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Les hommes et le pouvoir : « ça rentre propre et ça sort sale »

par A. Boumezrag*

«Tout se partage... sauf le pouvoir » Alain Leblay

Avec son ciel bleu immense et ses espaces désertiques infinis, l'Algérie était méconnue jusqu'à ce que surgissent de ce sable stérile le pétrole et le gaz. Pour les grandes puissances, l'Algérie n'est qu'un drapeau sur un puit de pétrole. Les hommes ne sont que des cerises sur un gâteau. Il va être le pot de miel de l'Algérie indépendante qui sera disputé par des clans rivaux. Hors de tout contrôle, la rente pétrolière et gazière est devenue une propriété clanique.

C'est ainsi que le pétrole va assurer l'osmose entre le régime et l'Etat. Il va favoriser des pratiques mafieuses au profit des clans. Une fois désigné par l'armée et « élu » par le peuple, le président dans sa gouvernance sera assisté par le renseignement et soutenu par l'armée dans le fonctionnement et la pérennisation du régime en place. Un système conçu à l'ombre de la révolution et mis en œuvre par les hommes sortis de l'ombre pour faire de l'ombre à la population.

La coïncidence entre la création des services algériens de renseignements avec la découverte du pétrole est-elle fortuite ? Les services de renseignements sont successivement, simultanément ou séparément soit un outil du pouvoir, soit le centre du pouvoir soit un pouvoir. Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statut quo suicidaire du régime, on s'interroge : que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole. Le renseignement et le pétrole forment un couple inséparable. Les deux se tiennent par la main. Au regard des puissances étrangères, le pétrole et le renseignement sont les deux piliers du régime de l'Algérie utile. Deux industries qui fonctionnent à plein rendement (24/24). Elles n'ont ni problèmes d'approvisionnement, ni de débouchés. Elles tournent toutes seules. C''est le pilotage automatique. Si on devait comparer le régime algérien à un moteur d'une voiture, le pétrole serait son carburant et le renseignement son lubrifiant. Aujourd'hui, le moteur tousse, l'essence manque, l'huile est usée et la prochaine station incertaine. L'Algérie ne vit que grâce aux recettes des exportations des hydrocarbures. La distribution des revenus pétroliers par l'Etat sous forme de subventions, de salaires, de pensions ou de licences d'importation crée un lien de dépendance toxique avec les ressources des hydrocarbures.

Disposant du monopole de la carotte et du bâton, le système est invincible, l'un dissuade et l'autre corrompt. Le système est destructeur dans son essence, il n'est pas conçu pour construire une économie productive et bâtir un Etat de Droit mais pour pervertir la société et détruire l'économie. C'est pourquoi toute opposition politique qui s'appuie sur les forces saines et laborieuses est vouée à l'échec parce qu'inexistantes. Le poids de l'inertie est prépondérant, les forces vives sont faibles. Le travail a perdu ses lettres de noblesse. La corruption gagne du terrain. Elle touche toutes les couches de la société. La grande majorité de la population dépend des revenus pétroliers et gaziers pour se nourrir, se soigner, s'instruire, se défendre. Pourtant, « le pétrole est l'excrément du diable, il corrompt les pays et pervertit les décisions économiques », vérité vieille de cinquante ans mais encore vivace de nos jours. La génération qui a libéré le pays a épuisé son capital de sympathie, elle est devenue par la force des choses l'obstacle principal du développement et de la démocratie.

Cette génération est discréditée moralement et professionnellement. En dehors des ressources pétrolières et gazières, elle ne peut point gouverner. Elle tient au pouvoir que lui confèrent les recettes du pétrole comme elle tient à la vie. Elle manque d'ouverture d'esprit et de maturité affective. Au crépuscule de sa vie, elle est dans l'incapacité physique et mentale de céder pacifiquement à la génération de l'indépendance le pouvoir de disposer de leur pays. Antoine de Saint-Exupéry disait « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants ». L'Algérie appartient à toutes les générations, les hommes sont mortels, nul n'en a la propriété exclusive et encore moins éternelle. Le pouvoir ne scie la branche sur laquelle il est assis. Le pétrole est le carburant du régime, le ciment de l'Etat, l'opium du peuple.

