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Analyse - Néocolonialisme, métacolonialisme et guerre par procuration: La dernière bataille de la souveraineté africaine

par Oukaci Lounis*

Le colonialisme a officiellement pris fin : drapeaux étrangers abaissés, administrations impériales dissoutes, armées coloniales retirées. Pourtant, la domination persiste, transformée dans sa forme et ses méthodes.

L'Afrique s'est défaite des chaînes matérielles, mais sa libération spirituelle reste inachevée. La souveraineté politique ne suffit pas à garantir la souveraineté cognitive, ni la liberté territoriale, la liberté intellectuelle. Tant que subsistera une dépendance mentale, scientifique, culturelle, technologique et symbolique, la souveraineté africaine restera précaire et vulnérable. L'expérience africaine contemporaine se caractérise par cinq étapes de domination :

1. Colonialisme : Conquête militaire et domination territoriale brutale, exploitant les ressources et soumettant les populations tout en remodelant leur identité.

- La conquête de l'Algérie par la France (1830 1962) avec expropriation massive des terres et répression militaire.

- Le Congo belge sous Léopold II: exploitation intensive du caoutchouc et violences contre la population locale.

2. Néocolonialisme : Domination économique, diplomatique et institutionnelle indirecte, perpétuée par la dépendance monétaire, le commerce asymétrique et l'influence des multinationales, maintenant l'Afrique dans une dépendance stratégique.

- Dépendance à la monnaie (Franc CFA) contrôlée par la France pour plusieurs pays africains.

- Exploitation des ressources naturelles par des multinationales étrangères (ex. mines de cobalt en RDC).

- Influence des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale) sur les politiques économiques africaines.

3. Métacolonialisme : Domination cognitive et culturelle subtile, façonnant les perceptions et les savoirs à travers l'éducation, les médias et la technologie, fragilisant l'autonomie intellectuelle.

- Programmes scolaires africains basés sur des manuels français ou anglais, ignorant l'histoire locale.

- Domination culturelle via les médias internationaux (films hollywoodiens, contenus TikTok/YouTube).

- Algorithmes de traduction ou d'IA qui favorisent l'anglais et le français au détriment des langues africaines.

4. Guerre cognitive : Manipulation des perceptions et des comportements via les réseaux sociaux, l'information et les algorithmes, déplaçant la bataille du matériel au mental.

- Campagnes de désinformation sur WhatsApp et Facebook pendant les élections en Afrique (ex. Kenya, Nigéria).

- Manipulation de l'opinion publique via des bots ou des algorithmes de recommandation sur YouTube ou X/Twitter.

5. Guerre par procuration : Utilisation d'acteurs non étatiques (groupes terroristes, mercenaires) par des puissances étrangères pour déstabiliser les États africains, exploitant la vulnérabilité et la fragmentation du continent, notamment due à l'inaction de certaines institutions.

- Conflit au Mali : utilisation de groupes jihadistes et mercenaires par des intérêts extérieurs.

- Libye : milices armées soutenues par des puissances étrangères pour contrôler des ressources et des routes stratégiques.

Ces niveaux de domination révèlent que la bataille du XXIe siècle est avant tout mentale, linguistique, éducative, informationnelle et spirituelle. Ces formes de domination, de la conquête militaire au contrôle mental et informationnel, montrent que la bataille pour l'Afrique au XXIe siècle se joue autant dans les esprits que sur le terrain, rendant urgente la construction d'une souveraineté cognitive et culturelle réelle.

I. Le colonialisme : domination militaire, territoriale et identitaire

1. Fondements théoriques et historiques

L'historiographie classique a longtemps décrit le colonialisme comme un phénomène militaire, administratif et économique. L'indépendance juridique était censée signifier la fin du processus. Mais Fanon, Memmi, Said, Quijano et Ngig) wa Thiong'o ont démontré qu'il s'agissait d'un système total, visant à reconfigurer la conscience, la langue, la mémoire et l'imaginaire du colonisé.

Fanon (1961) affirme que « la colonisation modèle le colonisé jusque dans l'intimité de sa conscience ». Memmi (1957) explique que l'objectif est de fabriquer un être dépendant, convaincu de son infériorité. Ngig) wa Thiong'o (1986) insiste sur la langue comme « premier territoire colonisé ». Edward Said (1978) démontre la fabrication d'un « cadre interprétatif » occidental imposé au reste du monde. Le colonialisme a laissé une empreinte durable : une structure mentale qui perdure bien après la fin de l'occupation militaire.

