Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Pour une collaboration équitable avec les médecins libéraux

par Bouchikhi Nourredine*

Il en est certaines aberrations et injustices qui laissent perplexes et ce malgré l'évidence et le bon sens ; un déni de droit avec toutes les conséquences négatives que cela engendre. Je pointe par la l'indemnité misérable octroyée aux médecins libéraux en contrepartie de prestations au niveau des structures hospitalières publiques.

C'est un montant figé délibérément depuis des décennies afin de bénéficier des services des médecins installés dans le privé sans devoir en débourser le sou ; il s'agit ni plus ni moins que d'une pratique « esclavagiste » qui constitue à recourir aux praticiens libéraux contre leur gré afin de réaliser des actes le plus souvent chirurgicaux à titre gracieux puisque l'indemnité en question fixée est définie non pas à l'acte mais à l'heure et s?élève à la modique somme de 120 DA et ce n'est pas une erreur de transcription mais il s'agit bien de cent vingt dinars ! (Même pas un euro) que la majorité des médecins trouvent dégradant pour accepter de les encaisser !

Certains gestionnaires conscients de cette aberration tentent de rétablir tant que soit peu ces malheureux médecins dans leur droit légitime. En les rémunérant sur la base d'une garde médicale qui ne dépasse guère les cinq mille dinars ! Sachant qu'au cours d'une garde le médecin peut effectuer plusieurs interventions notamment les obstétriciens .Alors qu'une simple appendicectomie ou une césarienne est rémunérée en moyenne vingt mille dinars dans les cliniques .Cette disparité fait que la plupart des médecins privés n'interviennent que sur réquisition puisqu'ils refusent de consentir à accepter ces conditions humiliantes.

Ce décalage flagrant entre les honoraires si on peut les qualifier ainsi n'encourage guère les médecins à combler les déficits chroniques des services hospitaliers notamment dans les villes de l'intérieur et il constitue de surcroit une source de conflits perpétuels entre les médecins et les responsables des secteurs hospitaliers qui finissent souvent devant la justice elle-même prise au piège pour se retrouver dans une position inconfortable à devoir trancher entre le médecin abusivement réquisitionné et exploité et une administration qui se réfugie derrière une opinion publique en quête d'une prise en charge légitime notamment dans l'urgence et qui ignore tout de ces circonstances et qui est méthodiquement chauffée souvent à blanc contre le médecin accusé à tort de non-assistance à personne en danger !

Le flou réglementaire régissant la réquisition n'aide pas aussi à prendre une décision juste et équitable qui dans la plupart des cas fait que le médecin libéral en paye seul les frais.

En effet la réquisition est définie par « une injonction faite à une personne, par une autorité judiciaire (procureur ou ses substituts, juge d'instruction, l'officier de police judiciaire) ou administrative (le Wali, le chef de Daïra ou le Président de l'assemblée populaire communale) d'avoir à exécuter telle ou telle mission ». *

« Dans le cas d'un médecin, il s'agit d'un acte médical urgent visant à procéder rapidement à certaines constatations constituantes des preuves indicielles et menacées de disparition ou à porter

secours aux victimes en cas d'accidents, de catastrophes naturelles ou de calamités de toute nature ». *

En résumé il s'agit d'une obligation juridique pour répondre à une mission URGENTE La réquisition est impérative et nominative.

Ce qui n'est pas le cas dans la pratique quotidienne où la réquisition est devenue un mode de gestion des responsables incapables d'assumer leurs devoirs .Ils s'attaquent au maillon le plus faible en l'occurrence le médecin libéral qui se trouve acculé et harcelé dans le mépris total de la législation en vigueur et en absence d'une protection juridique et syndicale.

Il s'agit le plus souvent d'un simple directeur d'hôpital qui rédige et signe illégalement la réquisition ou d'un directeur de la santé de la wilaya .Certaines réquisitions sont même signées à blanc et à l'avance ! Une réquisition préméditée en quelque sorte! Piétinant ainsi la législation. La réquisition réglementaire qui est ponctuelle pour un cas précis est devenue une exception ; ce sont par contre des listes de garde qui sont établies à l'avance et désignant les noms des médecins libéraux sans tenir même pas compte de leurs obligations envers leur patientée .Ce sont les chirurgiens qui sont visés et surtout les gynécologues, la pratique a tendance d'ailleurs à devenir monnaie courante dans plusieurs villes en absence d'intervention des autorités censées protéger les médecins en tant que citoyens.

D'autres responsables de la santé ont encore poussé le bouchon plus loin en exigeant des médecins en quête d'installation de signer un accord notarié pour être autorisé à exercer en libéral ! Une condition illégale et un chantage en bonne et due forme alors que la réglementation en vigueur ne fait pas mention de cette condition d'autant plus que ces médecins avaient pour la plupart effectué leur service civil dans ces mêmes villes où ils sollicitent s'installer ! ils ont donc bien rempli leur contrat et attendent que l'administration en fasse de même ! il s'agit donc de la crédibilité des lois de la république qui est là en jeu ,piétinée par des responsables en mal d'imagination et refusant de prendre le taureau par les cornes.

