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Les raisons de ceux qui veulent réélire Bouteflika jusqu'à la mort

par Kamel Daoud

Qui sont-ils ? Ceux qui depuis hier appellent Bouteflika à un quatrième mandat. Qui sont-ils ? On ne sait pas. Mis à part Raouraoua Président à vie, Belkhadem (s'il en reçoit les instructions), quelques ministres comme Rahmouni ou surtout Medelci qui risque de retourner au commerce de tabac ou à l'équilibrisme familial, on ne sait pas qui demande à Bouteflika de rester. Sauf peut-être son frère et l'homme d'affaires ami de son frère et les hommes amis de l'homme d'affaires et les hommes amis des hommes qui sont amis des hommes d'affaires. Car dans le réel, si on aligne les Algériens en une longue file d'attente, l'un derrière l'autre et qu'on les interroge individuellement, personne n'est content du pays, de la route, du salaire, de la qualité de l'air, de l'histoire et de l'avenir. Il y a des émeutes, des chômeurs, des immolés encore. Le pays est dit gangrené par la corruption, le vol et la dépense abusive. On a perdu une en décennie, des centaines de milliards de dollars et on n'est pas la Suède, ni le Qatar. Il n'y pas plus grand gémisseur que l'Algérien, pays des prophètes Jérémie, pères des jérémiades. Alors, mis à part deux cents clients, mille nostalgies et deux cents mille tarifés, qui veut que Bouteflika reste ?

Première réponse : la peur. Les gens ont peur, alors ils se serrent autour de Bouteflika. Jusqu'à ce qu'il meure. Le peuple a peur du peuple, grande énigme de l'Algérie que les autres pays n'arrivent pas à comprendre comme ressort psychologique fondamental. Ensuite, il y a des gens qui n'hésitent pas devant le paradoxe : ils détestent le système, mais n'ont rien contre Bouteflika. Le lien entre les deux n'est pas visible à leur yeux et il n'y pas de lien entre la cause et l'effet. Ces gens ne se disent pas qu'en reconduisant Bouteflika, le système se reconduit. Ils ne voient pas de lien entre leurs misères et colères et le manque de démocratie. Les Présidents algériens ont cet étrange avantage d'être perçu comme étant eux-mêmes victime du Système, du Frère, du Cercle, de l'Entourage, des « Services » ou de l'Armée. Et le peuple aime à être du côté des victimes.

Ensuite, il y a la grande Algérie rurale, paysanne, celle qui est encore FLN et qui vote pour le vote du FLN, comme autrefois on cotisait pour que le FLN gagne contre la France. Cette grande masse morne et fidèle, Chouroukisée, que le système manipule et qui plait tant au narcissisme de l'actuel Président et produit un effet d'illusion puissant dans les systèmes populistes.

Ensuite, il y a les clients. Beaucoup. On ne le dit parce qu'il est dit qu'on doit écrire que le peuple est bon, mais ce peuple pense que la dictature paye mieux que la démocratie. Traduire : racketter un malhonnête est plus payant que de fréquenter un homme honnête. Traduire : être client vaut mieux qu'être citoyen. Traduire : manger et se faire manger est plus nourrissant que la démocratie et la liberté. Avec beaucoup de clients, et peu de citoyens, un quatrième mandat est une logique alimentaire.

Ensuite, il y a le Système : il contrôle la propagande, connait les peurs du peuple et ses cupidités, sait comment diviser les élites ou les exiler et a une longue expérience de survie internationale. Bouteflika sera, paradoxe du monde arabe, élu même par l'Occident ces temps-ci.

Conclusion ? Au fond, rien n'a changé : ni le système, ni ce peuple, ni les élites, ni l'équation alimentaire, ni l'économie. Pourquoi, disent les plus ténébreux, changer un Président puisque tout le reste n'a pas changé ?