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L'info sous l'œil inquisiteur des médias: Cultiver le paradoxe et faire fleurir l'imaginaire

par Mohamed Bensalah

Tentons une observation aérienne du champ de bataille médiatique actuel et essayons de nous interroger sur les bouleversements en cours dans le monde de l'information afin de trouver des réponses pertinentes et appropriées sur les enjeux et stratégies en action.

L'autre centre d'intérêt à explorer qui nous semble tout autant essentiel est celui relatif au nécessaire diagnostic à établir sur la crise médiatique endémique qui perdure au sein de la société civile et cela, malgré le dynamisme et les efforts incessants de certaines élites. Précisons tout d'abord une chose : l'information dont il est question aujourd'hui ne se limite pas au seul flux politique exogène occidental. Elle est polymorphe et concerne toutes les latitudes et plus particulièrement les contrées sevrées de savoir, de culture et assoiffées de nouvelles de toutes natures, écrites, audiovisuelles, cinématographiques et informationnelles. Premier constat : les moyens de communication amplifient et déforment trop souvent les événements. Ils servent donc de véhicule à la propagande de toute nature. Ce débat, toujours d'actualité, déroute parfois une opinion publique inquiète et fatiguée par des années d'instabilité chronique, de violence sans fin. Face aux médias, une déprime généralisée se manifeste, liée à la situation sociopolitique et économique délétère qui confine à la paupérisation de très larges couches de la population frappées de plein fouet par les nouvelles catastrophes enregistrées ici et là : pandémie, chômage, pouvoir d'achat en baisse auxquels s'ajoute un risque de guerre généralisée comme vient de l'annoncer Poutine ce 9 mai. Les grands shows médiatiques autour de tous ces thèmes, et plus particulièrement ceux relatifs à l'immigration, à l'islam, au port du voile, du burkini et que sais-je encore, jettent de l'huile sur le feu et polluent les esprits à coup de mensonges éhontés et d'amalgames transformés en véritable fonds de commerce. A l'aune de la bêtise, une religion de paix et de respect est fanatisée et diabolisée à l'extrême par des aventuriers ignorants, de la trempe d'un machiavélique Zemmour ou encore d'une diabolique Le Pen, monstres prêcheurs de haine qui squattent tous les studios pour incruster dans les cerveaux et les mémoires leur venin. Peut-on rester insensible aux agressions permanentes caractérisées, amplifiées par les médias ? Est-il impossible de dénoncer l'imposture totalitaire et la propagande rétrograde diligentée via les canaux des Bolloré et consort ?

Il existe de brillants causeurs et des polémistes redoutables mais, ils ne sont pas toujours les bienvenus dans les salles de rédactions. Les maux et les affaires ne vont pas toujours ensemble. Que peuvent les Apathie et autres grandes plumes reconnaissables à la forme, au style et surtout à l'honnêteté de leurs interventions ? Que peuvent-ils face aux magnats qui monopolisent tous les secteurs des médias (écrits, audiovisuel, télé, vidéos, numérique, radios, édition...) ? La galaxie Bolloré qui s'est accaparée de tous les secteurs exerce partout sa loi en veillant au grain (1). L'avalanche de faux dévots sans foi ni loi qui l'accompagne parasitent, sans haine dissimulée, tous les débats. La finance omniprésente dans tous les secteurs permet aux médias de se métamorphoser en puissance politique et aux éditorialistes de s'autoproclamer penseurs en s'accaparant, de manière active, les rênes des débats politiques. Notre chronique aujourd'hui, ne pouvant accueillir tous les acteurs de ce vaste domaine d'intervention, nos propos se limiteront à quelques Narcisse à l'égo surdimensionné qui se prétendent « spécialistes de l'info ». Parmi ces experts en lavage de cerveau médiatique, grands donneurs de leçons, Pascal Praud, devenu vedette par la bonne grâce d'un Bolloré, Sonia Mabrouk grande manipulatrice aux allures de star du discours sémantique et celui qui voulait devenir grand reporter et dont l'image sulfureuse lui a valu de profondes inimitiés. Ardent défenseur de Zemmour, il intervient toujours sur « Europe 1 » et sur « Direct 8 », dans « Morandini », une émission qui porte son nom. Tous ces agents et complices du magnat de la presse sévissent encore en tenant le haut du pavé pour glorifier et promouvoir les Eric Zemmour et consorts. Si aucun d'entre eux n'ignore l'efficacité de la communication pour charmer et séduire, ils ne sont pas sans ignorer qu'un flot ininterrompu d'images mène vers la surinformation qui provoque irrémédiablement la désinformation. Malgré toutes les attentions à son égard, les 7% de supporteurs ne sont plus en mesure de parler de victoire. Cette ambiguïté croissante, ce mélange de genres témoignent de grandes fautes médiatiques.

