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Un homme libre exemplaire

par K. Selim

Le patriotisme aux Etats-Unis est une vertu célébrée. A condition de ne pas être trop libre à l'égard du puissant lobby israélien. Deux universitaires américains, Stephen Walt et John Mearsheimer, auteurs d'une étude intitulée «Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », avaient apporté la démonstration que la domination du lobby sioniste conduisait les Etats-Unis à mener une politique contraire à leurs intérêts nationaux. Ils avaient été littéralement carbonisés.

Pourtant, leur thèse vient d'être spectaculairement corroborée par la cabale lancée aux Etats-Unis contre le diplomate Charles W. Freeman, pressenti pour occuper le poste de président du National Intelligence Concil. L'AIPAC fait mine d'être en retrait, mais ses sbires, dont David Rosen, son ancien directeur, qui doit comparaître devant un tribunal en avril pour espionnage au profit d'Israël, ont lancé une campagne particulièrement indigne contre Freeman. A leurs yeux, Charles Freeman a fait montre d'un franc-parler « déplacé » sur la politique israélienne. Freeman signifie « homme libre », il ne l'est que trop pour le lobby.

La cabale menée contre lui a été si intense, massivement relayée par les médias, qu'il a décidé de se retirer, malgré le soutien publiquement exprimé par l'amiral Denis Blair. Non sans clairement s'exprimer, dans une lettre rendue publique, sur un « lobby puissant décidé à empêcher que soit diffusée toute opinion autre que la sienne, et encore moins de laisser les Américains comprendre les tendances et les événements au Moyen-Orient ».

Dénonçant la stratégie de ce groupe qui «touche le fond du déshonneur et de l'indécence », il souligne que son objectif est « le contrôle du processus politique par l'exercice d'un droit de veto sur la nomination des personnes qui contestent le bien-fondé de son point de vue, la substitution d'une justesse politique de l'analyse et l'exclusion de toutes les options pour la prise de décisions par les Américains et notre gouvernement autres que celles qu'il favorise».

Charles Freeman relève avec pertinence l'ironie d'être accusé par un «groupe ayant aussi clairement l'intention de faire appliquer une adhésion à la politique d'un gouvernement étranger, dans ce cas le gouvernement d'Israël». Le veto sioniste à la nomination de Freeman est la démonstration éclatante de l'impossibilité pour un patriote américain de servir son pays en conservant sa liberté d'esprit. Sa lettre est bien celle d'un homme libre qui casse un tabou en pointant du doigt la mise sous tutelle des Etats-Unis par un groupe prêt à toutes les manipulations. Ceux qui nourrissaient des illusions sur la capacité de Barack Obama à mener une politique plus équilibrée au Moyen-Orient devraient se réveiller définitivement. Sa marge est infime. Les néoconservateurs sionistes les plus ineptes - Perle, Wolfowitz... - ont disparu, mais cela n'a en rien entamé l'hégémonie d'Israël sur les appareils d'Etat US.

Le renoncement de Freeman, avec une mise en cause publique du lobby, n'est pas un cadeau pour Obama. Sa capacité à mener le « changement » est en cause. Les patriotes qui osent penser différemment et distinguer entre l'intérêt des Etats-Unis et celui d'Israël n'ont pas leur place dans un système hyperpuissant mais soumis.

A moins, chose improbable au vu des orientations dominantes des médias américains, que cette lamentable mais néanmoins significative affaire ne provoque un vrai débat sur l'influence disproportionnée d'une organisation entièrement dédiée à la défense d'un Etat étranger. Y compris contre les intérêts des Etats-Unis.