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Ahmed Fouad Negm à Oran : Quand la poésie arrime au théâtre

par A. El Kebir

Une table ornée de fleurs, un verre d'eau, un micro et le compte y est. On n'attend plus que l'arrivée du poète. Le théâtre Abdelkader Alloula est bondé de monde, tous étaient là pour voir, caresser du regard, le grand poète égyptien, Ahmed Fouad Negm. Et quand il fit son apparition, accompagné de quelques animateurs, comme s'ils s'étaient donnés le mot, toute la salle, gagnée par l'émotion, se leva pour lui offrir une véritable standing-ovation, avant même le récital.

Il faut dire aussi que le public avait de quoi être ému : voilà près de vingt-cinq ans que ce grand homme n'avait pas foulé le sol algérien. Depuis 1985, pour être plus exact. Pourtant, il connaît très bien le pays : longtemps, il y avait vécu en exil ; c'est dire si l'émotion était palpable, même chez lui.

Negm est avant tout un poète révolutionnaire, l'éternel révolté, un homme possédant parfaitement le sens du verbe et ne ménageant personne, ni Israël ni les dirigeants arabes. Il est à noter au passage qu'il n'est nullement, et n'a d'ailleurs jamais été, le petit « artiste » gentillet, faisant mine de pousser des coups de colère pour épater la foule, mais caressant en vérité « les maîtres » dans le sens du poil. Lui, il a dû chèrement payer son audace, et ses quatrains, pour leur subversion, lui ont valu plus de 18 années d'emprisonnement. Mais fort heureusement pour ses fans de la première heure, ni ces années de taule, ni les nombreuses tentatives d'intimidation faites à son encontre, ni mêmes ses années d'exil n'ont réussi à le faire taire. Et, aujourd'hui encore, du haut de ses quatre-vingt ans, il est toujours debout, grillant de temps à autre une cigarette, et ne regrettant rien de ses prises de positions passées. Non seulement il les revendique, mais il continue à pointer du doigt, par des paroles toujours séditieuses, la corruption des régimes arabes. Negm est également l'ami de Cheikh Imam, ces deux monstres sacrés de la chanson révolutionnaire arabe étaient indissociables; et on ne parlait jamais de Cheikh sans citer Negm ni parler de Negm sans citer Imam. Parmi ses plus célèbres poèmes écrit pour Imam, se trouve bien sûr « les yeux des mots », ou encore «les mots sont amers ». On peut d'ailleurs, à titre illustratif, se souvenir d'un extrait d'un magnifique poème chanté par Imam, et intitulé, par goût de provocation sans doute : «sur la fiche d'un prisonnier» : «Nom : patience, chef d'inculpation : égyptien (...) »

Ce petit extrait résume à lui seul comment était la façon de penser de ce virtuose du verbe, et on devine assez aisément que ce « détenu » qu'on accuse d'être Egyptien peut très bien être l'auteur même de ce poème.

Après Alger, le voilà de retour à Oran, où il avait donné un récital de poèmes mercredi dernier. Et lors de ce même jour, au matin, il avait animé à l'hôtel Montparnasse, à deux pas du théâtre Alloula, un point de presse au cours duquel, encore une fois, il n'a pas hésité à clamer ses quatre vérités, et fustiger les régimes arabes, et leur mainmise sur le pouvoir. D'ailleurs, il s'est longuement penché sur la question du monde arabe, et n'a pas hésité à user d'adjectifs parfois « colorés » pour décrire à sa façon ce qui se passe actuellement dans cette Ouma. Il a aussi parlé, un sujet parmi d'autres, de la situation de la femme dans le monde arabe, regrettant qu'elle ne soit pas assez respectée, et qu'on continue à bafouer les droits. Et à notre question de savoir si, selon lui, son public actuel avait changé par rapport au temps où il vivait en exil en Algérie, il nous a répondu du tac au tac, avec une pointe d'ironie : « bien sûr... aujourd'hui, c'est le temps du hip-hop et du hijab... » Ensuite, quand on lui a demandé s'il est encore révolté par la situation mondiale... ou si, désabusé, il se retrouve aujourd'hui sombrant dans la résignation, il nous a confié qu'il était, malgré tout, toujours optimiste, et que «tant que les mères porteront des nouveau-nés, il y aura toujours de l'espoir». Son arrivée en Algérie s'inscrit dans le cadre de la manifestation culturelle : « El Qods, capitale de la culture arabe 2009 », manifestation qui ne pouvait en aucun cas avoir lieu à El-Qods même, et cela en raison de l'occupation du territoire. C'était sous une ambiance bonne enfant que le récital donné à 17h s'était déroulé, la salle était enthousiaste, détendue, et il y avait comme un air de liberté flottant dans les airs. C'était avec simplicité et beaucoup d'humour que le poète avait abordé le public, un public conquit à l'avance. Ensuite, il avait tenu, et ce, séance tenante, d'entendre les vers de quelques poètes contemporains algériens. On avait alors droit à toute une kyrielle d'artistes, parfois même des enfants, monter sur scène pour déclamer des poèmes. A la fin du récital, en guise de remerciement pour sa visite en Algérie, les responsables du théâtre lui ont offert un petit coffre en bois, fait des mains mêmes de Abdelkader Alloula, et dans lequel il y avait quelques dizaines de recueils de poèmes algériens. Le poète les remercia chaleureusement et, avant de s'en aller, il ne manqua pas de saluer la mémoire de ses deux amis de toujours, ses deux frères, qui sont Cheikh Imam et Abdelkader Alloula.