Les magnats des médias face aux professionnels sérieux

Patrick poivre D'Arvor (PPDA super-star) en a fait les frais. Ce véritable ripou harcelé de toutes parts a fini par écrire un livre pour expliquer qu'il a une conscience (2). Le grand professionnel qui semble avoir vendu son âme au diable en raison de ses bassesses a manqué à son devoir. Son statut, son crédit et son honneur semblent de peu d'importance. De quelque côté qu'il tourne son regard, il aperçoit les stigmates de la corruption. Ici, un bracelet de luxe offert, la une villégiature de rêve, là un séjour en grand hôtel et la encore un voyage paradisiaque en avion spécial affrété. La distorsion partisane des faits les plus patents ne fait aucun doute chez ce journaliste qui cache soigneusement la réalité. Mais chez PPDA le désir de scoop l'emporte sur l'austère prudence des règles d'info. A nouveau donc situation scabreuse. Ce dernier enregistre des questions à Fidel Castro pour diffuser un entretien qui n'a pas eu lieu. La vérité sera dévoilée bien plus tard. PPDA s'était tout simplement mis en scène de manière éhontée.

Autre bavure, autre autopsie. Certains faits laissent de lourdes séquelles des décennies après leur déroulement. Le journal « Le Nouvel Observateur » pensait détenir un document inédit sur Saddam Hussein, vérifié, en collaboration avec TF1qui de son côté enquête et authentifie. Après quelques hésitations les rédacteurs se lancent. Grande bévue et grand scandales au point où les 2 grands médias sont obligés de minimiser leurs erreurs et de s'excuser.

Déontologiquement, ces falsifications dont les organes de presse usent et abusent, sont très graves. Les excuses à ces dérapages de plus en plus permanents sont mises sur l'accélération du temps, l'urgence absolue d'être à l'heure, la concurrence et la nécessité d'être les premiers à donner l'info. Autre constat tout autant significatif : l'implacable enquête qui a sérieusement ébranlé l'establishment politico-médiatique : le conflit d'intérêt entre les Woerth et les Bettencourt.

A l'origine de la déflagration : une classe politique déclarée au dessus de tout soupçon, dans l'impossibilité de s'autoréguler, un trésorier du parti au pouvoir (UMP) ambitieux et sans scrupule qui n'arrive pas à refuser sa nomination comme ministre du budget alors que son épouse gère la fortune des Bettencourt et un messager (Site Mediapart d'Edwy Plenel) qui est cloué au pilori pour avoir osé publier les enregistrements du majordome de Mme Bettencourt après authentification et enquêtes (3).

L'ex-président Sarkozy a laissé de grandes séquelles. Cela dit, malgré tous les abus constatés, les fautes graves et les faits arbitraires et anachroniques, l'ex-chef de l'Etat, qui a accumulé un nombre considérable de procès en justice, est toujours en liberté. Il était même au premier rang des affidés le 7 mai dernier, lors du discours d'investiture.

Cet exemple édifiant de manipulation médiatico-politique, dévoilé grâce au journalisme d'investigation n'est malheureusement pas unique. Mediapart, le Canard enchaîné, comme d'autres journaux qui mènent de manière approfondie leurs enquêtes ont à leur actif plusieurs affaires ramenées à la surface, nombre d'affaires scabreuses. Leurs articles et leurs reportages parus dans la presse en général, et tout particulièrement ceux réalisés par des journalistes d'investigation comptent parmi les sources les plus importantes d'information du public sur les affaires de corruption même transnationales.

