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UN MESSAGE EXCESSIF

par K. Selim

Le sort réservé à l'internaute Abdelghani Aloui, emprisonné pour avoir caricaturé des responsables et accusé d'apologie de terrorisme pour détention d'une écharpe portant la mention «il n'y a de Dieu que Dieu», est tellement excessif qu'il laisse perplexes les observateurs. Il n'y a rien dans les «posts» incriminés du jeune homme de Tlemcen qui ne soit de l'ordre du banal sur Internet. Et beaucoup relèvent, à juste titre, que si le cas d'Abdelghani Aloui servait d'étalon de mesure, cela signifie que des milliers de jeunes internautes algériens pourraient être arrêtés et embastillés.

L'affaire du jeune Aloui suscite des réactions tout à fait prévisibles d'indignation des organisations internationales des droits de l'homme. Dans les médias étrangers, l'Algérie est largement grimée sous l'aspect d'un glacis stalinien où ceux qui détiennent l'autorité sont à cran et jouent au père fouettard. Peu de gens connaissaient Abdelghani Aloui avant cette affaire qui a pris des dimensions disproportionnées. Il est désormais connu par des centaines de milliers de personnes tandis que les organisations des droits de l'homme le qualifient de détenu d'opinion. Rien d'imprévisible dans cette montée des critiques dans une affaire qui semble ramener l'Algérie loin en arrière. On a déjà observé dans beaucoup de domaines l'inquiétant décalage entre la perception des réalités par les différents responsables algériens et l'évolution du monde. Et la vie de l'Internet avec ses prises de parole jubilatoires, persifleuses, critiques et même pamphlétaires est une réalité déjà universelle. Cette réalité-là déborde largement l'expression via les médias traditionnels - dont les journaux - et elle ne fera que s'étendre.

Les autorités en Algérie - ou ailleurs - devront s'y faire et réserver la riposte judiciaire aux cas stricts d'appels au meurtre, au racisme et à la haine. L'expression d'une opinion politique faite sur un mode vif ou caricatural ne rentre pas dans cette catégorie. S'engager dans une telle démarche de répression tous azimuts est aussi nuisible que contre-productif. L'Internet algérien n'est encore qu'une petite bulle mais il est appelé, comme partout ailleurs, à grandir et à s'étendre. Les autorités n'ont pas intérêt à mélanger entre la libre expression des opinions politiques sous toutes ses formes avec les discours de haine ou les appels à la violence. La distinction est nette entre les deux. Cultiver l'amalgame entre les deux aspects ne peut qu'être interprété comme une volonté de bâillonner ceux qui s'y expriment. Et c'est d'ailleurs l'analyse privilégiée par les organisations des droits de l'homme.

Le message est dans l'excès ! Le traitement réservé au jeune Abdelghani Aloui est un message lugubre adressé à ceux qui s'expriment sur Internet qui pourtant ne s'arrêtera pas de tourner. Les autorités algériennes devraient avoir la finesse de se «libérer» d'Abdelghani Aloui en l'élargissant. Rien n'arrêtera l'expansion de l'Internet et des formes nouvelles d'expression que cela offre à tous ceux qui estiment qu'ils en sont privés dans l'espace public. On ne peut pas bâillonner Internet. C'est cela qui ne semble pas être compris. Il est temps de le faire.