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Soigner la pharmacie

par Yahia Dellaoui (*)

Qui dispose de l'information dispose du pouvoir. C'est, en ce sens, qu'il faut réfléchir sur la quantité et la qualité reçues et fournies par le Pharmacien algérien. Ce qu'il reçoit, est-il en adéquation avec ses besoins et sa profession ? Ce qu'il donne, est-il en phase avec, d'une part, les nouveautés et d'autre part, avec les besoins des patients ?

A cet effet, il faut remarquer que l'information reçue dans les facultés de médecine laisse parfois à désirer. Nous citerons comme exemple, le fait que l'enseignement concerne les molécules sous formes de «Dénomination Commune Internationale» n'existe presque pas, le futur praticien est conditionné pour servir des marques et non des médicaments.

Ce mécanisme nous lie d'avantage à une sphère productive qui ne raisonne guère en fonction de la pathologie et du coût de traitement. Il faudrait donc, repenser le contenu et le mode de l'information reçus aussi bien sur les bancs des facultés qu'une fois les études achevées.

Mais, il existe aussi un autre problème gui mérite qu'on s'y intéresse. Il s'agit de réfléchir sur la nature et la qualité de l'information données par le pharmacien algérien. Personne n'ignore l'état de «sous information médicale» de nos populations, personne n'ignore que le faible pouvoir d'achat des citoyens transforme le pharmacien en conseiller médical, il s'agit donc d'essayer de cerner la qualité et la quantité du flux d'informations reçues et données.

Le 1er aspect de notre réflexion concernera le problème de l'objectivité scientifique de l'information fournie par les producteurs ? Comment distinguer l'information vraie de la publicité de la marque ?

Enfin, il s'agit de savoir, si l'information reçue permet au pharmacien de conseiller et de contrôler efficacement les prescriptions médicales, de signaler au producteur les effets secondaires non signalés et d'être d'un apport positif par ses conseils, pour la population.

Dans les tâches techniques du pharmacien d'officine, des activités sont liées et inséparables :

- L'information du malade.

Si la dispensation des drogues ne souffre pas en général de trop de lacunes, il n'en est pas de même de l'information ou du moins, de certains de ses aspects pour lesquels, à vrai dire, le pharmacien n'a pas été spécialement formé au cours de ses études (nouveau régime).

Dans la pratique, l'information du malade par le pharmacien s'effectue dans trois domaines :

- information lors de la remise d'une prescription médicale.

- information en dehors de toute prescription et de conseil

- information lors d'une prescription, pourrait-on dire officinale, lors de la cession au malade d'un médicament-conseil.



INFORMATION LORS D'UNE PRESCRIPTION MÉDICALE



Le pharmacien est l'intermédiaire logique, nécessaire et légal entre le médicament et le malade. Dans la dispensation des drogues, la responsabilité du pharmacien est engagée autant que celle du médecin prescripteur.

Nous nous permettons de rappeler que le pharmacien doit :

- expliciter au malade avec toutes les précisions possibles la prescription médicale.

- mettre en garde le malade lors de la remise des médicaments :

... contre le non-respect de la posologie: augmentation des doses, prise fantaisiste, suspension de traitement, décisions intempestives très fréquentes pouvant entraîner comme vous le savez des accidents de surdosage, des thérapeutiques inactives, des résistances ultérieures au même traitement, ou des accidents beaucoup plus graves, tels que des thromboses mortelles après arrêt des anticoagulants, etc...

... contre le non-respect des indications contenues en général dans chaque médicament spécialisé concernant la manière de détenir et d'assurer une bonne conservation au médicament pendant la durée du traitement ; le rebouchage évite l'altération à l'air et la détention dans un placard pour éviter la prise par mégarde de ces drogues par d'autres membres de la famille, en particulier les enfants.

... contre l'administration par le malade à une personne de sa famille ou de ses relations de drogues qui lui ont été prescrites personnellement, parce que son parent ou son ami présente une similitude de symptômes. Combien de sirops adultes à la codéine ont provoqué de détresses respiratoires chez de jeunes enfants atteints de pneumopathies, combien de rectites provoquées chez des nourrissons ou des enfants par des suppositoires adultes à base de camphre et de gaïacol.