2. Les piliers de l'attaque coloniale : langue et terre

a) La langue :

invasion cognitive

La langue est le principal vecteur de la pensée et de la culture, façonnant la conscience et les perceptions. L'imposition de la langue coloniale a marginalisé les langues africaines, réduisant leur expression culturelle et affaiblissant la mémoire collective. En Algérie, le français domine l'enseignement supérieur et l'administration, tandis qu'en Afrique de l'Ouest, l'anglais et le français structurent l'accès aux carrières, marginalisant les langues locales. Cette invasion cognitive a engendré une dépendance intellectuelle durable, entravant la production de savoirs endogènes.

b) La terre : dépossession et domination

La terre représente l'identité, la souveraineté et l'ancrage historique des peuples. Le colonialisme a rompu le lien entre communauté et espace en privant les Africains de leurs territoires et en imposant des frontières arbitraires. En Afrique du Nord, le morcellement des terres a réduit l'autonomie économique locale. Au Congo et en Angola, l'exploitation minière a forcé le déplacement des populations. Cette dépossession a permis de contrôler les ressources et de structurer l'économie au profit des intérêts coloniaux. La perte du contrôle territorial compromet la culture, l'organisation sociale et la mémoire collective, affectant l'autonomie et la continuité générationnelle.

II. Le néocolonialisme : la seconde peau de l'empire

1. Les outils du néocolonialisme

Malgré la fin du colonialisme militaire direct, l'Afrique est entrée dans une ère de néocolonialisme dès les années 1960. Théorisé par Kwame Nkrumah (1965), ce concept désigne le maintien du contrôle économique, financier, diplomatique et culturel par les anciennes puissances coloniales, malgré leur retrait physique. Moins visible, mais tout aussi efficace que le colonialisme classique, le néocolonialisme repose sur la dépendance structurelle des États africains.

1. Les outils du néocolonialisme incluent :

Économie : Le contrôle des ressources et la dépendance commerciale persistent, l'Afrique exportant majoritairement des matières premières et important des produits manufacturés. Les multinationales étrangères dominent les secteurs clés (mines, énergie, agriculture), influençant les prix, les marchés et limitant le développement industriel local. Monnaie : La dépendance financière se manifeste notamment dans la zone franc CFA, où la parité avec l'euro, garantie par la France, freine la politique monétaire locale, limite le financement du développement et rend les États vulnérables aux marchés internationaux. Diplomatie et élites : La formation des élites africaines dans les anciennes métropoles favorise l'adoption de modèles politiques et économiques étrangers, perpétuant un ordre international asymétrique où les politiques suivent des intérêts étrangers plutôt que des stratégies locales.

2. Les limites et effets contemporains du néocolonialisme

Le néocolonialisme repose encore sur des institutions visibles: entreprises étrangères, traités internationaux, organisations financières (FMI, Banque mondiale), réseaux diplomatiques et accords bilatéraux. Toutefois, cette visibilité s'efface progressivement avec l'émergence du métacolonialisme, qui agit désormais sur les esprits, la culture, l'éducation et la technologie.

Exemples contemporains :

- En Afrique centrale, les concessions minières gérées par des multinationales étrangères continuent de générer d'énormes profits exportés hors du continent, tandis que les communautés locales restent marginalisées.

- Au Sahel, l'aide internationale et les programmes de développement financés par l'Occident conditionnent les politiques nationales, limitant la souveraineté décisionnelle des États.

- Les accords militaires et sécuritaires, comme ceux entre la France et plusieurs pays africains, maintiennent une présence stratégique indirecte sans intervention frontale, garantissant la continuité de l'influence étrangère.

- L'implantation des plateformes numériques étrangères et des infrastructures technologiques dépendantes (Google, Meta, Huawei dans certains pays) perpétue une forme de contrôle économique et informationnel.

Ainsi, le néocolonialisme fonctionne aujourd'hui comme une seconde peau de l'empire : moins visible, mais profondément enraciné dans l'économie, la monnaie, la diplomatie et les élites. Il prépare le terrain pour le métacolonialisme et la guerre cognitive, qui représentent la prochaine étape de la domination contemporaine.