Les médias sont une source essentielle dans la détection des affaires de corruption nationale, transnationale et les opérations suspectes de blanchiment de capitaux. Mais si enquêter exige du temps et de la persévérance, révéler les résultats s'avère être une démarche difficile et à risques, surtout si l'enquêteur dispose de documents explosifs, de « Procès verbaux » ou d' « extraits d'interrogatoires judiciaires ou policiers ». Il doit être mis en contact direct avec la personne interrogée et avoir accès à l'ensemble du dossier, ce qui n'est guère une sinécure, les « Procès-verbaux » peuvent être des éléments de l'enquête journalistique mais sans s'y substituer. La rédaction du journal « Le Monde » et celle d'autres journaux d'importance, ont souvent été amenés à débattre des mérites du journalisme d'investigation mais aussi des risques de dérives qui proviennent parfois d'une connaissance limitée des dossiers. Une commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias qui œuvre depuis plusieurs mois dans la discrétion absolue, a vu défiler tous les milliardaires patrons de presse a propos de la concentration des médias. Les alertes émanant de Jean-Raymond Hugonet (LR) s'opposent à celles du socialiste David Assouline, à propos du pluralisme de l'information. Bolloré est heureux et Arcom l'ex-CSA, rechigne.

Information/Communication : un concubinage anodin et insidieux

L'impression qui se dégage de tous ces dysfonctionnements est que les médias n'informent plus, ils communiquent. La communication est entrée dans les rédactions. Ses budgets ont décuplé. Il y va de l'image de l'entreprise autrement dit de sa réputation.

On tisse avec les journalistes des liens amicaux qui rendent compte de ses activités mais aussi de liens aussi étroits que possibles, fait d'invitations fréquentes, de séminaires et colloques bien rémunérés, et de cadeaux. Le journaliste devient alors un confident, un complice, un partenaire, qui « comprend » toujours les raisons de l'entreprise bienfaitrice et qui donc minimise ses erreurs ou n'en parle peu. Certains entre même en collusion avec des entreprises à grands budgets de communication, tissent des liens parfois étroits et même des relations personnelles cordiales enveloppantes. Zemmour en est un excellent prototype. Ce genre de « journalisme » embarqué dans les arcanes dorés de la politique et du pouvoir, masque les non-dits passé sous silence et impossibles à vérifier. Pour redorer son image de marque ou protéger ses intérêts en cas de litiges graves, l'entreprise a besoin d'un réseau mondial de collecte instantanée des images et de l'information. Nous l'avons constaté à l'occasion de la crise sanitaire liée aux empoisonnements. Le journaliste complice aux aguets sait, comprend, anticipe la portée de ces événements. L'ennui est que les lois de la communication et celle de l'information ne sont pas les mêmes. Communiquer c'est transmettre, c'est informer, raisonner, expliquer, convaincre. Mais c'est aussi, intéresser, émouvoir, influencer, amuser. La publicité, les relations publiques, les conseils en communication ont leur noblesse, leur intelligence et leur créativité mais attention, surtout lorsque l'on tente de pactiser avec les marchands des temples cathodiques ?

