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Une journée en trains

par Paris : Akram Belkaïd

La journée, entamée aux aurores armoricaines, commence très bien. Après une vague somnolence dans le (premier) train vient une trop courte pause rue du départ, au pied de la tour brune. Bleue, est la couleur de l'enchantement. Neuf heures trente. L'heure magique, celle où les paquets humains ont presque tous embauché, où les cafés se vident et les rues respirent enfin. Le moment où l'on peut aimer la ville avant que les encombrements ne reprennent le dessus mais là n'est pas le sujet. Car maintenant, arraché à l'éclaircie, il faut courir ou presque, la ligne six, fidèle à sa réputation de fragilités récurrentes, ayant obligé à repenser l'itinéraire.

On arrive cinq minutes avant la fermeture des portes de la bétaillère, train à grande vitesse mais à prix réduit ce qui semble donner le droit à des employés de hurler après les retardataires. Et de traquer avec le zèle d'un garde-champêtre les détenteurs de bagages supplémentaires, payants cela va de soi. On en est à plisser les yeux pour lire le numéro de la voiture poussiéreuse quand un coup d'épaule manque de nous envoyer au tapis. Quinze ans de basket pour être déménagé ainsi ? La dame, et les deux qui la suivent, sont pressées de monter à bord. Maillot de l'Olympique de Marseille, coloration capillaire difficilement descriptible, elles parlent et rient fort. On ne dit rien et on embarque à leur suite.

Petite précision. On ne dit rien mais on chantonne tout de même. On fait une petite infidélité au Tot el camp És un clam et on reprend l'air d'Auteuil, comme ça, pour le plaisir de rappeler qu'en matière de football, le patron actuel, c'est Paris. Après tant d'années, de galère et de combat, Ô pour toi Paris, on va se casser la voix... Regards noirs de l'une des cagoles qui n'a pas le temps de répliquer. L'une de ses copines vient de réaliser qu'elles ne sont pas dans le bon train (lequel s'ébroue depuis quelques instants). Avec force pîtaiinng, la voici qui martèle le bouton poussoir.

En vain. Direction Nîmes et Montpellier. « Tire le signal d'alarme » dit l'une. « On partage l'amende » encourage l'autre. La sagesse empêche le geste inconsidéré. Elles s'asseyentà même le sol du couloir. Dans ce low-cost bondé, pas de wifi, pas de vente mobile et encore moins de voiture-bar. Qui sait, un jour, la paille remplacera peut-être les sièges.

Nîmes Pont-du-Gard. Un bloc de béton dans une campagne aux allures d'été sans eau. Quatre personnes sur le quai. Trois cagoles qui ne savent pas vraiment où aller - on leur a parlé d'une correspondance pour Avignon - et Mézigue qui sait qu'il a quarante-cinq minutes à passer, l'occasion d'envoyer des messages à tout va (que l'indulgence des destinataires soit bénie et, ici, remerciée). Une demi-heure passe. Un train arrive. Les trois Marseillaises s'y engouffrent. L'une d'elle nous crie « Paris ! Paris ! On t'enc... ». Une poétesse, sûrement. Quelques minutes plus tard, un employé de la compagnie nous demande où sont passées les trois dames.

Dans le train qui vient de partir, lui répond-on. Mais ce n'est pas le bon, lâche-t-il avec lassitude. Et là, on regarde autour de soi, essayant de repérer la caméra invisible qui enregistrerait le canular.

Nîmes Centre. Non, le périple n'est pas terminé. Après avoir perdu une autre heure dans les couloirs de la gare néoclassique et ses alcôves, nous voici dans le quatrième train de la journée, cernés par des lycéens bien agités. Dans le Transport Express Regional (TER) Occitanie, ça crie, ça chante, c'est heureux, ça parle de la saint-Valentin, ça regarde sans cesse son téléphone. Impossible de lire ni de travailler. Alors, on observe et on écoute. On sourit aussi quand surgissent des policiers et que les turbulents se mettent à chanter « nous, on aime la meuh ! Nous, on aime la meuh ! On est enrhumeuh ! » Attention jeunesse, par les temps qui courent, danger il y a à moquer le pandore...

Première gare sur cette ligne des Cévennes. Fons - Saint-Mamert. Nulle part ou presque. Réflexe habituel, regarder l'ami wiki. On y apprend la signification d'un acronyme qui résume cette France périphérique de plus en plus isolée : PANG. Point d'arrêt non géré. Autrement dit, pas de personnel pour s'occuper de l'endroit. On y arrive par car. On y gare sa voiture ou son vélo. A part ça, le vide et le silence. Simenon aurait adoré.

Deuxième gare. Saint-Genièsde-Malgoires. Un autre PANG. La patrie de la défunte Bernadette Laffont. Mais, m'apprend l'ami wiki, c'est dans ce village que vécut le premier maire noir, ou plus exactement afro-descendant, de France. Fils d'un colon huguenot de la région et d'une esclave antillaise, Louis Guizot fut élu maire le 7 février 1790. Quatre ans plus tard, couic. Girondin et fédéraliste, il est guillotiné lors de la Terreur. Il faudra attendre 1929 avant qu'un village de France n'élise de nouveau un Noir à la mairie... Le nez collé à la vitre face aux derniers flamboiements du jour, on se dit qu'en réalité, il n'existe pas de nulle part. Que l'Histoire est toujours à proximité. Il suffit d'en chercher la trace.

Troisième gare. Noizières-Brignon. Ici aussi l'Histoire. Plus récente. Tragique. Un train qui déraille en décembre 1957. Des dizaines de blessés, vingt-sept morts. Une erreur humaine. Au départ, le premier réflexe des médias et des autorités fut de penser à un sabotage. 1957... La Guerre d'Algérie battait alors son plein. Quatrième gare. Boucoiran. Pas grand-chose à en dire. Encore un PANG. Peut-être s'y est-il passé quelque chose, un jour, hier, avant. Écrire au journal qui transmettra. Dans quelques minutes, on arrive à Alès. Des visages amis sur le quai, des jeunes qui s'égaillent et aucune trace de cagoles.Som la gent deltren.