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Communication institutionnelle : il lui manque le « coup d'avance » !

par Cherif Ali

A vouloir sans cesse intervenir, surtout sous forme de discours non suivis d'effet, les membres du gouvernement, disons certains, pour ne pas fâcher ou se mettre à dos tout le monde, contribuent à décrédibiliser la parole publique pour la rendre inaudible ! Et sur les plateaux télévisés, il nous arrive d'entendre des inepties et des contre-vérités débitées par tout ce beau monde, aidé il est vrai, par des journalistes plus que complaisants, guidés avant tout par leur souci de plaire au ministre invité, de faire sa promotion et d'attendre le retour sur investissement, quitte à sacrifier le sacro-saint principe «du devoir d'informer et du devoir de dire» !

Ce discrédit de la parole vaut, aussi, pour la plupart des hommes politiques, y compris ceux qui sont dans l'opposition aujourd'hui, mais qui ont été en situation de gouvernance hier.

Tous, déjà, proviennent de la même matrice !!!

Ils n'ont pas, ensuite, fait mieux que ceux d'aujourd'hui, quand eux-mêmes, intraitables et sourds à toutes revendications, étaient aux affaires.

La parole politique est enfermée dans une logique d'annonce et de promesses sans lendemain et le fossé «gouvernants-citoyens» se creuse de plus en plus et la fracture sociale aussi. Cela crée dans l'imaginaire social, une impression de «déjà-vu» et de «déjà entendu», de «promesse faite» et de «promesse jamais tenue».

Dans ce registre, certains walis ne sont pas en reste et point n'est besoin d'en dresser la liste. Ils se reconnaîtront !

La communication, faut-il le dire, est une véritable lacune dans notre gouvernance, tant au niveau national qu'au niveau local : à qui la faute ?

Aux responsables ? Peut-être bien si l'on se réfère à ces exemples :

1. Sid Ali Khaldi qui avait convié ceux qui seraient opposés au projet constitutionnel de « changer de pays ». « C'est pour la première fois que nous avons introduit le 1er Novembre dans la constitution et celui qui n'est pas content n'a qu'à changer de pays »! Un populisme de mauvais goût. Une sortie de route qui a choqué l'opinion publique au plus haut point.

2. La femme qui ne sait pas rouler le couscous représente une menace pour sa famille.» La déclaration de la ministre de la Culture, Malika Bendouda, suite à la classification du couscous comme patrimoine mondial de l'Unesco, a suscité un tollé sur les réseaux sociaux. Alors, dérapage verbal, comme le soutiennent les internautes, ou déclaration tronquée et «sortie de son contexte», comme l'a affirmé la ministre sur sa page Facebook ?

3. A l'heure ou le citoyen est frontalement frappé par une saignée financière, outrageusement orchestrée par les barons de la spéculation, à travers une hausse inexplicable des prix des produits alimentaires, de la volaille, et des fruits et légumes, le ministre du Commerce n'a pas trouvé mieux que de soulever l'urgence de l'arabisation des enseignes commerciales.

Aux journalistes ?

Aussi si l'on admet que la relation entre journalistes et responsables politiques peut paraître, parfois, ambiguë : «Off the record», micros fermés, certaines déclarations sont faites en toute intimité.

Depuis la création des chaînes de télévision privées, les journalistes s'entichent des personnalités politiques, qu'ils s'empressent ensuite de descendre en flammes, à croire que c'est consubstantiel au métier. Sans doute gagneraient-ils à modérer leur emballement, à supposer que cela soit possible.

Rappelons-nous cette période de la dernière campagne électorale, où une chaîne de télévision privée avait décidé de passer, presque en boucle, un propos tenu, en aparté, par Abdelmalek Sellal, à un sénateur du FLN, originaire d'une wilaya de l'est du pays, il en a résulté une polémique autour de ce qui a été considéré comme une «offense» aux habitants de toute une région.

De toute manière, que se passe-t-il quand un journaliste, et a fortiori la chaîne de télévision qui l'emploie, décident de ne pas respecter le «off» ?

Pendant un déjeuner, un déplacement en voiture, en train, en avion, une personnalité politique distille analyses et confidences à quelques journalistes politiques ou amis l'accompagnant. Ce n'est pas à proprement parler une interview, la règle veut que le journaliste utilise ces informations pour mieux comprendre, mieux raconter la situation politique, mais sans citer, nommément, l'auteur de ces propos. Cette même règle exige du journaliste qu'il doit respecter la personnalité qui fait la déclaration et qu'il refuse qu'elle sorte, l'idée étant de permettre audit journaliste de saisir le contexte dans lequel la déclaration a été émise. La personnalité peut, aussi, accepter, mais à condition que l'on conserve le secret sur son identité, un secret qui vaut à l'égard du public, mais qui peut s'imposer de manière plus absolue. Sur le principe, la pratique paraît parfaitement fondée : à quoi bon mettre dans l'embarras celui qui a fait la déclaration ? Mais certains journalistes pris dans le tourbillon de la quête du scoop ne mesurent pas l'effet de déflagration qui s'attache à la diffusion d'un propos ou à la publication d'une information émise en «off».

