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L'effet Ouyahia : faudrait-il relativiser les choses ?

par Reghis Rabah *

En dépit d'un léger recul, le dinar reste instable dans les deux marchés. Dans le premier il est monté jusqu'à 134, 0279 dinars pour un euro. A la même période l'année 2016, il l'était à moins de prés de 10% soit 122,5057 dinar pour un euro. Sur la marché parallèle avant la présentation du programme du nouveau gouvernement l'euro se déprécie par rapport au dinar pour atteindre dans certaines régions du pays 185 dinars pour un euro. Depuis l'adoption du plan d'action d'Ouyahia et ses réponses aux députés de l'APN, il a grimpé dans les deux sens montrant ainsi la perte de confiance des investisseurs qui n'ont pas été convaincu par le discours du premier ministre. Depuis jeudi 21 septembre dernier, de nombreux citoyens se débarrassent de leur dinars faisant ainsi exploser la demande de la devise étrangère et notamment l'euro. Pourquoi la situation économique d'aujourd'hui reste semblable à celle de 1986 ? Comment le marché parallèle que le premier ministre tente de minimiser reste le principal indicateur de la santé économique de l'Algérie ? Sommes-nous entrain de nous diriger vers un scénario Zimbabwéen ? Existent ?ils des gardes fous possibles ?

1- Le dinar subit des crises périodiques à cause d'un manque de stratégie

Le dinar est né en 1964, une décennie après et malgré l'intensification des investissements pour le montage du tissu industriel dans le cadre de l'industrie industrialisante, modèle de développement choisi par l'Algérie, il était bien côté : 1 dinar pour 1 franc et 1 dinar pour 5 dollars. Une année après sa valeur a été rattachée à un panier de 14 monnaies des pays avec lesquels l'Algérie avait des relations d'échange de toute sorte. L'assise industrielle qui a demandé un endettement interne et externe avait retardé à donner ses fruits et présentait des surcoûts pour être productive et restait désormais fortement dépendante de la vente des hydrocarbures. Il a suffit que le baril du pétrole s'effondre en juin 1986 pour d'abord surprendre le management de l'époque le mettant ainsi face à une crise qui le mènera jusqu'en 2005, année durant laquelle le prix du baril a commencé son redressement. La première dépréciation a débuté sur la période 1986/1990, le dollar monnaie d'échange a pris prés de 150% suivi une année après d'une autre de 22%. La fragilité économique de l'Algérie, déjà à cette époque n'a pas permis de surmonter la crise par sa propre immunité et l'a menée vers une cessation de paiement en 1994 pour procéder sur ordre du FMI, devenu Co-gestionnaire dans le cadre du programme d'ajustement structurel à une autre dévaluation de plus de 40%.La décennie noire et les différentes catastrophes naturelles comme l'inondation de Bab El Oued et les différents séismes ont par leur dégâts humains et matériels accentué cette crise pour un Etat qui s'est désengagé de plus en plus de la vie économique au profit de l'artifice de débrouillardise. De nombreuses entreprises privées ont encré leurs ventouses autour d'un secteur privé affaibli pour s'emparer de la rente. Leur stratégie est de viser le marché de consommation en Algérie en faisant travailler par l'importation de leurs imputs les étrangers. Cette situation a favorisé un secteur économique parallèle qui prenait en charge les besoins des citoyens que l'Etat ne pouvait pas assurer. Il s'agit entre autre, des pièces de rechange pour les équipements, les équipements d'occasion jusqu'au usines complètes, les médicaments, les études à l'étrangers et le tourisme etc. Ce marché s'est imposé avec le temps pour dicter sa politique et faire des places algériennes un Bazar grâce à la tolérance et parfois la complicité des pouvoirs publics. A partir de 2005 le prix du baril de pétrole a repris son envolée jusqu'au décembre 2014 soit prés d'une décennie. Les pics ont atteint parfois jusqu'à 160 dollars par baril mais la moyenne annuel pour le Sahara Blend s'établissait comme suit : de 2004 à 2005 43,56 à 58,64 dollars pour atteindre à 102 dollars en 2008. Un léger recul en 2009 autour de 63,95 puis poursuite de son ascension jusqu'au décembre 2014, année à partir de laquelle il est descendu au deçà des 50 dollars. Cette période prospère a permis à l'Algérie d'abord de se désendetter par anticipation pour rembourser les 20 milliards de dollars restants, constituer un matelas de réserves d'échange qui dépassait les 200 milliards de dollars, combler le déficit budgétaire annuel et mettre de côté un fond de régulation des recettes qui avoisine les 50 milliards de dollars. Mais au lieu d'utiliser cet avantage pour redéployer son économie en la diversifiant pour tirer les leçons du passé, elle a repris son sommeil pour mener la situation économique là où elle est aujourd'hui. L'artifice de la planche à billet n'est qu'une solution provisoire pour surmonter les difficultés de la gestion courante : payer les fonctionnaires, boucher les trous du système de la protection sociale, payer les dettes des entreprises du bâtiment pour reprendre le prés d'un million de logements en cours de réalisation etc. Aucun dinar imprimé n'aura une contre partie productive. Tout sera consommé comme d'habitude pour maintenir une paix sociale sans aucun sursaut économique.