... contre l'utilisation intempestive par le malade ou sa famille d'un médicament prescrit pour un cas précis, spécifique. Un exemple vécu, celui du collyre à l'atropine à 2 %, religieusement conservé dans l'armoire à pharmacie familiale et qu'une maman a utilisé pour son enfant qui souffrait d'une banale conjonctivite congestive. Un collyre au nitrate d'argent pour nouveau-né a été utilisé dans les mêmes conditions et dans ce cas, la personne qui l'a utilisé s'est étonnée de ne pas avoir pu supporter ce collyre pour nourrisson.

... contre les prolongations abusives d'un traitement, alors que le médecin ne l'a pas précisé. C'est un tel comportement qui a fait découvrir les insuffisances rénales provoquées à la longue par la phénacétine et les encéphalites dues à l'administration prolongée, rituelle de sous-nitrate de Bismuth et des iodoquinoleïnes lors de colopathies chroniques.

D'ailleurs, les malades s'attachent très vite aux drogues qui les soulagent. Or, celles-ci sont parmi les plus actives et vous savez bien que c'est là le point de départ de l'accoutumance et de l'asservissement aux drogues.

... contre d'éventuelles interactions entre les médicaments, entre médicaments et aliments, entre médicaments et boissons alcoolisées, entre médicaments et certains facteurs physiques, etc... La plupart des traitements nécessitent un régime alimentaire et des précautions physiques et de cela le pharmacien doit informer son malade.

... contre les effets secondaires, que le médecin par oubli ou faute de temps ne signale pas au malade. Il y a des effets secondaires sans gravité observés en début de traitement qui régressent spontanément ou disparaissent après quelques jours.

Il y a d'autres effets secondaires graves qui doivent entraîner une réduction de posologie et quelquefois la suspension du traitement.

.... contre une rémission souvent prise pour une guérison, au cours de laquelle, le convalescent commet des imprudences qui aboutissent à la rechute, quelquefois grave, de l'affection.

Bien informer vos malades et les sensibiliser aux dangers qui les guettent et vous contribuerez à la régression de l'auto-médication, de la consommation et des toxicomanies.



INFORMATION EN DEHORS D'UNE PRESCRIPTION OU D'UN CONSEIL



Le malade, avant de s'adresser à son médecin, rend souvent visite à son pharmacien pour lui faire part de ses problèmes de santé.

Tout en rassurant le malade de son mieux, le pharmacien doit être à même de déceler quelques anomalies caractéristiques d'affections graves lorsqu'il écoute ou voit son «malade».

Nous ne pouvons pas dresser un tableau exhaustif de ces particularités pathologiques symptomatiques très souvent d'affections graves.

Exemples : ganglions, indurations, tuméfactions qui peuvent s'observer sur des parties bien précises du corps.

- ulcérations traînantes.

- saignements d'origines diverses : hématurie, hémoptysie, épistaxis, purpura hémorragique, méléna, etc...

- troubles nerveux de symptomatologies variées douleurs vives bien localisées, abdominales, thoraciques, précordiales, crâniennes, etc...

Ces quelques symptômes peuvent être évocateurs de maladies graves et le pharmacien, surtout en milieu rural, doit déployer tous ses efforts pour convaincre un malade réticent d'aller consulter immédiatement un médecin.

Mais pour être à même de le faire, le pharmacien doit avoir des notions suffisantes et précises des pathologies médicales, chirurgicales et d'urgence.

Cet enseignement ne lui est malheureusement pas dispensé au cours de ses études universitaires et c'est là une lacune bien regrettable. Mais, s'il est motivé, s'il aime bien sa profession, il peut acquérir ces notions tout seul, en travaillant sur des manuels spécialisés et il n'en manque pas dans ce domaine (Vade Mecum Médicaux, mini-encyclopédie médicale, voire même certains manuels très simples et très clairs destinés à la formation en pathologie des techniciens de la santé).

- Comme participant aux campagnes de prévention et d'hygiène à l'échelle nationale : vaccination de masse, hygiène hydrique et alimentaire, etc...



LE PHARMACIEN PRESCRIPTEUR DE MÉDICAMENTS DE CONSEIL



Cette prescription officinale doit être bien codifiée :

- inocuité totale du conseil (effet placebo)

- médicaments de confort, lors d'affections reconnues bénigne.

