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Jack Ma, milliardaire et (déjà) retraité

par Akram Belkaïd, Paris

La retraite (plus que dorée) à cinquante-cinq ans ? Des millions de personnes en rêvent, Jack Ma, le patron emblématique du méga-groupe de commerce électronique chinois Alibaba, vient de le faire. A partir de cette semaine, le fondateur, il y a vingt ans, d’un véritable empire dédié à la consommation, ne sera plus aux manettes opérationnelles. Annoncé à la surprise générale il y a un an, ce retrait devrait permettre à l’intéressé de se consacrer à ses voyages et à ses activités de philanthropie, à l’image de Bill Gates le fondateur et ancien patron de Microsoft.

Poids du Parti

La presse économique et financière adore les grands patrons. Elle leur consacre d’importants articles et reportages où les intéressés apparaissent souvent sous le jour de personnes charismatiques, talentueuses et au génie sans limite. Il est vrai que le récit a de quoi séduire le lecteur. Prenons Jack Ma. L’homme, autodidacte, était encore professeur de langue anglaise à Hangzhou quand il eut l’idée, avec quelques amis, de créer une entreprise de vente en ligne. C’était en 1999 et on connaît la suite. Pour nombre d’experts, Alibaba fait partie de ces entreprises emblématiques de l’impressionnante mutation capitaliste d’une Chine pourtant dirigée par un Parti communiste (PCC).

C’est d’ailleurs le poids et la puissance du Parti communiste qui serait la véritable raison du retrait du «crocodile du Yangtze», surnom attribué à Jack Ma appelé aussi «Ma Yun» par ses compatriotes. A la tête d’un groupe pesant 470 milliards de dollars en Bourse, ce patron haut en couleur risquait tôt ou tard de se retrouver dans le collimateur des autorités de Pékin. Pourquoi ? Parce que dans la Chine actuelle, rien ne doit rivaliser avec la toute-puissance du Parti. Être trop populaire, être (très) riche, être connu dans le monde entier, en Asie comme en Occident, c’est prendre un ascendant certain sur les dirigeants de la République populaire. Et c’est donc risquer de devenir un rival politique en incarnant un courant libéral au sein même du Parti dont Jack Ma reste d’ailleurs membre…

Faiblesse à l’international

Autrement dit, les dirigeants chinois acceptent que leurs concitoyens s’enrichissent, y compris grâce au marché, mais les limites sont claires. Il n’est pas question que le capital possède une influence trop importante et susceptible de déboucher sur des remises en cause politiques. Jack Ma va donc, en théorie, faire plusieurs pas vers l’arrière, histoire de laisser la lumière à d’autres. Il reste à savoir comment Daniel Zhang, son successeur désigné, va gérer la suite. Aussi imposant soit-il, Alibaba n’est «que» chinois, étant incapable de se développer à l’international, notamment en Asie.

Surtout, on se demande aussi comment son activité va évoluer à l’aune de la guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis. Là aussi, le poids des autorités politiques chinoises ne sera pas négligeable puisqu’elles exigent que les grandes entreprises du pays, qu’elles soient publiques ou privées, défendent les intérêts nationaux. Pour Alibaba, une nouvelle ère commence et si des difficultés adviennent, notamment sur le plan stratégique, Jack Ma pourra toujours reprendre du service, sachant qu’il sera tout de même resté présent dans plusieurs organes de gouvernance d’Alibaba. La presse économique adore les histoires de come-back...