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L'épître aux salafites d'un Khomeiny sunnite

par Kamel Daoud

Une barbe ne pousse pas en un seul jour». C'est le résumé, en faux proverbe des vidéos de Ghannouchi Rachid, le Khomeiny tunisien, patron d'Ennahda, le parti islamiste qui a pris le Pouvoir sans l'avoir arraché lui-même à Benali. Ces vidéos datent de quelques mois et font le buzz tunisien, on y voit Ghannouchi en pédagogue de l'Attente, face à des salafistes grandes oreilles ouvertes. Il faut donc les voir et les revoir : jamais la stratégie des islamistes d'aujourd'hui n'y a été aussi explicitée, résumée, condensée et mise à la disposition des fervents et des nuls. Le cheikh y prend l'exemple de l'Algérie, cas d'école qui semble avoir traumatisé les islamistes en général. Du coup, selon le Khomeiny sunniste, il y a des règles et la principale est qu'une barbe ne pousse pas en un jour.

Que doit-on y retenir ? Les confirmations essentielles : les islamistes n'ont pas pour but un mandat ou deux ou trois, mais le califat qui est un mandat unique.

Deux : ils ne croient pas, autant que les dictateurs chassés ou les régimes encore en place, à la Constitution. C'est ce que disait le FIS, c'est ce que dit Ghannouchi. Le dictateur amende et viole la Constitution comme il veut. L'islamiste au Pouvoir «amende» et viole le lecteur

Trois : la guerre est une ruse : aux Occidentaux ont peut servir la poupée gonflable de «l'islamiste modéré» respectueux des règles et des urnes, mais «entre soi», on sait l'essentiel : il y a «nous», il y a Koreich selon la topographie mecquoise. Dar les islamistes et Dar El Kofr (Maison des impies).

Quatre : l'islamistan est un projet qui doit prendre des années puisqu'il exprime les vœux de l'Eternité. L'un des amis de Ghannouchi l'a dit : on ne peut pas récupérer les «laïcs» mais on peut «travailler» leurs enfants dans les écoles et les retourner contre leurs parents.

Cinq : Tout ce qui n'est pas «nous» est contre «nous» : armée, police?etc. Les islamistes ne croient pas à la séparation des pouvoirs, à la neutralité des institutions, au respect des missions républicaines des forces publiques. Le citoyen doit être croyant et le policier doit être milicien. C'est une tendance générale que l'on voit en Iran ou en Arabie saoudite.

Six : il y a les apparences et il y a les croyances : on double l'armée par des milices, la constitution par une interprétation du coran, le citoyen par le croyant, le multipartisme par un réseau de mosquée, la loi par la fatwa.

Sept : les lois dépendent des interprétations du plus fort. Dans la vidéo de Ghannouchi, il a dit qu'il suffit de prendre le Pouvoir pour faire dire aux lois ce que l'on veut. Ainsi qu'aux torturés, aux apostats, aux laïcs, aux chrétiens, juifs ou bouddhistes et aux ennemies de l'Islam.

Huit : il faut cerner les koreichites (tribu mythique de l'Arabie centrale, époque préislamique) dans le monde : les isoler, les tuer à petit feu et pas comme en Algérie par balle dans la tête. Il faut les diaboliser, leur enlever l'argent et l'influence et attaquer leurs caravanes et lignes de commerce et faire se retourner les esclaves contre eux.

Neuf : le parti islamiste n'est pas un parti mais un projet divin. Le but du cosmos. La voie et la voix de Dieu. La médinisation (Médine) de l'Etat impie. L'utopie tant attendue. «Les autres font de la politique, nous, on fait ce que Dieu a dit».

Pourquoi ce rappel. Pour la pédagogie. L'épître aux salafistes de Ghannouchi doit être enseignée dans les écoles et les universités et les cafés assis. C'est essentiel pour détruire les quelques idées naïves que l'on se fait sur les islamistes. Même chez nous, ce pays algérien où tout le monde sait que Solatni et Amar Ghoul sont autant islamistes que ne l'est une fausse barbe et que les deux dépendent d'un autre Ghannouchi. Il suffit de déshabiller l'islamiste (en parlant d'idée) pour démontrer qu'il est comme tout le monde. Ou pire.

«Une barbe ne pousse pas en un seul jour», mais on peut la raser en un quart d'heure.