L'Algérie vit de la rente, au rythme du marché pétrolier et gazier. Un marché de dupes conclu entre les Etats Unis et les Etats arabes (pétrole à profusion contre protection des régimes). D'une main, ils signent un pacte avec le diable et de l'autre ils prient Dieu de leur venir en aide ? Ils vivent une double réalité : la richesse matérielle et la pauvreté spirituelle. Ils considèrent le pétrole comme un butin de guerre à partager et non comme une chance à saisir. Au lieu d'en faire un levier de développement économique, il sera un instrument de pouvoir redoutable et un facteur de régression économique et social. A cause du pétrole et du gaz, l'Amérique a perdu tout sens moral. Par la grâce du pétrole et du gaz, l'Algérie ne pense plus, elle dépense. Et que vive l'industrie de la rente ! Une industrie qui n'a pas besoin ni de stratégie, ni de séminaires, ni de discours, ne rencontrant ni de problèmes d'approvisionnement, ni de problèmes de débouchés. Elle tourne à plein rendement. Elle peut s'en passer de tout gouvernement et de tout parlement. Elle fonctionne toute seule et n'a de comptes à ne rendre à personne même pas à elle-même.

Elle se passe royalement du travail productif et de l'intelligence créatrice des Algériens. Une industrie qui berce d'illusions les uns, ceux du haut et nourrit le désespoir des autres, ceux du bas. Enfin une industrie qui fonctionne de, par et pour l'étranger. Une rente que se disputent ou se partagent fiscalement les Etats consommateurs de pétrole afin de financer à bas prix leur démocratie envoûtante et les pays producteurs dans le but de pérenniser les régimes politiques obsolètes en place avec des coûts exorbitants. La vie d'une nation cesse dit-on quand les rêves se transforment en regrets. Aucun algérien n'est riche en dehors des revenus pétroliers ? Aucune fortune privée ne peut se constituer sans l'aval de l'Etat qui dispose du monopole de la distribution des ressources pétrolières et gazières,; Il n'y a pas de gens riches dans l'Algérie indépendante, il n'y a que des pauvres qui sont devenus riches par la grâce du pétrole et la protection de l'Etat.. « Les lois sont très nombreuses lorsque l'Etat est très corrompu ».

Les fortunes entre les mains des gens sans esprit et sans moralité est un crime contre l'humanité. Le pétrole est un don de dieu et non un produit de l'homme. Il appartient à tous. Par conséquent, toute propriété d'une minorité doit être légitimée par la majorité. La propriété privée est le prolongement du droit à la vie. Elle limite les violences sociales. Le droit de propriété est réducteur d'incertitudes et producteur de sécurité ; Par conséquent le premier devoir d'un Etat est de produire la paix civile laquelle passe par la légitimation du droit de propriété lequel est concomitant à un autre droit celui de l'emploi. Si l'un peut détenir des biens, l'autre doit disposer d'un emploi. La main droite a besoin de la main gauche pour travailler, produire et réaliser des profits. C'est cela une économie moderne. C'est cela un Etat de droit. Et cela ne tombe pas du ciel. La reconnaissance de fortunes privées par la société passe nécessairement par la production de biens et services destinés au marché local et par la création massive d'emplois destinés aux jeunes qui forment la majorité de la population. L'Etat post colonial a fait la preuve de son inefficacité dans la conduite du développement, par la dilapidation des ressources rares (énergie fossile, terres agricoles, force de travail, etc...), la démobilisation de la population et la fragilisation des institutions minées par la corruption et le népotisme. L'Etat en Algérie est à réinventer.

PS / A la fin des années soixante-dix, au cours d'une entrevue privée avec un souverain arabe, un diplomate américain aurait dit : « C'est Dieu qui a mis du pétrole dans votre sous-sol, ce sont nos machines qui l'extraient, ce sont nos firmes qui l'exploitent, quel est votre mérite ? », le souverain musulman aurait souri ; et le diplomate de poursuivre : « c'est de l'usage que vous ferez de vos revenus pétroliers, que vous seriez jugé par Dieu et par votre peuple : Si vous en faîtes un bon usage, vous seriez béni par Dieu et votre jeunesse vous en sera reconnaissante, par contre si vous les dilapidez, dieu vous maudira et les générations futures déterreront et retireront vos os pour les brûler sur la place publique ».

*Dr.