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Le complexe Oujda

par Kamel DAOUD

« Il aurait mieux fait d'enterrer son secret avec lui», a réagi l'un des chefs islamistes assimilés, à propos des dernières déclarations d'Ahmed Ben Bella. Le secret ? La nationalité marocaine de ses parents qu'il vient «d'avouer» dans un entretien. Dans le sillage, quelques Algériens se sont embarqués dans ce vieux rafiot de l'inquisition en cherchant qui est d'origine marocaine par le sang, par la terre, la filiation ou par l'armée des frontières. Et une partie d'Algériens n'ont pas encore vu l'absurdité de ce genre d'inquisition ni son affreuse absurdité. D'où vient qu'être né au Maroc soit une «révélation», un secret ou un crime ? D'abord de la confusion entre procès de personnes, coupables d'avoir mené ce pays de l'indépendance à l'échec et, surtout, du fait que beaucoup d'«historiques» ou de vieux survivants de la guerre d'indépendance ont fait de leur acte de naissance un tabou. Le «né à Oujda» visible sur le site de la présidence durant le premier mandat a vite été effacé dès le second comme s'il s'agissait d'une tare ou d'un acte honteux ou de la preuve d'une trahison par l'accouchement. Et sur ce vieux reflexe de falsification absurde, se sont greffées les pires infamies politiques qui ont suivi. Du coup, le procès de l'armée des frontières et de son coup d'Etat inaugural, le régionalisme bête et méchant qui a pris l'ouest algérien en otage de ses ambitions et de ses peurs, les turpitudes post-indépendance et le jeu très vieux des règlements de comptes ont transformé une banalité génétique en une sorte de crime de filiation.

 Ceux qui sont nés à Oujda ne sont pas mauvais, pourtant, parce qu'ils sont nés à Oujda ou à Casablanca, mais parce qu'ils ont dilapidé notre confiance, piétiné notre terre et volé notre histoire pour en faire une autobiographie. Effacer son lieu de naissance est ridicule et signe de honte de soi, accuser quelqu'un d'être né au Maroc est une autre maladie tout aussi ridicule. Et pour que cela soit encore plus clair, le chroniqueur le précise: il ne défend pas Ben Bella, ni son contraire, mais s'attarde sur ce surréaliste débat qui fait qu'un homme politique cache son lieu de naissance comme s'il s'agissait d'une honte et que d'autres en parlent comme d'un secret tout aussi honteux. Cette forme de guerre des sables algéro-algérienne n'aidera ni à construire le Maghreb, ni à libérer notre histoire, ni à dépasser les fixations de cette génération qui nous précède et qui ne veut pas céder l'air et l'oxygène aux suivants.

 Et c'est pourquoi c'en est presque amusant que de suivre ce «faux scandale» à la Ben Bella. Né au Maroc lui ou d'autres ? C'est leur affaire. Nous, ce qu'on veut c'est naître ici, vraiment, une fois pour toutes et c'est ce que nous attendons. Nous, on a un pays, là où d'autres cachent même leur lieu de naissance ou en font des révélations de dernière minute. Je viens au monde là où le monde vient à moi: à Oujda, Sidi Bouzid ou à Damas.