Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Tiaret: Canicule, moustiques et torpeur

par El-Houari Dilmi

Oui, il faut le croire, A Tiaret le soleil se lève deux fois, le matin et après la sieste...

Cette année, l'été a fait une en       trée en matière des plus fracassantes, le mercure ayant grimpé jusqu'à 43° Celsius. Des quartiers de la ville de Sougueur, deuxième plus grand centre urbain après Tiaret, sont sans eau depuis plusieurs jours... Contrairement aux années précédentes, dès le début du mois de juin, le mercure s'est emballé pour ne pas descendre sous la barre des 40 degrés Celsius. En ce jeudi 10 juillet, il est à peine huit heures du matin et le soleil est déjà à portée de main ! Mercredi encore, plusieurs quartiers tout autour du mausolée de Sidi Khaled, sur les hauteurs de la ville, ont été plongés dans le noir pendant plus de 36 heures. La grosse panne a causé des dégâts importants, surtout aux boulangers et commerçants de produits frais. Il est neuf heures passées, et la ville est toujours plongée dans une lourde torpeur, la ville assoupie paraît comme abandonnée par ses habitants. Même les commerces ne lèvent leurs rideaux qu'après 10h passées. La ville est presque vide. A part une poignée de quidams se dirigeant à la manière des «automates» vers le centre-ville. Au beau milieu de la «place rouge», indémodable bourse à ragots de la cité des Rostémides, des silhouettes avachies glissent d'ombre en ombre à la recherche d'un brin de fraîcheur. Tout autour du marché couvert, c'est la foire d'empoigne : des vendeurs à la sauvette ont carrément assiégé tout le pourtour du marché couvert jusqu'à la Medersa, transformant les lieux en un véritable capharnaüm.

Cauchemars des nuits d'été

Cet été à Tiaret, les moustiques ont envahi jusqu'aux salons climatisés, donnant des nuits blanches à plus d'un. Nombreux sont les habitants, de la partie sud de la ville surtout, qui pointent un doigt accusateur vers la mairie «qui n'a pas fait son boulot», s'époumonent-ils à l'unisson. Le corps criblé de piqûres de moustiques, ce père coléreux s'est même rendu jusqu'à la maison de la presse pour dénoncer l'envahissement de sa demeure au quartier de Teffah par des «escadrons» de diptères.

Cette année, les vendeurs de moustiquaires, pastilles et autres répulsifs anti-moustiques font de belles affaires. «Jamais, on a vu autant de moustiques, de mouches et autres cancrelats, mes enfants sont tous malades à cause des piqûres de ces bestioles», tempête Amar, un locataire de la cité «Socoltiar». Il est vrai que cette année, la lutte anti-larvaire qui se fait en hiver, n'a pas été effectuée par les services d'hygiène de la commune. De la place du 17 octobre jusqu'aux escaliers de la Medersa, c'est le grand bazar. Des vendeurs à la sauvette par dizaines occupent toute la voie publique, même les trottoirs ne sont pas épargnés, obligeant les piétons à marcher sur la chaussée au risque de se faire «emboutir» par une voiture. Les tentacules du commerce informel ne cessent de s'étendre à toute la ville de Tiaret. A la « place rouge », des tempes grises y passent leur temps à ruminer leurs souvenirs, et à refaire le monde jusqu'à ce que le soleil, trop dardant, ne les contraint à quitter les lieux après avoir caché soigneusement les bouts de carton sur lesquels ils s'assoient. Lieu mythique de l'antique Tihert, « la place rouge », point conjonction des « ouled bled », donne l'impression de chuchoter dans l'oreille de la ville pour lui raconter des «histoires» qui ne tiennent jamais debout.

Dans une région où il fait bon ou mal vivre en fonction de la saison agricole, cette année, la terre comme le ciel ont été peu magnanimes avec des conséquences ressenties par tout un chacun. A commencer par les commerçants qui se plaignent d'un chômage chronique, certains «gardent le tiroir-caisse fermé pendant plusieurs jours», se plaint ce vendeur de savates made in sur l'artère commerçante de la rue « Emir Abdelkader ».