- médicaments de premier secours lors de l'absence du médecin : ceci est en particulier le cas en milieu rural.

Là aussi, le pharmacien doit bien informer le malade en soulignant qu'il ne remplace aucunement le médecin, beaucoup plus à même de procéder à des investigations plus profondes et de prescrire un traitement plus sûr.

Le pharmacien doit bien préciser au malade que son intervention est « un comportement d'attente » afin de le soulager provisoirement ; le médecin est toujours à consulter que le mal régresse, persiste ou s'aggrave.

En dehors de l'information donnée au malade et concernant tout ce qui touche à sa maladie, on ne saurait conclure sans consacrer quelques lignes à diverses informations que peut encore donner un pharmacien à ses concitoyens.

La formation de chimiste et de naturaliste fort du pharmacien une sorte d'expert en diverses occasions.

Quel est celui de nos confrères qui n'a pas été encore sollicité pour reconnaître un champignon, une plante à usage traditionnel, la pureté d'un miel, la nature du métal dont est fait un bijou ? D'autres fois des personnes rapportent au pharmacien pour expertise un produit chimique ou un aliment avarié, cause d'une intoxication.

Enfin, des malades anxieux et crédules nous ont parfois plongés dans les ténèbres de la sorcellerie, en nous demandant notre avis sur des mixtures alchimiques invraisemblables, à consommer ou à brûler, des philtres et des talismans composés par des charlatans persuasifs et sans scrupules, garantissant le départ des démons possesseurs, cause de tous les maux. Nous observons, Il faut bien avouer, ces prescriptions magistrales d'un autre âge avec beaucoup de curiosité. Dans ce cas, l'information allait d'abord du malade au pharmacien, puis elle reprenait toujours son sens normal, car nous réussissions finalement à orienter le malade vers le médecin, après l'avoir convaincu de jouer sur les deux tableaux et qu'un talisman associé à la médecine moderne pouvait faire encore plus de miracles.



L'INFORMATION MÉDICALE



Dans le domaine de la thérapeutique, on peut parler d'une véritable révolution durant les trois dernières décennies : des millions de molécules ont été mises au point et des milliers de principes actifs commercialisés; or, du fait même que tout médicament est une substance exogène à l'organisme aucun médicament ne peut prétendre être d'une innocuité totale. Nous ne connaissons que les effets apparents et mesurables du médicament; de plus, lors de la durée de vie du médicament, de très nombreuses modifications peuvent subvenir quant à ses indications, contre indications et dosages; c'est dire à quel point l'information médicale est indispensable. La principale critique qu'on lui fait concerne son caractère publicitaire.

Comment peut-on distinguer une information scientifique d'une publicité tendancieuse ? Pour cela, je vous propose de revenir aux définitions.

L'INFORMATION : est le fait de communiquer à autrui un élément de connaissance qu'il ne possédait pas et ne pouvait pas trouver en lui-même.

LA PUBLICITE:est l'ensemble des moyens destinés à informer le public et à le convaincre d'acheter un produit ou un service. La distinction est donc très nette ; la publicité est bien une information ou prétend l'être ; elle ne vise cependant pas à faire valoir un produit ; elle vise à le vendre. Elle est donc au service de celui qui la fait et non celui qui la reçoit. Les professionnels de la santé ont normalement suffisamment de connaissances pour distinguer entre information médicale et publicité.



  RÉGLEMENTATION DE L'INFORMATION MÉDICALE



Dans certains pays, l'information médicale est étroitement réglementée, c'est le cas de la France où toute information qui ne se limite pas à un certain nombre d'indications extraites du dossier de mise sur le marché (AMM) est soumise à un visa publicitaire et étude d'une commission. Dans d'autres pays, comme la Belgique et l'Allemagne, le contrôle se trouve limité par la liberté d'expression, qui est un principe constitutionnel, tout au plus, un contrôle a posteriori est prévu.



INFORMATION DU CORPS MÉDICAL



1. Au niveau du laboratoire

Les grands laboratoires européens et américains ont des services spécialisés dans l'information, équipés d'ordinateurs ayant en mémoire des centaines de milliers de références, régulièrement mis à jour et qui pour chaque question posée donnent une série de références avec un résumé des publications. Selon la gamme de produits commercialisée et le domaine thérapeutique concerné, les laboratoires auront des services médicaux avec des médecins ou pharmaciens spécialisés dans ces domaines. Les centres de recherche des laboratoires jouent un rôle important ; ils sont souvent la source de l'information médicale.

