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Spécialistes du Sud : une mauvaise solution pour un vrai problème

par Bouchikhi Nourredine*

« Les médecins généralistes exerçant au Sud pourront accéder à la formation de spécialistes sans devoir passer le concours de résidanat » C'est ce que vient d'annoncer par voie de presse le ministre

de la Santé.

Une décision qui amène à faire impérativement des commentaires au vu des conséquences qu'elle pourra avoir sur la qualité des soins, la crédibilité des diplômes et sur le moral de la corporation médicale qui a toujours cru que les connaissances, les compétences et les diplômes ne pouvaient se décréter mais bien au contraire elles se méritent et exigent des sacrifices et un travail ardu et de longue haleine surtout quand il s'agit de la santé du citoyen.

Si les objectifs escomptés derrière cette décision qu'on espère pas tout à fait encore tranchéesont louables : doter les structures des hauts plateaux et du sud de compétences pour la prise en charge des malades établis loin des grandes métropoles du nord qui regorgent de CHUs et établissements spécialisés et surtout d'une forte concentration de spécialistes ; cette décision par contre ne semble pas cerner les nombreux problèmes qu'elle aura à poser ; au lieu de prendre le taureau par les cornes elle propose des solutions palliatives pour juguler le peu d'enthousiasme des spécialistes de s'établir dans ce qui est communément appelé l'Algérie profonde.

C'est au ministère de l'enseignement supérieur qu'incombe la tache de définir les équivalences de diplômes et non à l'employeur (ministère de la santé) une confusion dans les prérogatives qui aura pour conséquence la création de « spécialistes de seconde zone » Ceci nous rappelle fortement la période où des médecins furent nommés au grade de professeur par le simple fait qu'ils étaient des anciens moudjahids ou membres du parti unique! les répercussions de ces décisions ont été catastrophiques sur la formation de beaucoup de promotions de spécialistes et sur l'évolution de leur carrière.

De nombreuses autres questions méritent une réponse ; comment ces médecins vont-ils être choisis ? Selon l'ancienneté ? Par tirage au sort ? Selon les vœux exprimés ? Ensuite ces futurs « spécialistes par décret » seront- ils aussi exemptés de passer les examens annuels du cursus spécialisé ? Ou bien accèderont-ils automatiquement les échelons d'année en année? Leur formation sera-t-elle sanctionnée par un examen équivalent au DEMS (diplôme des études médicales spécialisées) ? Quand on sait que les promotions des résidents de cette année exceptionnelle marquée par la pandémie du Covid ont d'ailleurs demandé à en être exemptes et que la tutelle a mis une fin de non-recevoir !

Ces médecins qui auront grade de spécialistes finiront un jour par exiger d'avoir le même statut que les spécialistes qui sont passés par un circuit classique à savoir passage du concours de résidanat qui demande une préparation longue et soutenue, des contrôles annuels et en fin de compte l'examen du DEMS qui souvent ne sourit pas pour beaucoup à la première tentative ; c'est dire que le parcours est assez rude et malgré tous ces gardes fous la majorité des résidents ayant emprunté ce chemin de croix n'a pas manqué de décrier dans diverses occasions la qualité de la formation à travers les manifestations et marches organisées durant des mois ! Rappelons-nous de la grève la plus longue à la fin du quatrième mandat présidentiel et les marches qui furent réprimées sans états d'âme! Accepter cet état de fait ouvrira une brèche qu'il sera difficile de combler par la suite.

Car Il s'agit là ni plus ni moins d'une injustice, un favoritisme et une ségrégation entre médecins du nord et ceux du sud et d'un déni du mérite et de l'effort que rien ne peut justifier même le manque cruel en spécialistes au sud et dans les hauts plateaux.

D'autres pays ont été confrontés et le sont encore au problème des déserts médicaux et au lieu de prêcher pour le plus simple ils ont eu à proposer des solutions dont on peut s'inspirer car cela va de la qualité et de la crédibilité des diplômes et de la formation qui souffrent déjàd'une dépréciation et de beaucoup de lacunes.

