Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Nuisances et pollutions sonores, un délit de malveillance

par Amrani Ahmed*

Toutes nos agglomérations et nos cités ne sont pas épargnées par ces désagréments qui portent atteinte à la quiétude voire à la santé physique et mentale de ses résidants. La croissance de la population, la densité de l’urbanisation et la diversité des activités humaines, génèrent du bruit d’intensité, de fréquence et de durée proportionnellement aux métiers exercés.

L’intitulé de cette contribution, sciemment utilisé, pour exprimer par euphémisme une mise en danger des citoyens par l’indifférence des pouvoirs publics en charge de cette problématique qui est pourtant réglementée et le comportement inconscient, parfois délibéré et cynique de certains individus qui jouissent d’une impunité effarante.

1- Nuisances et pollutions sonores :

Les développements technologique et industriel ont produit des machines et des outils améliorant considérablement les conditions de vie et du travail du commun des mortels. La gamme de ces utilitaires, des moyens de transport, des engins de grands travaux, des objets électroménagers aux instruments divers et variés, émettent différents bruits et sonorités à même de polluer l’environnement professionnel ou de repos du citoyen. Les préjudices en corrélation à ces ambiances acoustiques se manifestent en fonction de la durée d’exposition et l’ordre de grandeur du niveau sonore.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), définit la pollution sonore aux bruits cumulés de sources différentes, dont l’exposition quotidienne diurne ou nocturne, impactent insidieusement la physiologie auditive, extra auditive et l’écosystème dans son ensemble.

Le sonomètre est l’appareil de référence pour la mesure de l’intensité acoustique ambiante dans les zones d’habitations, dans les voies et lieux publics ou privés. L’unité de mesure est le décibel «dB», donné en l’honneur du physicien qui a inventé le téléphone A. Graham Bell. L’échelle de mesure pour représenter les niveaux sonores en décibels, s’étale de (0) dB correspondant au seuil de perception audible à (120) dB qui équivaut au niveau de la nuisance douloureuse.

La ligne directrice et les recommandations de l’OMS de 2018 sont résumées dans le tableau ci-joint :

Résumé des valeurs recommandées par l’OMS en 2018 en fonction de diverses sources de bruit

Sources de bruit environnemental Niveaux d’exposition recommandés à l’extérieur, sauf pour les loisirs (indicateur de mesure) le jour

Niveaux d’exposition recommandés à l’extérieur, sauf pour les loisirs (indicateur de mesure) la nuit    

Bruit de la circulation routière    

53 dBA (Lden)    
45 dBA (Lnight)
Bruit du trafic aérien    
45 dBA (Lden)    
40 dBA (Lnight)
Bruit du trafic ferroviaire        
54 dBA (Lden)    
44 dBA (Lnight)    
Bruit d’éoliennes    
45 dBA (Lden)    

Qualité de preuve trop faible pour formuler des recommandations    

Bruit des loisirs (en considérant l’exposition cumulée à l’ensemble des sources, fêtes, stades, spectacles, etc.)    

70 dBA (LAeq, 24 h) Moins de 22H    

Bruits impulsionnels et d’impacts (feux d’artifices, armes à feu, etc.)    

140 dBC (LCpeak) ou (Lpeak,lin)120 dBC

(LCpeak) ou (Lpeak,lin) Interdits près des habitations    

2- Impacts et morbidités :

L’environnent urbain et suburbain est un écosystème de vie autant pour l’humain que pour la flore et la faune. Les sons sont une composante inhérente aux interactions du vivant et nécessaires à la communication, l’orientatation, la perception du danger voire agréable pour le mélomane.

Le bruit devient un important enjeu de santé publique dont la médecine du travail est la mieux réglementée. Par contre les autres disciplines sous-estiment ou peinent à relier les effets nocifs du bruit sur la santé physique et
psychosociale.

A) Maladies cardiovasculaires : le stress permanent du bruit induit des secrétions physiologiques (Adrénaline, Noradrénaline et Cortisol). Par conséquent les effets avérés sont l’hypertension artérielle et l’infarctus du myocarde par exposition chronique aux bruits routiers et aériens. Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont parfois évoqués pour les sujets à comorbidités et riverains des voies et ambiances dont le seuil sonore est excessif.