III. Le métacolonialisme: la domination des esprits

Le métacolonialisme transcende le colonialisme traditionnel et le néocolonialisme en ciblant la pensée, l'imaginaire collectif et les institutions sociales plutôt que le territoire physique. Il opère de manière stratégique dans les domaines de l'éducation, des médias, de la langue, de la religion et des sciences/technologies, établissant un contrôle subtil mais durable sur les représentations et les normes sociales, intériorisées par les populations colonisées qui perpétuent la logique du colonisateur même sans occupation physique.

1. Domination intériorisée : Les populations colonisées intériorisent et reproduisent les normes du colonisateur, comme le soutient Ngig) wa Thiong'o concernant le rôle du langage dans la structuration de la pensée.

Aníbal Quijano identifie une « colonialité du pouvoir », où les hiérarchies coloniales persistent au sein des institutions après la décolonisation. Achille Mbembe décrit un système postcolonial où la logique coloniale se reproduit de manière quasi automatique.

2. Sphère religieuse : La religion devient un lieu d'influence et de concurrences étrangères. Les doctrines importées sapent les traditions spirituelles locales, fragmentant l'autorité religieuse.

Les ONG et les mouvements religieux extérieurs introduisent des pratiques qui remettent en question les dirigeants locaux, modifiant la perception du sacré et les structures sociales traditionnelles.

3. Sphère éducative : Les systèmes éducatifs restent fortement influencés par des modèles importés.           Les manuels et les programmes scolaires proviennent souvent de l'étranger et sont déconnectés des réalités locales. Les langues africaines sont marginalisées, les sciences sociales locales sous-estimées et les jeunes générations sont formées à reproduire des systèmes de connaissances extérieurs.

L'histoire africaine, par exemple, est souvent enseignée d'un point de vue eurocentrique.

4. Sphère médiatique : Les médias diffusent des récits qui valorisent les modèles étrangers et présentent l'Afrique de manière négative ou stéréotypée.

Les réussites locales sont peu mises en avant, tandis que les crises sont amplifiées. Les plateformes numériques façonnent l'opinion publique en fonction d'intérêts extérieurs, perpétuant ainsi la dépendance cognitive à l'égard de l'information étrangère.

IV. Métacolonialisme et guerre cognitive

Métacolonialisme: domination structurelle et durable.

Le métacolonialisme est une domination structurelle, transgénérationnelle et durable qui façonne les institutions, les langues, la culture et la religion, perpétuant les logiques coloniales. Ses effets incluent la perte d'autonomie intellectuelle, la dépendance à la science étrangère, la fragmentation des identités culturelles et la marginalisation des savoirs endogènes.

Guerre cognitive : action rapide et stratégique.

La guerre cognitive est une action conjoncturelle, ciblée et agressive qui utilise les réseaux sociaux, les algorithmes, les fake news, la propagande et la désinformation pour manipuler émotions, perceptions et comportements. On observe par exemple : la manipulation des élections au Kenya, au Nigeria et en Éthiopie par des campagnes numériques ciblées amplifiant les tensions ethniques et religieuses ; la diffusion de contenus religieux importés et de campagnes idéologiques dans le Sahel et en Afrique du Nord, modifiant la perception du sacré et influençant les comportements ; et la propagation de fake news fragmentant la cohésion sociale et renforçant la dépendance à l'information extérieure. En résumé, le métacolonialisme instaure une dépendance structurelle et culturelle en Afrique, que la guerre cognitive exploite à des fins stratégiques et immédiates, souvent d'origine politique ou géostratégique étrangère.

V. Du colonialisme militaire au métacolonialisme cognitif

Du colonialisme militaire au métacolonialisme cognitif, la domination persiste, sous une forme nouvelle. Le contrôle physique, par la destruction territoriale et l'occupation militaire, a cédé la place au contrôle des imaginaires et des consciences.

L'occupation des terres s'est muée en occupation des esprits, et la domination militaire en domination symbolique et cognitive. Cette continuité révèle l'insuffisance de la seule indépendance politique ou territoriale.

La véritable émancipation de l'Afrique demeure incomplète tant que ses structures mentales, linguistiques et culturelles restent soumises à des normes étrangères. Par exemple, dans certains pays africains francophones, les normes extérieures dictent largement la formation des cadres et la conception des programmes scolaires, perpétuant ainsi les hiérarchies intellectuelles héritées du colonialisme.

