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Tribulations d'un raboteur d'urnes

par El-Houari Dilmi

La main à l'ouvrage, à quoi peut rêvasser un ouvrier rabotteur d'urnes ? A la qualité du bois donné à manger à son métier passé de toutes les modes et si loin de tous les temps? A comment utiliser une échelle quand on a toujours monté un escabeau ? A l'Algérie «post-avriliste» qui surgira de derrière les isoloirs en caftan doré ? A la couleur des yeux et la taille du grain de beauté du prochain locataire du palais d'EL-Mouradia ? Au prix de la baguette de pain et du sachet de lait d'ici à l'arrivée (ré) annoncée du même et unique aréopage gouvernemental ? Au destin flou de ses congénères d'infortune, les ouvriers déclassés sociaux et de tous les travailleurs maintenus au ras de toutes les échelles ?

Réputé pour être le contribuable le plus honnête du pays selon l'ouvrier raboteur d'urnes, le travailleur-salarié à la suée sous-payée et aux sous-vêtements délavés attend toujours de se voir, enfin, «rétribué» pour son rôle de citoyen mi-mort, mi-vivant au service d'un pays resté trop longtemps inutile aux yeux de ses propres «occupants»...

Par l'effet spécial d'un psychédélisme d'un autre âge, le salarié au coeur fripé est préféré au privé vampirisé, aux castreurs d'ambitions, aux vendeurs de rêves périmés, aux «blouseurs» aux crocs érodés, aux abuseurs de la pire espèce et même aux «embobineurs» de tous poils. Feu le lumpenproletariat aura vécu qu'il est aujourd'hui enfin porté au pinacle par ceux là-mêmes qui ont scié la branche grasse sur laquelle il roupillait sans jamais cauchemarder dès lendemains cruellement «déchantants».

Moyennant une urne à la fente obstruée, il parait que le travailleur-salarié aura droit sous peu à un salaire net «allongé» de quelques dépoussières, en attendant que le prochain cascadeur-alpiniste atteigne sans piège à loup, ni chausse-trape, le sommet de la république. Dehors, le peuple des votants à la tête à parler de Khalifa, selon le raboteur d'urnes ; Khalifa, cet homme invisible, incolore, inodore et même «volant» en plus, «indigène de la république» selon des langues pendouillantes, auquel on aurait fourré par pelletées entières de faux papiers dans son dossier «engrossé» pour le condamner à une peine de malheur à perpétuité.

Un peu plus haut, dans les alcôves secrètes des cimes ennuagées, chez les hommes souffrant de «politite», l'on parle avec effroi de ce scientifique-trapéziste qui a osé le saut dans le grand vide en se jetant tête la première dans le marigot des caïmans avec une chance sur mille de gagner un kopeck au marché aux dupes. C'est que l'ex-futur président a juré aux Algériens que plus rien ne sera comme avant; que seuls les meilleurs d'entre les meilleurs survivront à l'Algérie postélectorale par la grâce d'une «sélection naturelle» imposée par la «main» toujours invisible de «l'Autre». En pataouète dans le texte, cela veut dire que seuls les plus costauds aux épaules aussi larges que le Mur de Berlin, les discoureurs de méfier, les débrouillards par vocation, les vicieux de formation, les fourbus de naissance et, avec eux, toute l'engeance des «esprits malins» auront droit à leur portion d'Algérie. Le reste, c'est-à-dire les autres, tous les autres, les pressés, les compressés, les laissés-sur-le-carreau, les sans-grade, les sans-niveau, les sans-destin, les sans-avenir, les sans-le-sou, les sans-logis, les sans-boulot et les sans-veine seront momifiés vivants et enfouis dans des sarcophages faits à partir de boyaux de chacal. L'Algérie post-avriliste sera ou ne le sera pas : elle le sera pour tout le peuple des votants sans distinction de couleur de peau, de tour de taille, de volume de ventre, de grosseur de cou, d'épaisseur de poches ni même de goût (s) de gibier (s) ou d'odeur de bergerie.

L'Algérie ne le sera pas pour tous les autres : les algéro-sceptiques en réserve de la République, les boudeurs d'urnes, ceux qui pensent que les élections encouragent le charlatanisme, les déserteurs des grands rendez-vous, les abonnés-absents à tous les appels et toute cette faune qui se cache derrière un silence de mort quand tout le pays, en surface et par grand fond, a une envie folle de faire un boucan d'enfer...!