Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Sonatrach fait l'éloge du régime de partage de production

par Reghis Rabah*

Dans un document repris par l'Agence Presse Service (APS), Sonatrach fait un bilan de la période faste de la loi 86-14 qui a drainé un partenariat qui prenait en charge plus de 33% de la production en Algérie. De 1986 à 2005, année de la promulgation de loi Chakib Khelil, la dite loi a permis 83 contrats dont 79 partages de production, deux en participation et les deux autres en service à risque.

En tout, lit-on dans ce document diffusé par l'APS, ces partenaires ont investit entre 1986 et 2015 prés de 9,961 milliards de dollars dans les différents gisements en association avec Sonatrach. Bien que le document a omis de rappeler que l'américaine Anadarko en a extirpé 6,4 milliards de dollars, il affiche clairement la volonté de Sonatrach en insistant sur la promulgation de la nouvelle loi qui revient au PSC, de sortir du bricolage des amendements qui se limite à l'assouplissement de la fiscalité au gré de l'évolution des prix .Le retour à ce système associatif dans l'avant projet de la nouvelle loi sur les hydrocarbures va permettre selon ce document d'attirer les investisseurs vers les le vaste domaine minier Algérien exploité à peine à 4%. L'objectif de cette contribution justement est de faire un retour synoptique de cette aventure des 20 dernières années que le document chiffre son effet produit « qui a fait passer les réserves récupérables restantes du pays de 3,47 milliards de TEP en 1989 à un niveau de 5,12 milliards TEP en 1999 ».

1- les critères d'attirance des capitaux en amont pétrolier

Il faut souligner d'emblée que l'expérience mondiale a montré que lorsqu'un investisseur affiche son intention de s'embarquer dans ce domaine réputé aléatoire et très capitalistique, il évalue juste après le risque géologique, celui du pays. On entend par là, la stabilité politique qui pourrait affecter celle d'ordre fiscal. Donc la conception d'un code pétrolier représente la vitrine de cette stabilité recherchée. Il devra décrire la stratégie pétrolière et gazière d'un pays et la gestion de son domaine minier dans la durée pour les générations présentes et celles futures. La fiscalité y est accessoirement présente avec une certaine flexibilité qu'une simple loi de finances et celle qui la complète ou un simple contrat pourraient assurer son évolution pour la rendre souple sans toucher au squelette de la loi-cadre. Le tout devra être teinté d'une certaine cohérence même si la mise en œuvre paraitra impopulaire et créera un malaise sociétal.

Les exemples qu'aiment citer les responsables sont édifiants. Les Etats-Unis par exemple ne se sont pas engagés dans le schiste sans heurts. Nombreux sont ses Etats qui ont opté pour des moratoires sur le schiste et d'autres contestent la fracturation hydraulique à ce jour. Pourtant, c'est un pays qui a commencé l'exploitation des ressources non conventionnelles au 18e siècle et il l'a abandonnée lorsque les multinationales se sont emparées des concessions très avantageuses en conventionnelles. Il a tiré une leçon de l'embargo décrété par l'OPEP de 1973 pour tracer sa ligne d'une politique énergétique pour sortir progressivement de la dépendance de ces pays et devenir eux mêmes exportateurs et ne jamais dévier de cette droite quelles qu'en soient les conséquences. Ils ont réussi et malgré quelques réticences, les Américains se considèrent fiers de cette démarche. La Pologne n'exploite pas le gaz de schiste de gaieté de cœur. Elle avait un choix entre la peste : une ingérence dictatoriale de la Russie de Poutine ou le choléra de cette ressource. La souveraineté a pris le dessus, donc leur économie se développe normalement. Pour l'Algérie, la loi 05-07 de 2005 était séduisante dans ces objectifs en cohérence avec la transition vers une économie de marché entamée depuis début des années 1990. Qui n'aspirait pas à libéraliser un secteur dynamique comme celui pétrolier et gazier dans le seul souci de «maximaliser» les revenus du pays pour servir à entrainer dans leur sillage les autres secteurs ? Qui ne veut pas privilégier la souveraineté fiscale de celle du capital pour redonner à l'Etat les moyens de réguler l'économie en protégeant les couches à faibles revenus ? Qui ne veut pas aussi voir l'Etat récupérer ses prérogatives déléguées à une entreprise rongée par la corruption pour laisser l'investisseur détenir à lui seul les droits d'exploitation à une seul condition de ne pas oublier son devoir vis-vis du Trésor algérien ? Malheureusement tout cela ne pouvait se faire sans passer par l'ouverture du capital de Sonatrach que les multinationales veulent à tout prix. Au stade dans lequel se trouvait la phase de transition vers une économie de marché et l'importance de ce mastodonte comme mamelles de l'économie nationale ne permettaient pas aux Algériens de prendre un tel risque dont les conséquences pourraient être incalculables. Mais au lieu d'annuler purement et simplement cette loi dans l'esprit et la lettre, on a voulu ménager le chou et la chèvre. On aboutit donc à un rafistolage dont les conséquences se sont étalées à ce jour.