2. Information du médecin: Le médecin se trouve être le plus sollicité par l'information médicale pratiquée par les laboratoires. Il est en effet le prescripteur potentiel. Comment se fait son information ?

2.1. Visite médicale: Le moyen le plus utilisé pour l'information des médecins reste la visite médicale. Les représentants médicaux sont embauchés généralement chez nous parmi les universitaires; ils reçoivent un enseignement de base et une formation spécialisée.

- Les malades sollicitent souvent l'avis du pharmacien sur le traitement prescrit par un médecin. Il doit réconforter le malade souvent déprimé en lui faisant reprendre confiance dans son médecin traitant, car un bon moral est déterminant pour le succès d'une thérapeutique. Il doit s'abstenir d'émettre des jugements ou de donner des informations qui, déformées et rapportées au médecin par le malade, peuvent être des causes de frictions entre collègues de la Santé.

Ainsi, il évitera de donner son avis :

- sur l'opportunité de la prescription médicale de telle ou telle drogue. Il doit en référer au médecin dans le cas où il craint une incompatibilité.

- dans des domaines qui lui échappent plus ou moins : clichés radiologiques, épreuves fonctionnelles au cours de bilans spécialisés.

- sur l'opportunité d'une intervention chirurgicale, même lorsque le chirurgien laisse au malade toute latitude pour réfléchir.

- sur les valeurs comparées des praticiens généralistes ou spécialistes.

Dans ces domaines, il faut bien le dire, le pharmacien risque plutôt de déformer que d'informer.

Enfin, le pharmacien, toujours dans le domaine de l'information pure, peut être sollicité dans le cadre de l'éducation sanitaire:

- Comme hygiéniste par exemple, lors de maladies infectieuses : tuberculose, typhoïde, méningite, dysenteries infectieuses, etc... pour que les précautions élémentaires d'hygiène soient prises dans les demeures des malades et dans leur environnement.

- Comme diététicien et hygiéniste dans des états physiologiques exceptionnels (femme enceinte, mère qui allaite) ou pour des maladies métaboliques diverses : diabète, insuffisance rénale, hypertension artérielle, maladies cardio-vasculaires, etc...

Le visiteur médical présente le médicament, sa composition, ses avantages, ses inconvénients, ses conditions d'emploi et son coût. Il doit être un véritable interlocuteur qui porte au médecin un certain enseignement dans les nouveautés thérapeutiques et l'aider à résoudre certains problèmes thérapeutiques qu'il rencontre.

3. Information du pharmacien: Le pharmacien est le parent pauvre de l'information médicale. Lorsqu'il est visité par les délégués des laboratoires, c'est souvent dans le but d'obtenir des informations et non de lui en fournir.

Quelques réunions scientifiques sont organisées pour les pharmaciens, mais elles sont rares et insuffisantes.

Le pharmacien doit donc vivre avec ses souvenirs de faculté ou se recycler par lui-même. C'est là une faille importante, car le pharmacien est le dernier rempart entre le malade et une mauvaise utilisation du médicament.

L'information du pharmacien est d'autant plus nécessaire que c'est à lui que s'adresse le malade pour avoir des renseignements sur les médicaments.

En Algérie, le rôle du pharmacien est primordial car le conseil et l'automédication représentent une part non négligeable du marché. Je voudrais signaler ici, qu'à l'initiative des pharmaciens d'Algérie, une association a été créée dans ce pays entre médecins ; pharmaciens ; dentistes. Cette association organise des séances de recyclage et tables rondes. Cette initiative est à féliciter chaleureusement, car elle permet de confronter les problèmes et les points de vue de différents corps de la Santé. Dans le cadre de l'information du pharmacien, nous avons commencé une expérience de visite pharmaceutique; en affectant des délégués ayant une expérience dans la visite médicale aux pharmacies. Le visiteur effectue un travail similaire à celui effectué dans un cabinet médical. Après une période de deux ans, nous pouvons affirmer que cette expérience a été concluante, et acceptée par la quasi-totalité des pharmacies visitées.




(*) Service de thérapeutique
Faculté de médecine d'Oran