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Le « Hirak » et les vertus de la diversité

par Hakim Hessas*

Quelque chose de culturel se perçoit dans le soulèvement des Algériens. On le voit dans la détermination qui les rassemble, dans la générosité et le vivre-ensemble qu'ils colmatent et réparent. Dans l'inventivité des slogans qui fleurissent les manifestations. Dans la manière d'analyser l'évolution des événements, d'un vendredi à un autre, et de poser les problèmes les plus improbables.

Dans ce vaste mouvement solidaire, nous rencontrons aussi des manières de vivre, de voir la vie et le monde, de conjurer les sorts. Lorsque nous scrutons les mystères et les énigmes de cette diversité, nous rencontrons aussi du politique. Car enfin, il est vrai qu'officiellement, nous n'avions pas eu le droit de faire de la politique ; faire de la politique était vu comme un affront, une atteinte à la sûreté de l'Etat. Mais officieusement, nous en avons toujours fait. À la maison. Dans les cafés. Dans les universités. Dans les stades. Heureusement ! Nous savons crier, haut et fort. Mais nous savons aussi parler, converser et faire donc de la politique dans son sens le plus étendu. Je crois même que c'est la meilleure manière de faire de la politique, loin des écoles et des dogmes les plus rébarbatifs.

N'ayons pas peur donc des différences que l'on peu percevoir ça et là, de cette diversité de tous bords, des variantes, des coupures. Au contraire, c'est dans ces situations funestes que cette diversité est salutaire. Regardons-la comme une richesse et elle nous livrera les solutions les plus inattendues à notre malheur, des solutions efficaces à la mesure de nos problèmes. Car en réalité, ces « coupures » sont aussi des « coutures culturelles », des continuités qu'il faudrait faire valoir et préserver.

La formule de notre salut se trouve donc « chez nous », dans cette diversité unifiée. Nous ne sommes pas obligés de la chercher dans l'Occident magnifié, matérialiste, pour la rencontrer ; nous devons la fabriquer chez nous, entre nous, à partir de nos compétences, de nos différences. Cette crise politique majeure nous incite à mobiliser toutes les richesses humaines et culturelles que renferme notre pays. Cette étape est plus que nécessaire pour prendre réellement notre « indépendance », non seulement vis-à-vis d'un pouvoir séculaire, en place depuis trop longtemps, mais vis-à-vis de nous-mêmes, de nos peurs les plus intimes, de nos différences.

Mais il faudrait d'abord commencer par faire confiance à ce peuple, à son génie, à sa capacité à prendre en main son destin, sa vie. Il est inventif à tout égard ; il faut cesser de faire de lui un éternel enfant. On se rappelle tous la méprisante condescendance de certains hommes politiques, même parfois des plus démocrates, à l'égard des jeunes, des militants ou des journalistes qui osaient simplement poser des questions (les exemples sont légion). Depuis longtemps, nous avons fustigé ce peuple jusqu'à faire de lui un grand apathique. Il a lui-même fini par apprendre cette impuissance qu'il traîne partout comme un boulet. L'inquiétude, le doute, la peur (même de l'autre) que l'on observe dans le « Hirak » ne sont que des signes extérieurs de ce conditionnement.

Aujourd'hui, c'est une belle entreprise que nous avons devant nous. Nous devons la préserver coûte que coûte, comme on préserverait un métal de la rouille. Car, peut-être que la dernière chance de notre salut se trouve dans ce « jeu » qui se joue en plusieurs « actes », qu'il faudrait pourtant jouer jusqu'au bout. En face, le pouvoir politique qui est pris à son propre jeu, dans les règles et les formes qu'il a lui-même définies, ne doit pas inventer d'autres règles dans le seul et unique but de perdurer et durer encore et toujours.

*Docteur en Sciences du langage, de l'EHESS, Paris - Chercheur au Laboratoire 3L.AM-ANGERS | UPRES EA 4335. Langues. Littérature. Linguistique des universités d'Angers et du Mans