui quittent leurs familles, leur entourage et jusqu'aux habitudes qui, sous l'effet d'une nostalgie inévitable, prennent souvent l'allure de rites abandonnés.

 Combien de cigognes sont donc parties ? Dieu seul le sait ! A travers la mer certes, mais aussi via les airs et les frontières terrestres, le nombre de ceux qui s'en vont est stupéfiant. Qu'est-ce qui les fait s'en aller ?

 Cela dépend ! Certains oiseaux s'en vont chercher nourriture, d'autres partent à la recherche de meilleure météo, d'autres s'en vont tout simplement parce qu'ils n'ont pas la paix. Ils partent pour partir, mais les cigognes, quant à elles, ne partent pas pour ces raisons.

 Fidèles plus que tous les autres oiseaux, elles sont les dernières à partir, elles quittent difficilement leurs nids qu'elles prennent soin de bien repérer avant de prendre l'envol. «C'est dommage, ne cesse de répéter Hmiyoud à qui veut l'entendre, notre pré a bien changé. Nos cheminées sont abandonnées, nos minarets aussi et depuis que certains ont entrepris d'y mettre des cigognes en plastique, c'est devenu insupportable ! En fait, cela date depuis longtemps déjà ». Cela fait mal de voir partir nos cigognes à chaque lever de soleil. Mais ce qui fait plus mal encore c'est que rien n'est fait pour leur rendre la vie agréable sur nos toits, au-dessus de nos poteaux, dans nos branches... et sans exagérer, on peut dire qu'ils ne sont pas nombreux ceux qui aimeraient que ces oiseaux ne partent pas.

 Entendons-nous, un oiseau migrateur, cela reste migrateur mais lorsqu'il a un chez soi agréable, lorsque dans sa sieste il n'est pas réveillé en sursaut par les cris des enfants ou les aboiements des chiens, ses départs se font plus rares et plus courts. Regardons donc ce à quoi nous livrons nos cigognes. Nous les obligeons à dormir dans les écuries, nous les enchainons aux bateaux immobiles, nous leur imposons de ramper sous les balcons d'une société qui excelle dans l'art d'applaudir sans occasion et sans raison. Nous les livrons aux lévriers et aux chiens et nous nous étonnons, après tout cela, qu'elles partent !!! Comme si leur fatalité passait par nos mains, nous nous refusons de croire que ces oiseaux, ces êtres, ont droit à la vie, à une vie honnête sur un arbre ou sur une cheminée ou même sur l'épaule d'un éventail qui a cessé d'effrayer. Au nom de bêtises qui ne veulent pas finir, nous poussons au départ, chaque jour et tous les jours de l'année, des nombres incalculables d'oiseaux dont les cigognes... sans jamais nous demander à quoi peut bien penser une cigogne poussée à quitter les siens ?

 « Un seul souhait, oui un seul souhait me brûle jusqu'à ce jour. Retrouver un jour des étudiants de chez moi, de mon pays, dans un amphi ou une classe et ressentir ce plaisir de servir à quelque chose ». Il a laissé tomber la phrase sans calcul. Dans une spontanéité irréfutable, il ajoutera même « c'est mon souhait avant de mourir ».

 Ceux qui croient que les cigognes s'en vont à cause de la faim ou de l'aboiement des chiens au pied des cheminées ne savent pas à quoi rêvent ces créatures.

Vraiment pas.