En Algérie, le foisonnement des journaux fait que la concurrence dans le secteur est féroce. C'est la course à qui sortira le scoop ou la nouvelle frappée du fameux sceau racoleur «aadjel», les fuites ou «off brisés» font souvent l'effet d'un séisme médiatique et mettent en péril les hommes politiques, certains journalistes ne prennent aucune précaution, même pas celle consistant à vérifier la teneur, encore moins celle confortant la source de leurs informations.

Le code du «gentlemen-agreement» doit reposer sur une règle bâtie sur la confiance mutuelle, -homme politique-journaliste-, or la difficulté de la pratique est évidente.

En faisant face à une concurrence accrue, entre les médias, comment un journaliste détenant une information brûlante, exclusive, un scoop, pourrait-il respecter cet accord, basé sur le bien-fondé de la morale ? Quant au contenu des informations rapportées sous le couvert du confidentiel et bien qu'elles ne soient pas, toujours, utiles ou passionnantes, le public en raffole et se délecte des «radars» et autres «périscopes» qui les hébergent, les petites phrases, les blagues, croqueuses et ravageuses, donnent l'impression au lecteur de découvrir, enfin, «ce qui se passe derrière les coulisses».

Exclusivité, actualité, concurrence, voilà trois bonnes raisons pour les médias de dévoiler un «off» qui fait la différence, accroche le chaland et fait vendre.

La parole publique est-elle encore crédible ?

De ce qui précède, peut-on affirmer qu'une crise de crédibilité de la parole publique, est une crise de confiance dans la signature de l'Etat ?

Peut-on affirmer également que la parole politique est devenue stérile, surtout quand elle est enrobée de langue de bois ?

Et dans la situation de crise que nous subissons, plus que nous traversons, comment mettrons-nous la société en marche si nos politiques sont à court d'idées et si nos ministres ainsi que nos walis continuent à se passer de communicants professionnels, à parler dans le vide, à agir sur des coups de tête, à faire des promesses sans lendemain et surtout continuer à ne pas être soumis à une quelconque obligation de résultats ?

Le secret d'une bonne communication, selon les spécialistes

Une personne qui communique bien, apparaît comme une personne charismatique, sympathique, pleine de bienveillance, compétente, cultivée, professionnelle... et la conversation avec elle est non seulement constructive, mais surtout agréable. Communiquer c'est aussi une façon de faire briller son aura, de travailler son charisme pour imposer son image devant un public qui n'est pas toujours prédisposé à vous écouter et même à vous voir.

Dans un pays comme l'Algérie et dans un environnement de plus en plus complexe, communiquer juste, avec les éléments de langage est primordial.

Force est d'admettre que notre communication institutionnelle est en décalage, il lui manque ce «coup d'avance» qui sera décisif pour tous ceux qui voudraient lui nuire !

Aujourd'hui, il faut le dire, il y a unanimité sur la faiblesse de notre communication institutionnelle.

Le Premier ministre s'en est, à l'évidence, aperçu. Mais il ne peut pas être à la fois au four et au moulin. Faire aussi le travail des autres.

Ou les évincer, in situ, face aux caméras de télévision. Méthode contre-productive pratiquée «sans vergogne» par certains walis adeptes de la «politique spectacle».

Le poids grandissant des chaînes d'information en continu, conjugué à la montée en puissance des réseaux sociaux, met le gouvernement et les ministres à rude épreuve.

Aujourd'hui, Abdelaziz Djerad est face à trois défis majeurs:

1. maîtriser plus que jamais sa parole dans un contexte d'hyper réactivité médiatique et surtout de crise économique

2. gérer la dispersion de la parole gouvernementale

3. faire confiance au porte-parole qui est, en quelque sorte l'«airbag» du gouvernement, pour répondre à toutes les questions de l'heure des journalistes y compris celles qui fâchent. De ce fait, il est grand temps pour le gouvernement de comprendre qu'à l'ère du numérique et des réseaux sociaux, la communication est un acte politique où les «états d'âme» des dirigeants et la « peopolisation» de tel ou tel ministre n'ont pas de place.

Tout comme leurs dérapages !