2-Qu'est-ce qui pourrait se passer sur le court terme ?

Il n'y a aucun doute, le financement non conventionnel va débloquer la gestion courante et le train de vie de l'Etat, peut être combler le déficit attendu pour la fin de l'année 2017 que certains experts pensent qu'il est sous-évalué à 11 milliards de dollars. La planche à billet soulagera Sonelgaz et Sonatrach de leur dette qu'elles détiennent sur l'Etat mais ne pourra en aucun cas financer leur développement ni celui d'ailleurs des autres entreprises publiques et privées. On sortira à ce moment une autre théorie comme on l'a fait auparavant. Jusqu'à présent on s'est interdit de recourir à l'endettement externe parce qu'il visait à combler le déficit budgétaire. Maintenant qu'il s'agit de financer des projets économiques qui vont dégager des cash flows qui permettront de les rembourser, pourquoi pas. On enchainera avec des lignes de crédit garantit par le trésor public pour revenir à la case de départ : celle de 1986 pour faire perdre à l'Algérie une autre décennie et ainsi de suite.

3-Tant que la transition dure, le marché parallèle des devises restera influent en Algérie

La période de transition économique en Algérie qui a débuté les années 90 valse entre une démarche dirigiste et celle d'un désengagement parfois irréfléchi de l'Etat pour favoriser les pôles de Bazar un peu partout dans les régions du pays. Pour réguler ce cafouillage, les pouvoirs publics, édictent des règles qui n'arrangent pas la sphère commerciale de cet ordre établi. Les acteurs qui ne trouvent pas leur compte dans l'économie réelle, contournent le circuit formel pour satisfaire leur besoin dans celui informel. L'Algérie, contrairement à la Tunisie ou le Maroc, pays dans lesquels la différence entre du taux de change de ces deux marchés est minime à cause de la diversification et l'extraversion de leurs économies, est mono exportatrice pour prés de 98% d'hydrocarbures et importe prés de 75% des besoins des ménages et des entreprises. En outre la production nationale est très peu intégrée. Les experts estiment un taux d'intégrations entre 10 et 15%. Là où l'Etat par le biais de son système bancaire est défaillant, le complément se fait dans le circuit informel. Pour les industriels : le complément de leurs imputs, les pièces de rechanges parfois même la formation. Pour les ménages, la précarité du système de santé, celui de l'éducation, du tourisme pour ne citer que ceux là, les contraint aussi de recourir au marché parallèle pour compléter leur besoin. Cette pratique est devenue une loi imposée par une nécessité contre laquelle les pouvoirs publics ne peuvent rien faire. Ces dernières années, une autre forme alimente ce marché parallèle de devises, notamment l'Euro, c'est le transfert massif de capitaux pour l'achat de l'immobilier à l'étranger notamment en Espagne. C'est un choix de sécurité pour fuir un pays où la transition vers une économie réelle prend du temps, le cours du dollar et celui du baril gouvernent sa destinée. L'incertitude politique autour de la maladie du président, l'état de psychose créée par les scandales financiers et la corruption font que des hommes d'affaires et des citoyens de classe moyenne vendent leurs biens pour acquérir des appartements et immeubles commerciaux bon marché dans la cité Ibérique. Même les petites bourses qui avaient pour habitude historique de thésauriser leurs économies dans l'or, se sont mis à le faire dans la devise de part la fluidité à l'échange. Il n'y a pas une ville en Algérie qui ne dispose pas de bureau de change parallèle parfois plusieurs qui raflent tout ce qui vient de l'étranger et dirigent l'import /import. L'Etat, en dépit de sa volonté d'éradiquer l'informel, restera impuissant par la loi de la force populaire qui en exprime le besoin et la nécessite. Abdelmadjid Tebboune a affirmé à ses hôtes parmi les chefs d'entreprises qu'il a reçus avant son limogeage qu'il irait au bout de sa démarche suite aux instructions qu'il a reçues du chef de l'État lui-même. De quelles démarches et dossiers s'agit-il ? « Nous avons la liste des biens achetés en France, en Espagne et ailleurs » leur dira t-il. Dans le niveau où il était, et sachant pertinemment à qui il s'adressait, il n'aurait pas tenté de s'aventurer sur cette voie s'il n'avait pas de soutien présidentiel. Qu'est ce qui s'est passé exactement pour entraver son élan, l'avenir nous le dira.