VI. Les vecteurs du métacolonialisme

Le métacolonialisme se manifeste à travers plusieurs vecteurs stratégiques affectant la pensée, la culture et la société:

Langue coloniale : L'imposition d'une langue (français, anglais, portugais) dans l'éducation et l'administration entrave la créativité et la production de savoirs endogènes.

Au Cameroun ou en Algérie, par exemple, les manuels importés marginalisent les langues et épistémologies africaines.

Pensée coloniale : La hiérarchisation des savoirs favorise les modèles occidentaux et dévalorise les logiques africaines, souvent sous-représentées dans les programmes universitaires et médiatiques.

Mémoire coloniale : La réécriture de l'histoire occulte les résistances et glorifie la colonisation, présentant celle-ci comme une « modernisation » et effaçant les héros locaux.

Modernité coloniale : L'imposition de modèles sociaux, économiques et religieux externes marginalise les pratiques locales. Les politiques urbaines, la gouvernance et les normes économiques reproduisent des schémas hérités des anciennes métropoles.

Religion : L'importation de doctrines étrangères fragmente les autorités religieuses locales et impose des références externes, modifiant l'organisation des communautés, comme dans certaines régions du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest où ces courants concurrencent les leaders traditionnels.

VII. Les crimes du métacolonialisme

Le métacolonialisme affecte durablement les sociétés africaines à travers :

1. La spoliation cognitive : l'appropriation de la production et transmission des savoirs locaux.

2. La dépossession pédagogique : l'imposition de modèles éducatifs étrangers inadaptés.

3. Le déracinement mémoriel: l'effacement ou la réécriture de l'histoire et des traditions.

4. La fragmentation identitaire: la division des sociétés selon des critères exogènes ou post-coloniaux.

5. La dépendance technologique et scientifique : la subordination aux technologies et standards scientifiques importés, freinant l'innovation et l'autonomie.

Par exemple : la dépendance aux logiciels occidentaux, l'usage de standards technologiques importés et la prédominance des publications académiques africaines dans des revues internationales dominées par les métropoles.

VIII. Stratégies de décolonisation cognitive et épistémique

Pour s'affranchir du métacolonialisme et restaurer sa souveraineté, l'Afrique doit agir sur trois axes: éducation, science-technologie et mémoire-culture. Ces stratégies constituent une révolution cognitive essentielle à l'autonomie intellectuelle, culturelle et scientifique du continent.

Révolution éducative : L'éducation est au cœur de la décolonisation cognitive. Les politiques éducatives doivent recentrer l'Afrique dans son enseignement et produire des savoirs endogènes, notamment par :

- La réintégration des langues africaines dans l'enseignement pour conceptualiser le monde selon des logiques africaines.

- L'intégration de l'histoire africaine (précoloniale, résistances, émancipations) pour forger une mémoire collective fière.

- Le renforcement de la philosophie africaine pour valoriser les traditions locales et contrecarrer l'hégémonie occidentale.

- La production de manuels locaux par des chercheurs africains, reflétant les réalités du continent.

Révolution scientifique et technologique : L'Afrique doit s'affranchir de sa dépendance technologique et scientifique via :

- Le financement de centres de recherche indépendants, produisant des connaissances adaptées aux problématiques locales.

- Le développement d'IA en langues africaines pour l'éducation et la science, réduisant la dépendance aux plateformes étrangères.

- La création de plateformes africaines de données, d'éducation et d'innovation pour un contrôle endogène de l'information.

- La construction d'infrastructures data souveraines (centres de données, serveurs, réseaux) pour l'autonomie et la protection des informations africaines.

Révolution mémorielle et culturelle : La mémoire et la culture sont des outils de résistance cognitive, impliquant :

- La réhabilitation des figures de résistance et des penseurs africains dans l'espace public et l'éducation.

- Le renforcement des récits nationaux et continentaux célébrant les réussites et la créativité africaines, en opposition aux récits occidentaux.

- La création d'observatoires de la domination cognitive pour documenter, analyser et contrer l'influence extérieure, la désinformation, et la colonisation algorithmique, proposant des recommandations pour restaurer l'autonomie intellectuelle et spirituelle.