Il est presque dix heures passées et toute la ville n'est pas encore arrachée à son sommeil et pour cause... La veille, une canicule à faire tituber un dromadaire a contraint plus d'un Tiaréti à humer l'air frais dehors, jusqu'à très tard dans la nuit.

Le trafic de drogue inquiète

Pris au piège de la mal vie et du chômage, des «grappes» de jeunes plongent tête la première dans l'enfer de la drogue. Dans les populeux quartiers du sud de la ville, des jeunes, les yeux bouffis, semblent être sous l'emprise de substances psychoactives. Cette année, les affaires liées aux trafics de stupéfiants ont augmenté de façon inquiétante. Petite éclaircie dans ce tableau sombre : une association caritative a pris la louable initiative de marier des couples dans le besoin. Au spectacle de ces voitures rutilantes usant leurs pneus neufs sur du macadam brûlant, répond ce «contraste» de groupes de jeunes arpentant les rues de la ville. Cette année, plus de 3000 jeunes ont été invités à passer un séjour de 10 jours au bord de la grande bleue. D'autres n'ont pas eu la même chance, comme ces enfants qui n'ont rien trouvé de mieux pour se rafraîchir que de nager dans un jet d'eau plein d'une fangeuse, près du siège du rectorat de l'université Ibn Khaldoun. Pour les moins veinards, trouver un petit job pour se faire un peu d'argent de poche reste la principale préoccupation dans une ville où le chômage sévit à l'état endémique. Comme poussés par une irrésistible envie de changer d'air, des jeunes, à peine sortis de l'adolescence, «tirent des plans sur la comète» pour tenter de trouver le moyen d' «enjamber» la grande bleue en quête de lointains horizons. Cette année, plus d'un Tiaréti mange en effet du «mauvais grain» à cause d'une saison agricole des plus mauvaises. «Cette année encore, il n'y a pas assez de sous, et cela se ressent chez tous, à commencer par les commerçants qui voient leurs chiffres d'affaires se réduire comme peau de chagrin», soupire Djillali, affalé sur une table dans un café maure au nord de la ville.

Se rafraîchir à l'ombre des jets d'eau

Cet été, comme le «douro se fait rare», selon les termes de Khaled, un «désargenté chronique», nombreux sont ceux qui meublent leurs longues et chaudes journées estivales par des hobbies... de fortune. Pas trop vite le matin, doucement le soir, les Tiaretis semblent se passer le mot pour rester terrés chez eux jusqu'à 10 heures passées. Après une brève virée sous un soleil dardant, ils retournent à leurs domiciles flanqués d'une pastèque ou d'un melon blet pour les plus «chanceux». Vers 17 heures, lorsque la chaleur se fait moins oppressante, ils ressortent dehors pour aller flâner dans les rues et mordre la poussière dans une ville où la propreté et la salubrité publique ne sont encore que de vains mots. Vers 19 heures, une foule bigarrée est agglutinée aux alentours de l'ex-place Carnot. Devinez pour quelle raison ! Les jets d'eau, encore flambant neufs, sont utilisés comme des climatiseurs naturels pour se rafraîchir avec les «postillons» dégagés par une eau fraîche provenant directement de Aïn El-Djenane. Jusqu'à une heure tardive de la nuit, des jeunes et des moins jeunes hument l'air frais sur du marbre rutilant au milieu d'interminables palabres au sujet de tout, de tous et de rien en même temps. Interdit de chapitre depuis des lustres, plus personne à Tiaret ne sait ce qu'est une activité culturelle ou artistique. Victime du changement de l'ordre des priorités, aucune association culturelle ni troupe musicale ou de théâtre, jadis fierté de la ville de Ali Maâchi, n'a survécu à la mode terriblement réaliste du «manger avant de songer», susurre du bout des lèvres un ex-mélomane, que les «morsures» de la vie ont transformé en un alcoolique invétéré. Alors, pour tromper l'ennui ambiant, tout le monde se débrouille comme il peut. «L'mout oula août à Tiaret...!», comme disait notre ami le regretté Khelifa. Rien que ça !