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Hirak: du nombre de manifestants et de son rapport avec la démocratie

par Djamel Labidi

Dans les pays démocratiques,        des chiffres sont donnés         concernant le nombre de          personnes participant à une manifestation. Ils sont un élément d'information important de l'opinion publique et ils ont donc une importance sociale et politique. Ils font donc toujours l'objet de vives polémiques entre partisans et adversaires d'une manifestation, entre services officiels et organisateurs. Mais chez nous rien de cela à propos des manifestations ayant lieu au titre du Hirak. Aucun chiffre aussi bien des autorités que des médias, des partis et divers protagonistes. Ces chiffres auraient été utiles pour suivre l'évolution du Hirak, d'un Hirak, au départ, largement consensuel à, comme maintenant, surtout des manifestants hostiles aux autorités actuelles et opposés à leur démarche de sortie de la crise. Sur une même manifestation, notamment le mardi et le vendredi, on peut lire ou entendre des évaluations aussi diverses et contradictoires que «des centaines», «des milliers», des «dizaines de milliers», ou même, lorsque la mobilisation est manifestement importante, des «centaines de milliers», des «millions». On parle alors, à la place de chiffres, de «tsunami», de «raz de marée». Il a été dit, certains jours, que la moitié des Algériens avaient manifesté. Dans d'autres cas, les appréciations, les impressions, les opinions ou tout simplement les prises de positions suppléent à l'absence de chiffres, on parle alors dans des journaux ou des sites de «manifestations monstres des étudiants», de «manifestants déterminés», de «mobilisation massive» etc.. Pourquoi cette absence de chiffres ? La question reste ouverte.

J'ai donc voulu essayer d'en savoir plus car il est possible,pour tout un chacun, de se faire au moins une idée à ce sujet. J'ai pris à cet effet la méthode la plus simple, la méthode la plus accessible en première approximation, la «méthode de Jacobs». Elle est basée sur la densité des manifestants sur une distance donnée lorsque celle-ci est connue et que les manifestants se massent sur un lieu comme c'est le cas, à Alger, pour la plupart des manifestations du Vendredi. Prenons celle du 31éme Vendredi car on avait parlé à son sujet d'une mobilisation particulièrement forte et il y a des images prises de haut concernant la surface occupée par la manifestation.Il y a 500 m de la «Grande poste» à la «place Audin», distance sur laquelle se massent en général les manifestants. Prenons plus large, 850 m soit jusqu'au cinéma»L'Algéria». On évalue en général, en moyenne, la densité à deux rangées de manifestants par mètre et à 10 manifestants par rangée. Cela donnerait 850 x 20= 17 000 manifestants dans une hypothèse basse. Dans une hypothèse haute, en calculant large, bien que la rue Didouche soit une voie étroite par rapport aux avenues d'autres grandes capitales, on aurait trois rangées de manifestants par mètre et 15 manifestants par rangées, c'est-à-dire 45 manifestants par mètre. Cela fait donc 850x 45 = 38 250 manifestants.

Dans les deux cas, le résultat est surprenant, bien loin de tout ce qui est dit. Mais poursuivons: comme il y a 8 millions d'habitants dans l'agglomération d'Alger, les manifestants actuels représentent, dans l'hypothèse la plus haute, moins de 0,5% (0.48 % exactement) de la population d'Alger. Et si on applique ce taux à l'ensemble des 44 millions d'habitants du pays, on pourrait évaluer le nombre de manifestants à l'échelle nationale à 210 375, ce qui est évidemment surestimé car il n'y a pas partout des manifestations, notamment dans les campagnes. Certes ces calculs sont contestables. J'invite d'ailleurs tous ceux qui voudraient les contester et les corriger, à le faire. Un débat à ce sujet pourrait être utile et fructueux. Il y a, pour cela, un ensemble d'outils à cela qu'on peut trouver à l'adresse URL suivante: https://gjsciences.com/2019/01/17/pourquoi-ce-blog-comment-les-comptages-sont-calcules/

On trouve tout sur Internet...

0,5% des habitants du pays peuvent-ils décider à la place de l'ensemble des citoyens ? Même si on multipliait les chiffres donnés plus haut par deux ou par trois, ce qui serait énorme, le problème resterait entier: les manifestants, par définition d'ailleurs, constituent une minorité de la population. Mais il faut prendre en compte que cette minorité a fait preuve d'une constance et d'une combativité remarquables semaine après semaine.

De plus une minorité active de manifestants peut représenter l'opinion de la majorité de la population.

Cela peut être le cas mais cela aussi peut ne pas l'être. Comment le savoir ? Évidemment par le vote, par les élections, bref par la démocratie. La question est incontournable. On a alors peut être là une piste pour la réponse à la question posée plus haut: Pourquoi l'absence de chiffres sur le nombre de manifestants ? Cela arrangerait-il qui ? Peut-être tout le monde.