Le médecin libéral s'il consent à répondre exceptionnellement à un cas urgent précis et limité dans le temps il ne peut en aucun cas être le bouc émissaire d'un système défaillant qui veut réduire les personnes à des esclaves corvéables à merci sous prétexte d'agir par humanisme. Tout travail mérite salaire et si ces gestionnaires ne trouvent aucun obstacle (financier ou réglementaire) à rémunérer un plombier , un chauffagiste ,un mécanicien ou un entrepreneur au juste prix ; tel qu'il est porté sur la facture et aussi exorbitant que soit le montant; ils ne se gênent nullement par contre à vouloir obtenir des prestations gratuites en usant et abusant de subterfuges bureaucratiques quand il s'agit du médecin privé qui apparemment est coupable de détenir une dette insolvable envers l'administration qu'il devra alors rembourser éternellement !

Ces mêmes gestionnaires prennent comme prétexte ces situations de pénuries de médecins spécialistes pour justifier leurs demandes insistantes pour faire venir des missions étrangères qu'ils n'hésitent pas à leur étaler le tapis rouge en les rémunérant en devises fortes ,en mettant à leur disposition des appartements meublés leur assurant ainsi le gite et le couvert et par-dessus tout en leur conférant une immunité judiciaire exigée lors de la rédaction des contrats pour être à l'abri d'éventuelles poursuites alors que le médecin algérien n'a même pas le droit à des honoraires équitables ! Et même en cas d'ennui médicolégal dans l'accomplissement de sa réquisition il ne bénéfice d'aucune protection faute de cadre juridique adapté. Certes certains médecins qui pour la plupart sont âgés et malades ne peuvent répondre à des réquisitions; une éventualité qui est normalement prévue par la loi mais nullement respectée ce qui donne au médecin le sentiment d'être victime d'une conspiration qui dépasse ses capacités de résistance et le pousse souvent à changer de ville pour s'installer dans les wilayates déjà bien lotis en structures hospitalo-universitaires et en cabinets pour se mettre à l'abri de cette situation en aggravant ainsi encore davantage l'état de pénurie des villes de l'Algérie profonde.

A moins d'une volonté des plus hautes autorités du pays pour parer définitivement à ce problème récurrent ce sera en fin de compte le simple citoyen qui en payera chèrement le prix.

Et ce ne sont pas les propositions qui manquent.

Pour ce qui est des spécialités chirurgicales et obstétricales l'apport des résidents de spécialité avancée pourrait être salvateur et rendre leur stage pratique bénéfique au lieu de s'amasser dans des services pléthoriques leur offrant peu de possibilités d'aiguiser leur pratique. Nous ne nous répétons jamais assez que seules des mesures incitatives financières, administratives, sociales pourraient avoir un impact sur la destination et le choix des nouveaux diplômés.

La révision urgente de l'indemnité accordée aux médecins privés en fonction des actes ou sous forme d'une allocation forfaitaire conséquente qui même si elle ne tentera pas tous les médecins libéraux elle aura au moins le mérite de rétribuer justement ceux qui seront intéressés particulièrement les jeunes installés en quête d'un nom et d'expérience et quel que soit le montant qui leur sera accordé il sera certainement bien en deçà de ce que pourra coûter un coopérant étranger !

Définir les termes d'un nouveau cadre d'une convention qui prend en compte les intérêts légitimes des deux parties pour ne pas dire dans l'état actuel des choses des médecins libéraux afin de mettre fin à cette situation d'injustice qui cible exclusivement des citoyens par le simple fait qu'ils soient médecins pratiquant dans le privé.

Enfin veiller au respect rigoureux de la réglementation et des conditions dans lesquelles sont délivrées les réquisitions qui dont tous les cas sont une exception et non une pratique courante

Et même si je ne suis pas le porte-parole le syndicat des médecins libéraux souvent sollicité pour intervenir s'est toujours montré disponible pour trouver une solution avec les autorités compétentes à cet épineux problème qui semble perdurer indéfiniment.

*(Dr)

Notes :

UNIVERSITE D'0RAN -FACULTE DE MEDECINE DEPARTEMENT DE MEDECINE

Dr. F. YANALLAH ? Maitre Assistante en Médecine Légale Droit médical et Ethique à l'E.H.U.O

1. Ordonnance n° 66-156 portant Code Pénal modifiée et complétée.

2. Ordonnance n° 66-155 portant Code de Procédure Pénale modifiée et complétée.

3. Loi n° 18-11 du 02 JUILLET 2018 relative à la santé.

4. M. M. Hannouz, A. R. Hakem. Précis de Droit Médical. OPU, Alger. 1992.