2-Revenons d'abord sur un rappel par quelques chiffres

Identifier la tendance et l'orientation des différents partenaires dans le choix des blocs offert à la concession. Contrairement à ce qui est dit ici et là, les investisseurs ne font pas la moue depuis la baisse du prix du baril en 2014 mais bien avant. Le débat stérile sur le changement de la loi sur les hydrocarbures a commencé à partir de l'année 2001. Le projet de loi conçu par un Américain du nom de Bob, devait arranger leur dessein. Certainement, ils croyaient que le pouvoir en place pouvait leur assurer une rentrée en douceur dans le capital de la Sonatrach, une fois ouvert et l'entreprise déverrouillée la résistance de l'élite qui s'est transformée en une résistante populaire, le recul du président leur a fait comprendre que la situation politique n'est pas aussi homogène comme ils l'avaient prévue. Commencent alors les délaissements. Ce qui laisse supposer que les offres ne sont plus suffisamment attractives et présentent des risques qu'appréhendent les compagnies étrangères. Le dernier appel d'offres lancé sous le régime de la loi 86/14 avait donné lieu à l'attribution de 90% des blocs proposés. Depuis la promulgation de la loi 05-07 amendée en 2006 et 2013, l'Algérie a lancé quatre appels d'offres pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures qui se sont soldés par de maigres résultats. Le premier appel d'offres lancé en 2008 a débouché sur l'octroi de quatre blocs, le second organisé en 2009 s'est soldé par l'attribution de trois blocs, et seulement six blocs attribués pour le troisième appel lancé en 2011.