Synthèse stratégique :

La décolonisation cognitive n'est pas une option/ : elle constitue la condition sine qua non pour assurer la souveraineté réelle de l'Afrique. Elle nécessite une mobilisation simultanée de l'éducation, de la science, de la technologie et de la mémoire culturelle, appuyée par des institutions capables de mesurer et contrer la domination cognitive et algorithmique. Seule une approche intégrée et planifiée permettra de transformer la liberté politique et économique en liberté intellectuelle, culturelle et spirituelle durable.

IX. La guerre par procuration : la nouvelle frontière de la domination en Afrique

À côté des formes classiques de domination - colonialisme, néocolonialisme et métacolonialisme - une nouvelle configuration géopolitique s'impose sur le continent : la guerre par procuration. Là où les anciennes puissances ne peuvent plus intervenir directement sans coût diplomatique, économique ou médiatique, elles utilisent des acteurs non étatiques-groupes terroristes, mercenaires et sociétés militaires privées-comme instruments de pression et de contrôle.

Cette stratégie constitue aujourd'hui l'un des vecteurs les plus insidieux d'ingérence et de fragmentation des États africains.

1. Les mécanismes de la guerre par procuration

La guerre par procuration repose sur trois leviers principaux:

- Groupes terroristes : installés dans des zones d'instabilité entretenues, ils deviennent des instruments de manipulation stratégique. Leur présence justifie des interventions étrangères et perturbe la souveraineté locale, transformant le terrorisme en outil géopolitique.

Exemple : le Sahel, où des réseaux terroristes facilitent l'intervention de puissances étrangères sous prétexte de lutte antiterroriste.

- Mercenaires et sociétés militaires privées : opérant dans le flou juridique, ces acteurs remplacent parfois les armées locales.

Ils orientent les conflits, sécurisent les intérêts économiques étrangers et participent au contrôle des ressources stratégiques. Exemple : certaines sociétés de sécurité privées présentes dans les mines de cobalt en RDC ou les infrastructures pétrolières en Libye.

- Compagnies de sécurité internationales : elles contrôlent routes, infrastructures et concessions, exerçant un contrôle de facto sur le territoire. Leur présence transforme la souveraineté territoriale en souveraineté conditionnelle.

2. L'Afrique face à l'inertie institutionnelle

La guerre par procuration prospère en partie grâce à la tolérance ou à la paralysie des institutions africaines, notamment de l'Union africaine. L'inaction continentale permet :

- l'installation permanente de forces étrangères déguisées,

- la mise en place de partenariats sécuritaires asymétriques,

- la régularisation implicite de sociétés militaires privées opérant sur le continent.

Cette paralysie institutionnelle fragilise la souveraineté collective, accentue la fragmentation régionale et laisse le champ libre aux interventions extérieures.

3. Impacts stratégiques et sociopolitiques.

La guerre par procuration :

- Fragmentation étatique : déstabilisation des institutions et effritement du pouvoir central, rendant la gouvernance difficile.

- Captation des ressources: contrôle indirect des mines, hydrocarbures et infrastructures critiques par des acteurs étrangers.

- Manipulation de l'opinion: les populations locales sont prises entre propagande, terreur et dépendance, accentuant la fracture sociale et ethnique.

- Dépendance sécuritaire : les États africains deviennent tributaires des forces extérieures pour la protection de leur territoire.

4. Stratégie de sortie et recommandations pour une souveraineté durable

Pour contrer efficacement la guerre par procuration, l'Afrique doit adopter une stratégie multilatérale, intégrée et proactive, articulée autour de cinq axes :

1. Réforme institutionnelle de l'Union africaine : renforcer le mandat continental en matière de sécurité, d'identification des acteurs extérieurs et de sanctions contre l'ingérence.

2. Coordination régionale et défense collective : créer des forces africaines de réaction rapide, interconnectées, capables d'agir sur les zones de conflit et de neutraliser les acteurs extérieurs illégitimes.

3. Surveillance et renseignement endogène : développer des agences africaines de renseignement stratégique et cybernétique, pour détecter et contrer les interventions des mercenaires, sociétés militaires privées et réseaux terroristes.

4. Souveraineté économique et sécuritaire : contrôler directement les ressources stratégiques et infrastructures critiques, réduire la dépendance aux entreprises et armées étrangères.