Dans les années 80 en France où beaucoup de nos compatriotes médecins ont dû s'exiler le seul diplôme de spécialiste reconnu était le DES (diplôme des études spécialisées) pour y accéderil fallait obligatoirement réussir au concours classant par mérite ; un examen des plus difficiles et pour pallier au manque des spécialistes et sans faire la moindre concession il a été instauré un autre diplôme ou plutôt un certificat le C.E.S (certificat d'études spécialisées) dénommé plu tard le DIS (diplôme interuniversitaire spécialisé) ouvert aux médecins désirant recevoir une formation spécialisée et qui n'ayant pas pu réussir au concours ou bien n'ont pas voulu le passer ; tout cela pour préserver au diplôme classique (le D.E.S) sa valeur et sa primauté ,les titulaires de ces C.E.S ou D.I.S bien qu'ayant suivi le même cursus ils ne pouvaient prétendre aux mêmes responsabilités ou postes, ni au même profil de carrière encore moins à des salaires égaux ; les postes de travail auxquels ils étaient assujettis ce sont ceux qui étaient boudés par les titulaires de DES qui en grande majorité étaient citoyens français ou issus de la communauté européenne et comptaient parmi eux très peu d'Algériens ; ils étaient affectés aux urgences ou pour assurer des gardes ; ils ne pouvaient s'installer à titre privé qu'après avoir passé de nombreuses années dans le secteur public et même après ils étaient obligés d'assurer des vacations et des gardes dans les hôpitaux publics ;leur installation est restreinte à des secteurs bien définis par le ministère de la santé ;un long parcours du combattant les attendait pour estimer prétendre au grade de spécialiste ; d'ailleurs c'est ce qui a poussé nombreux de ces médecins à opter pour le retour au bercail et une fois au pays ils ont eu toutes les difficultés d'obtenir les équivalences, au minimum ils devaient passer l'examen du DEMS ; la majorité devaient refaire une ou deux ans de stage selon la décision de la commission d'équivalence pour pouvoir après passer l'examen du DEMS et prétendre être spécialiste. Un véritable calvaire auquel devait s'y soumettre tout prétendant au diplôme de spécialisteque ce soit le DIS français ou le DEMS algérien mais qui a le mérite de conserver au diplôme son aura.

En Algérie pour parer au manque de médecins au sud et dans les hauts plateaux on semble opter pour des solutions de facilité au lieu d'encourager les jeunes diplômés à s'installer dans ces zones déshéritées par l'octroi d'avantages et de mesures incitatives qui couteront certainement beaucoup moins chères que des décisions irréfléchies ;car en fin de compte les populations du sud méritent d'avoir les mêmes chances pour une prise en charge optimale, ces mesures se résument à un salaire honorable ,des moyens matériels suffisants,une évolution de carrière meilleure compte tenu des conditions climatiques et enfin une amélioration du cadre de vie et des incitations fiscales pour ce qui concerne les libéraux ; ce qui évitera d'avoir deux médecines à deux vitesses.

Cela n'empêche pas de réfléchir à créer des certificats ou diplômes pour les médecins généralistes afin d'acquérir des compétences qui font défaut comme par exemple le diplôme d'urgentiste qui malgré son importance n'existe pas encore ;les médecins qui exercent aux urgences apprennent sur le tas ,ils ne jouissent d'aucune reconnaissance officielle et restent démunis devant les pathologies qui font de plus en plus de victimes parmi les plus jeunes des citoyens algériens comme les accidents cardiovasculaires et cérébraux ;les malades résidant loin des centres spécialisés n'ont pratiquement aucune chance de survivre ou bien au prix de séquelles gravissimes. C'est là un chantier des plus urgents qu'il faudrait entamer et qui ne demande pas une grande logistique mais une volonté et des décisions stratégiques. La gestion de la formation sanitaire doit obéir uniquement à des critères scientifiques, la formation médicale doit être mise à l'abri de toute tentative de politisation afin d'éviter de jeter l'opprobre sur les quelques diplômes qui restent encore reconnus à l'extérieur de nos frontières, le conseil de l'ordre, les sociétés savantes, les conseils pédagogiques doivent avoir leur mot à dire dans ce projet ils peuvent tout aussi à l'instar des syndicats professionnels contribuer à enrichir le débat et à proposer des solutions sans devoir redécouvrir la terre puisque l'expérience d'autres nations qui ont dû faire face au manque cruel de spécialistes peut nous être utile sans pour autant devoir sacrifier la qualité de la formation et des soins.

*Dr