Lancé en 2014, le 4e appel d'offres, le premier ayant été lancé dans le cadre de la nouvelle la loi sur les hydrocarbures promulguée en 2013 et autorisant l'exploitation du schiste, n'a permis d'accorder que quatre périmètres sur les 31 proposés. Au final, le constat est que les nouvelles découvertes de gisements de pétrole et de gaz de ces dernières années ont été surtout le fait de Sonatrach. Ces multiples échecs ont poussé l'Alnaft à orienter le futur 5e appel d'offres, plusieurs fois reporté, sur des périmètres où des découvertes qui ont été annoncées c'est-à-dire des gisements existants. Les blocs vont être orientés vers le développement et qui pourraient permettre une production rapide dès exploitation. Pourtant, les amendements de 2013 ont accordé différents avantages et exonérations fiscales. Ils ont également ouvert la voie à l'exploration des ressources non conventionnelles comme le gaz de schiste. Les amendements concernés, entre autres, la révision de la méthodologie du calcul du taux de la Taxe sur le revenu pétrolier (TRP) qui, depuis, est établi sur la rentabilité du projet au lieu du chiffre d'affaires. Les mesures fiscales incitatives visaient l'encouragement des activités relatives aux hydrocarbures non conventionnels, aux petits gisements, à ceux situés dans les zones très faiblement explorées, notamment l'offshore, et aux gisements à géologie complexe et/ou manquant d'infrastructures. Ces chiffres prouvent incontestablement que les partenaires ne veulent pas prendre les risque en campant sur une association avec Sonatrach dans l'exploitation et le développement, c'est-à-dire un partage de la rente avec les Algériens Résultat, sur un domaine totalisant prés 1536441 km², seulement 774688 Km² sont occupés dont 24% en recherche, 22% en prospection et 4% en exploitation. Prés de 761753 km² constitue un domaine vierge dont aucun partenaire n'en veut. La performance d'exploration s'écarte de quelques dizaines de points par rapport à ce qui se pratique dans le monde. 13 puits forés aux 10 000 km2 contre une moyenne mondiale de 105 pour une même superficie Comment espérer que l'Etat reconstitue ses réserves si personne ne veut aller dans les endroits difficiles. Tout assouplissement futur de la fiscalité se fera au détriment du Trésor public. Ensuite même dans l'amendement de 2013, certains articles ont été rédigés sous la pression en précipitation On demande par exemple à l'investisseur intéressé par un bloc non conventionnel de venir payer les taxes d'entrée, prendre en charges les capex de recherche pour évaluer les réserves hypothétiques de son gisement. Mais en passant à la phase de forage pour l'estimation des réserves prouvées, il ne peut utiliser la fracturation hydraulique que lorsqu'il aura l'accord du conseil des ministres. Cela lui laisse le doute à la supputation de beaucoup de choses.

3- En effet, la loi 86-14 est à l'origine de toutes les découvertes en partenariat

Depuis 1986, l'année de mise en œuvre du régime de partages de production, il y a eu à ce jour un total de 430 découvertes, dont 296 reviennent à Sonatrach seule et 134 en association soit un partenariat qui contribue à prés de 30%. C'est appréciable mais il fallait continuer avec une loi qui gagne des partenaires en réduisant ses inconvénients par une amélioration au lieu de chambouler des règles avant d'y être prêt. Quels sont justement les dysfonctionnements relevés dans l'application de ce type de contrat en Algérie ? Pour faire court et très schématiquement, un contractant qui vient dans ce cadre, s'acquitte de ses droits d'entrées et prend en charges tous les frais d'exploration et de délinéation jusqu'à l'annonce de la découverte commerciale. A ce moment Sonatrach rentre en jeu pour prendre en charge sa part dans les capex de surface. Le partage de la production se fait à la tête du puits. Mais avant cela, le contractant récupère l'ensemble des frais qu'il a engagé. C'est là où commencent certaines difficultés. Profitant d'un manque d'éthique, parfois même de complicité de l'encadrement du cocontractant, ajouté à une très mauvaise maitrise des coûts, ce partenaire gonfle ces frais engagés dés le départ et laisse très peu à son partenaire. De nombreux pays producteurs qui pratiquent ce régime contractuel, ont souffert de cette situation mais ils ont fait des efforts pour « l'améliorer » au lieu de la rejeter comme a fait l'Algérie. Résultat : le régime de concession n'a rien ramené.

4-La loi 05-07 est incompatible avec une économie totalement rentière

Il est clair que les responsables d'Alnaft n'ont pas raté l'occasion à travers cet état de fait pour expliquer le marasme de l'activité en amont par l'attente comme toujours les nouvelles dispositions. En terme simple, la loi a toujours servi d'alibi à l'incompétence et le manque de créativité. Il faut souligner que ce texte a entretenu sciemment ou inconsciemment une légère confusion sur la question du régime juridique des activités de recherche et d'exploitation. En effet, la loi sur les hydrocarbures de 2005 et son ordonnance modificatrice abrogent toutes les dispositions, notamment la loi 86-14 du 19 août 1986 instaurant le partage de production. Par contre, l'ordonnance n° 06-10 du 29 juillet 2006, dans son article 02, confirme la concession mais modifie légèrement le terme concessionnaire en désignant Sonatrach SPA, et c'est là où commence cette ambiguïté. Actuellement, dans le monde, il n'existe pas de régime de concession hybride spécifique à chaque pays. Le contour typique général est bien défini. L'Etat octroie au titulaire un titre minier exclusif d'exploration. En cas de découverte commerciale, il obtient un ou des titres exclusifs de développement et d'exploitation. Le titulaire de la concession est propriétaire de la totalité des hydrocarbures produits à la tête des puits. Il est aussi propriétaire des installations de production jusqu'à l'expiration de ses droits miniers. A l'expiration de la concession, les installations fixes reviennent à l'Etat sans indemnité pour le titulaire.