4- Pourquoi le dinar ne se vendra pas dans les brouettes à la Zimbabwe

Bien que nous ayons un peuple fatigué par les luttes historiques et frustré par le mode de gouvernance depuis l'indépendance, il n'existe aucune similitude entre le régime de Mugabe et celui dans lequel évolue l'Algérie aujourd'hui. Le premier est une forme de dictature pure et parfaite dans laquelle l'abondante ressource minière se trouve entre les mains d'une seule classe proche du président et qui exploite le reste de la population estimé à 15,6 millions en 2016 auxquels il faudrait retrancher 4 millions qui vivent en Afrique du Sud. Le clan de Mugabe qui accapare les richesses représente 20% de la population. Le taux d'analphabètes le plus haut d'Afrique (83,6%), un taux chômage de prés de 85%. L'économie est informelle à prés de 75%. La dollarisation de son économie, début 2009, reste un cas d'école. L'hyperinflation à plusieurs chiffres devait obliger le gouvernement Zimbabwéen d'abandonner carrément sa propre monnaie au profit des autres. Dieu merci, l'Algérie n'est pas dans la même situation car elle dispose d'une élite consciente qui ne se laisse pas entrainer dans des aventures sans lendemain. Dans cette affaire de financement non conventionnel, ils étaient plusieurs de stature politique hommes de sciences et experts qui se sont exprimés sur les impactes négatifs de la planche à billets au stade actuel où se situe l'économie Algérienne. Même ceux qui étaient pour, la conditionnent à des gardes fous que le gouvernement actuel ne pourraient pas dresser étant donné les circonstances. Dans cette démarche très controversée, le chef du gouvernement semble cavaler seul et a mis tout le monde sur son dos. Les médias, l'opposition, les économistes, ses prédécesseurs, la cours des comptes, le système bancaire et bien d'autres. La mise en œuvre de son plan débutera dans l'immédiat pour l'année 2017 et début 2018 mais il très peu probable qu'il sera mené à son terme. Tout porte à croire et de nombreux signes semblent le confirmer que le président de la république ne pourrait pas être au courant personnellement de cette démarche que le premier ministre vient de renommer « impératif mais pas un choix» Pourquoi ? D'habitude, Bouteflika réagit lorsqu'il se rend compte qu'un de ses gouvernements entreprend une action autant contestée par tous le monde. Il l'a montré lors de la proposition de la loi sur les hydrocarbures en 2005, il a mis fin personnellement au débat sur lez gaz de schiste pour ne citer celles là. Le marchandage avec la presse pour réchauffer l'autorité de régulation, le geste envers les agriculteurs pour la relance des fermes agricoles, l'humiliation dans laquelle il a mis les députés et les sénateurs pour leurs salaires que le citoyen lambda comprend comme un chantage purement et simplement montrent incontestablement son isolement. La deuxième raison et pas la moindre qui pourrait sauver le dinar de s'effondrer serait le prix du baril de pétrole par les réserves de change qu'il dégagerait. En effet, le Brent, proche du Sahara Blend Algérien est côté à l(heure à l'heure où nous écrivons 58,13 dollar. Cela voudra dire que le nôtre par sa légèreté et son taux de soufre réduit à franchit la barre des 60 dollars. Les marchés semblent donner bon signes pour les perspectives 2018-2020. L'alliance OPEP non OPEP a réussi à éponger le surplus pétrolier sur les marchés et poursuit sa volonté de reduire encore plus leurs quotas. Ensuite dans son rapport du mois de septembre paru la semaine dernière, l'AIE a révisé en hausse ses prévisions de croissance de la demande en 2017 à 1,6 million de barils par jour. Il précise que si la demande continue à croître à ce rythme au cours des prochaines années, la production et les stocks actuels ne suffiront pas. Même un taux de croissance plus modéré absorberait l'offre excédentaire de pétrole d'ici la fin de la décennie, à moins d'un rebond inattendu de la production ce que les investissements actuels ne le permettrons pas

5- Alors ! Pourquoi ce drame ?

Si le diagnostic et la situation financière est telle que dépeinte par l'équipe Ouyahia donc il ya péril en la demeure, à quoi servent alors les réserves de change si ce n'est pas pour parer aux situations économiques difficiles. On retire une dizaine de milliards pour faire marcher les affaires courantes, on sert un peu plus la ceinture en commençant par le haut, on fait sortir les équipes de fisc qui moisissent dans leurs bureaux pour inciter les mauvais payeur à passer à la caisse quitte à impliquer l'armée au lieu de tripoter une loi qui assure l'équilibre monétaire et ouvre la voie à des dérives inflationnistes sur plusieurs années.

* Consultant et Economiste Pétrolier