B) Perte auditive et acouphènes : le déficit auditif se définit comme la perte de sensibilité auditive en rapport à l’ambiance sonore à laquelle est exposée une personne et qui altère la compréhension et la communication.

• pas de déficit (25 dB ou moins)
• déficit léger (entre 26 et 40 dB)
• déficit moyen (entre 41 et 60 dB)
• déficit sévère (entre 61 et 80 dB)
• déficit profond comprenant la surdité (81 dB ou plus).

Les acouphènes sont des bruits parasites (bourdonnement, sifflement, etc..) perceptibles en dehors de toute exposition sonore et sans lien à une pathologie ORL ou autres affections. Ce sont des sensations résiduelles à une pollution sonore chronique. C’est une gêne qui entraine des insomnies voire des dépressions nerveuses.

C) Manifestations psychosociales : le dérangement ressenti en période d’éveil comme en nocturne, par les perturbations et les troubles du sommeil, est susceptible de causer des réactions émotionnelles et comportementales d’ampleur à même de déclencher de la colère, de l’invective, des altercations voire des rixes déplorables.

Le bruit a proximité des établissements scolaires et de formation altère la cognition, qui est le processus d’acquisition du savoir et de l’apprentissage, en interférant sur la compréhension, l’attention et la mémorisation.

L’entourage des établissements hospitaliers, des espaces de la petite enfance et des résidences de personnes âgées, fragiles et vulnérables, subissent les mêmes incommodités dont les répercussions exacerbent les effets indésirables.

3- Mesures de prévention et de lutte :

La responsabilité de la gestion du bruit incombe à une multitude de secteurs dont l’objectif prépondérant est de réduire le seuil d’acceptabilité physique et psychosociale de la pollution sonore.

-Les industries des machines outils, des engins de gros travaux, des véhicules et motocycles ainsi que les fabricants d’instruments bruyants, sont tenues d’apposer un étiquetage mentionnant l’intensité du bruit à l’intention des utilisateurs afin de prendre les mesures adéquates de protections (casques et dispositifs stop bruits, insonorisation des espaces de travail etc..). C’est une prévention à la source du bruit.

-Les services chargés de l’urbanisme, l’aménagement et l’organisation des villes, sont censés répartir et harmoniser les territoires entre zones industrielles, grandes surfaces et terrains de sports en extra muros (périphérie de la ville), les lieux d’habitation et résidentiels et les centres urbains (commerces, restauration, loisirs, jardins et places publiques).

-La circulation routière en agglomération génère du bruit mais également de la pollution atmosphérique autant désastreuse pour l’humain que l’environnement. Une gestion restrictive par la réduction en intramuros aux seuls moyens de transports publics moins bruyants (tramways, autobus, taxis, etc.), associée à une piétonisation des centres des villes, est une option judicieuse quand elle est accompagnée par des parkings de proximité et sécurisés. Le modèle est généralisé à toutes les capitales européennes. La mairie de Londres a préconisé l’instauration d’un péage urbain comme moyen de lutte contre la pollution atmosphérique et sonore.

-Les promoteurs immobiliers, les architectes et les maîtres d’œuvre disposent d’orientations et de recommandations que leurs cahiers de charges font obligation l’exécution des ouvrages aux normes indiquées.

Les matériaux de construction en façade comme en interne (murs des pièces et mitoyens), associés aux techniques modernes d’isolation s’avèrent de très bons absorbants acoustiques.

4- Conclusion :

Le bruit est un contaminant de notre écosystème, son approche comme source de nuisances physiques et psychosociales doit nécessiter plus d’attention par les différents intervenants en la matière. La sensibilisation continue, les contrôles récurrents, les sanctions administratives voire des poursuites en justice, amènent un tant soit peu de quiétude, d’harmonie sociétale et de civilité.

Je termine par un proverbe qui dit : «le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit».

Bibliographie :
-OMS environnement sonore
et qualité de vie.
-décret exécutif n° 93-184 27/07/1993 réglementant l’émission des bruits.JO n°50 du 28/07/1993.
-OCDE politiques de l’environnement.
*Docteur en Médecine.