Il est possible pour l'Etat de participer dans le cadre d'un accord d'association sans aucune contrainte de l'une ou l'autre des parties. En contrepartie, le concessionnaire finance entièrement à sa charge toute la phase d'exploration en plus d'une partie des investissements de développement dans le cas où cet accord d'association se concrétise. Il paye, durant ces opérations, un bonus, une redevance superficiaire, une redevance de production en nature ou en espèce, un impôt sur le bénéfice et d'autres taxes supplémentaires spécifiques à chacun des pays où ce régime est pratiqué. Il reste bien entendu que l'Etat dispose d'un droit de regard sur le profil de production et parfois même la commercialisation de la production. Donc assimiler l'obligation du contractant de prendre Sonatrach SPA comme associé avec un minimum de 51% à un retour vers le partage de production, dont nous venons d'exposer le principe plus haut, peut constituer une déviation du régime, voire même commettre une confusion contractuelle. Tout porte à croire que le président Bouteflika, en signant l'ordonnance en 2006, a voulu ménager son ministre et en même temps stopper la grogne autour de la privatisation de Sonatrach. C'est la raison pour laquelle on peut aisément constater, à la lecture de cette ordonnance, l'empreinte de Chakib Khelil et celle de Louisa Hanoune. En effet, l'article 2, non amendé de la loi 05-07 du 28 avril 2005, précise « le principe de mobilité et d'adaptation qui caractérise l'action de l'Etat, et dès lors, à restituer à ce dernier celle de ses prérogatives autrefois exercées par Sonatrach SPA ». C'est ce même principe qui a constitué l'ossature de l'exposé des motifs de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines. Il reste incontestablement contradictoire avec les dispositions contenues dans l'article 32 de l'ordonnance n°06-10 du 29 juillet 2006 qui restitue à Sonatrach le droit exclusif d'agir pour le compte de l'Etat dans sa participation avec le concessionnaire devenu maintenant contractant. Cela ressemble à un partage de production mais ce n'en est pas un.

Ce rafistolage dans une loi cadre, a quelque peu brouillé la vision stratégique de l'Algérie en matière de politique pétrolière. Il a peut-être fait douter les entreprises internationales, pourquoi ? Parmi les fondamentaux de l'industrie pétrolière et gazière, il y a l'importance des capitaux et le risque de les investir. Le risque géologique étant favorable à l'Algérie et les entreprises pétrolières notamment françaises et, partant américaines, connaissent bien, même mieux que les Algériens, le terrain. Cela explique le taux appréciable de réussite en exploration, environ 2,5/5 contre un ratio moyen mondial de 1/5. Par contre, ces compagnies sont à cheval sur le risque «pays», lié aux relations internationales, souveraineté, stabilité politique et surtout fiscale. Il est clair que l'article 101 bis, inséré au sein de la loi n°05-07 du 28 avril 2005, instaurant une taxe non déductible sur les profits exceptionnels, n'a pas été du goût des associés mais n'explique qu'en partie leur boycott actuel de l'application des nouvelles dispositions. Il va de la crédibilité de l'Algérie d'assurer une cohérence de ces textes pour la clarté qui instaure une relation de confiance avec ses partenaires. Ils peuvent avoir un choix et dans des conditions meilleures. C'est certainement ce déficit de cohérence qui a été à l'origine de la défection de nombreux investisseurs.

*Consultant, économiste pétrolier