5. Mobilisation cognitive et informationnelle : combattre la désinformation et la propagande via des plateformes africaines, renforcer l'éducation civique et développer des campagnes médiatiques visant à reconstruire la cohésion sociale et le sentiment d'appartenance au continent.

Synthèse stratégique:

La guerre par procuration est l'extension moderne du colonialisme invisible et de la domination néocoloniale. Elle combine pression militaire indirecte, contrôle économique et manipulation cognitive.         La seule voie pour restaurer la souveraineté réelle de l'Afrique réside dans une réponse coordonnée et autonome, qui articule sécurité, économie, institution, éducation et culture, tout en réaffirmant le leadership africain sur ses propres territoires et populations.

X. Conclusion générale et synthèse stratégique : de la domination à la souveraineté africaine

L'Afrique, après avoir brisé les chaînes du colonialisme, se trouve aujourd'hui confrontée à des formes de domination beaucoup plus subtiles et complexes, qui échappent souvent au regard de la communauté internationale. Le colonialisme militaire a disparu, mais son héritage demeure dans les conflits territoriaux et les inégalités socio-économiques, comme en témoigne encore la question du Sahara occidental, dernière colonie du continent, symbole persistant d'une souveraineté incomplète. Le néocolonialisme a pris le relais par des instruments économiques, monétaires et diplomatiques qui reproduisent les schémas coloniaux sous des formes invisibles et normalisées. Les élites cooptées, la dépendance monétaire et les multinationales étrangères ont perpétué la tutelle économique et institutionnelle sur le continent. Le métacolonialisme, quant à lui, a déplacé le champ de bataille dans les esprits. Langue, culture, science, religion, médias et technologies sont devenus des vecteurs de dépendance cognitive. La souveraineté formelle de l'État ne garantit pas encore la liberté de pensée, l'indépendance éducative ni l'autonomie scientifique.

La guerre cognitive, rapide et ciblée, exploite les réseaux sociaux, les algorithmes et la désinformation pour manipuler opinions publiques, croyances et comportements.

Elle accentue la fragmentation sociale, ethnique et religieuse, tout en consolidant l'influence des puissances étrangères sans intervention directe.

Enfin, la guerre par procuration représente la dernière frontière de la domination en Afrique. Par l'intermédiaire de groupes terroristes, mercenaires et sociétés militaires privées, les puissances étrangères imposent leurs agendas sécuritaires et économiques, tout en exploitant la paralysie ou la tolérance des institutions africaines, comme l'Union africaine.

Synthèse stratégique pour la souveraineté africaine

Pour recouvrer une souveraineté réelle, l'Afrique doit agir simultanément sur cinq fronts :

1. Colonialisme / territoires non résolus : résoudre les questions territoriales héritées du colonialisme, comme le Sahara occidental, à travers des mécanismes diplomatiques et juridiques robustes et un leadership africain fort.

2. Néocolonialisme : réformer les structures économiques, renforcer la souveraineté monétaire, contrôler les ressources stratégiques et limiter la dépendance aux multinationales et institutions financières étrangères.

3. Métacolonialisme : reconstruire les institutions culturelles, éducatives et scientifiques, promouvoir les langues africaines et les philosophies endogènes, et restaurer la mémoire historique et héroïque du continent.

4. Guerre cognitive : développer des plateformes médiatiques africaines, renforcer l'éducation civique et numérique, et créer des observatoires continentaux pour surveiller et contrer la désinformation et la manipulation idéologique.

5. Guerre par procuration : établir une force africaine de réaction rapide et coordonnée, renforcer le renseignement stratégique et cybernétique, contrôler directement les zones de ressources critiques, et renforcer le rôle de l'Union africaine dans la sécurité et la souveraineté collective. La bataille du XXII” siècle n'est plus seulement militaire ni économique : elle est cognitive, technologique, culturelle et stratégique. La souveraineté africaine ne sera complète que lorsque les peuples et les États du continent auront recouvré : leur territoire, leur autonomie économique, leur indépendance cognitive, leur intégrité informationnelle, et leur capacité à défendre leurs institutions et leurs ressources.

En d'autres termes, la libération de l'Afrique est désormais une bataille des esprits, des institutions et des stratégies, et non plus seulement des armes. La vision d'une Afrique libre, unie et souveraine repose sur une action intégrée, simultanée et courageuse sur tous ces fronts.

Bibliographie

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