Nous avons soulevé le cas Bolloré, l'un des patrons les plus puissants de France. Son poids et son influence dans les médias et l'édition interroge et inquiète sur ses motivations profondes, surtout lorsque l'on sait ses proximités avec une certaine gent du pouvoir ? Parler de lui revient à parler de ses méthodes brutales, de ses manigances et autres coups bas lors de ses montages financiers, aussi tordus qu'opaques (4). Pour la reprise de la chaîne cryptée, Canal + qui finance aussi le cinéma français, il perd prés de 200 millions d'euros alors que son chiffre d'affaire est de 20 milliards d'euros de revenus. Avec ses 80 milles salariés, il est omniprésent dans tous les secteurs et tous les pays : en Italie, en Afrique, en Amérique, en Chine... Il veut ajouter à sa galaxie un Netflix européen. De ce fait, il fait peur à tous ceux qui croisent son chemin et effraie même les autorités européennes de la concurrence qui lui interdisent d'exercer un monopole commercial. L'exemple édifiant des éditions Plon qui ont renoncé à publier une biographie de Zemmour rédigée par Etienne Girard de l'Express est symptomatique. Pour éviter les foudres, l'ingérence dans les publications et surtout dans les nominations ne se pose plus. Résultat : autocensure et désir de plaire au boss. Bolloré impose son casting à la tête des titres de presse du groupe Lagardère, comme dans l'édition où la panique est constante. Chez Fayard, Flammarion, Grasset, Editis, Hachette, Actes-Sud, la peur s'est infiltrée et pour longtemps. Même situation à Europe 1, au JDD, à Paris Match, à CNews et à « Valeurs actuelles », fer de lance de la droite extrême. Nous allons clore par une triste nouvelle :la disparition du journal « Liberté » (5).

Dernier constat enfin à méditer, celui de François Fillon, un candidat favori pour la présidence , qui avait fait de la moralité politique son cheval de bataille et qui se retrouve plongé au cœur d'une affaire judiciaire dévastatrice. Le « Pénélopegate » a replacé au cœur du débat l'enjeu de la transparence et de la moralisation de la vie politique.

Notes

1- Peut-être est-il utile de le rappeler : derrière « Le Figaro », il y a le groupe aéronautique et fabriquant d'armement Dassault. Derrière les actions du groupe Lagardère qui contrôle l'aéronautique militaire et l'armement et qui détient 17% des actions du « Le Monde », se niche « Le Journal du dimanche », « Paris-Match », « La Radio Europe 1 » et les « Editions Hachette ». Le groupe des travaux publics Bouygues possède TF1. Bolloré, qui outre ses activités dans le secteur portuaire, comprend des journaux gratuits, Havas, la STP (société française de production et télévision direct8, dirigé par Vincent Bolloré, un proche de l'ex-président de la République, comme Martin Bouygues et Bernard Arnault. L'AFP ? Agence France Presse, n'arrive pas, en dépit de des efforts de ses journalistes, n'arrive pas toujours à maintenir son indépendance éditoriale. Ce qui la place dans une situation à la merci de toute sorte d'interventions directes. »

2- « L'Homme d'image » avec son alter-égo, Françoise Verny. Ed. Flammarion.

3- Les rapports médias/ pouvoir ont été extrêmement malsains. Ministre de l'intérieur, il exerçait déjà des chantages et menaçait des foudres judiciaires citoyens et professionnels (Cf Ed. First interdites de publier un livre sur Cécilia Sarkozy). Au responsable de « Les Echos» médusé, il annonce sa démission et son remplacement car tel était le souhait du magnat Bernard Arnaud du groupe économique LVMH, fin 2007. Même manière d'agir à l'occasion de la recapitalisation du « Monde ». Le boss est convoque, comme d'habitude, pour être menacé de l'arrêt de l'aide de l'Etat prévue pour la modernisation de l'imprimerie, s'il s'oppose aux nominations d'industriels de la presse. C'est lui qui nommait et dégommer les patrons des médias.

4- Ce seul cas nous montre à quel point les médias, emportés dans nombre de tourbillons (la logique du marketing, les paradoxes de la publicité, les châssis-croisés du zapping, la quête de l'audimat et du direct à outrance et en permanence...) font face à une véritable guerre médiatique où tous les coups sont permis. Hersant Robert, l'autre Magnat des médias, n'est pas sans ignorer les dangers d'une uniformisation du secteur car, les considérations économiques occupent davantage les esprits des ténors que la liberté éditoriale. Est-ce acceptable ? A-t-on le droit de fermer une entreprise de presse viable et de mettre tout le personnel à la porte du jour au lendemain et sans aucune raison apparente ?

5- Issad Rabrab le patron de Cevital, l'actionnaire majoritaire a fermé le quotidien « Liberté », le 6 avril, après 10 années d'intense activité est un cas à ajouter sur la liste de nos incohérences nationales. L'opinion publique et le pouvoir politique ont été interpellés en vain !