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La grande bataille pour les cerveaux

par Nourredine Bouchikhi

Depuis l'avènement de M. Trump à la tête des États-Unis le monde vit d'énormes chamboulements avec des conséquences non seulement politiques, illustrées par la guerre au Moyen Orient ou économiques par l'imposition de tarifs douaniers jugés excessifs dont le but est de mettre fin à toute concurrence étrangère mais bien au-delà puisque l'impact de ces mesures extrêmes a touché même le secteur scientifique.

L'Administration américaine a, en effet, décidé des amputations drastiques des budgets consacrés à la recherche et au développement ce qui n'est pas resté sans répercussions; de nombreux scientifiques étaient alors contraints à retrouver un environnement beaucoup plus propice pour leurs travaux au point qu'ils étaient prêts à l'exil ailleurs ; une situation si tôt exploitée par certains dirigeants du monde à l'affût de la moindre occasion pour s'attirer les services et l'expertise de grands savants dans tous les domaines ; c'est ainsi par exemple que le président français M. Macron a invité et avec insistance ces déçus du système à venir s'installer en France avec la promesse d'un cadre de travail meilleur et d'une législation encourageante; il s'agit bien là d'une opportunité à ne pas rater pense-t-il et il n'a pas vraiment tort. Dans le même ordre d'idées et avec le même objectif de favoriser la venue de personnes hautement qualifiées, dans notre pays, on ne peut que s'en inspirer quoique cette proposition a été évoquée à maintes reprises par le passé mais sans avoir eu d'adeptes pour la promouvoir.

Certes l'Algérie ne peut rivaliser avec les moyens et les conditions de travail que peuvent offrir les pays développés mais il existe un secteur qui peut tirer son épingle du jeu c'est celui de la Santé ; un secteur budgétivore surtout quand il s'agit de maladies nécessitant un transfert à l'étranger où la facture souvent salée est réglée en devises sonnantes et trébuchantes.

Au lieu de dépenser des sommes astronomiques au profit d'hôpitaux étrangers ces ressources auraient pu être consacrées au développement de la médecine et à la formation d'où la nécessité d'être au diapason et réfléchir à faire plutôt venir, ici-même, ces médecins hautement qualifiés dont beaucoup sont des sommités dans leur spécialité avec une grande expérience cumulée, tout au long de leur carrière, d'autant qu'ils ne peuvent plus exercer dans leur pays une fois mis à la retraite bien qu'ils soient encore fructueux pour nous faire profiter du transfert de leur savoir-faire et de leur compétence à la valeur inestimable ; certains de ces médecins en exercice mais, de plus en plus des retraités, viennent déjà régulièrement en Algérie, dans le cadre de bénévolat en collaboration avec des Associations nationales ou mixtes ; grâce à eux des centaines de malades ont pu bénéficier de soins de haute qualité et qui auraient pu coûter très chers au Trésor public. Ils ont pu aussi offrir une chance à ceux qui, pour une raison ou une autre, ne pouvaient être transférés pour se faire soigner à l'étranger. Nous ne serions pas alors les pionniers dans ce domaine ; tout le monde doit connaitre le célèbre professeur Luc Montagnier celui même qui a découvert le virus du SIDA ; une fois l'âge de la retraite atteint il ne pouvait plus exercer dans son pays la France ; c'était une chance inouïe pour les Américains qui l'ont accueilli bras ouverts pour entamer ainsi une nouvelle carrière ; on a mis à sa disposition un laboratoire moderne construit selon ses vœux, on l'a équipé et doté d'un budget conséquent pour qu'il puisse poursuivre ses recherches dans le domaine de la virologie ; il y est resté d'ailleurs jusqu'à sa mort en février 2022, les Américains sont connus pour leur pragmatisme, sachant séduire les plus qualifiés dans leur domaine et il faudrait en faire un exemple; comparés par exemple aux Français qui ne font aucune exception en matière d'âge d'admission à la retraite et c'est là la brèche par laquelle on peut s'y introduire, une niche encore exploitable, pour le moment, d'autant que l'exercice de la médecine, surtout pour les diplômés de l'Union européenne, dans d'autres pays comme le Canada, pays francophone est strictement encadré par une réglementation sévère et décourageante ; les diplômes étrangers ne sont pas systématiquement reconnus et c'est un parcours de combattant pour espérer en décrocher l'équivalence ; seuls quelques persévérants y arrivent.

Il ne faut pas hésiter donc un instant à dérouler le tapis rouge à cette frange de retraités. L'avantage est qu'ils sont peu exigeants pour la contrepartie qui peut se résumer seulement dans la facilité d'octroi de visas de longue durée avec de multiples entrées ensuite par la prise en charge des frais de transport et de séjour dans des conditions les plus agréables possible, une occasion aussi pour promouvoir le Tourisme national reste encore un autre obstacle à aplanir ; l'adaptation de la législation en matière d'autorisation d'exercice et l'assurance contre les risques liés aux soins comme cela a déjà été fait pour les délégations de coopérants chinois et cubains entre autres. Et pour ceux qui souhaiteraient s'installer durablement étudier la possibilité d'établir des contrats même à durée déterminée (CDD). Enfin un pécule symbolique ne sera pas de trop, le tout sera rentabilisé au premier acte ou intervention chirurgicale réalisés. Ce n'est pas un appel à tout venant mais il faut cibler les spécialités rares, inexistantes encore ou à la pointe de la technologie.

Une fois ces conditions réunies, somme toute, faciles à remplir beaucoup de médecins étrangers ou binationaux trouveront motivation à venir ; autre bénéfice et pas des moindres c'est le transfert d'un savoir-faire précieux au profit de nos jeunes médecins, sans devoir débourser le moindre sou ; ils pourront ainsi prendre le relais une fois acquis les gestes techniques nécessaires et apprivoiser les outils modernes d'intervention, avec comme objectif l'autonomie et par-delà la transmission du savoir acquis.

En médecine la réussite d'un acte dépend souvent du travail de toute une équipe ainsi ces facilitations devront aussi bénéficier au personnel paramédical sans que certains gestes sont impossibles à réaliser par le meilleur professionnel qui soit un exemple des plus perceptibles est celui de la chirurgie cardiaque où ce n'est pas n'importe quel infirmier ou infirmière qui peut assister l'opérateur lors d'une intervention car cela exige des compétences et une formation hautement qualifiée ; il s'agit d'un travail d'équipe bien rodée.

Il est donc judicieux de s'adapter à toute situation pour en tirer un maximum pour le bien du pays et celui des malades. A travers l'histoire les exemples font légion et dans tous les domaines ; les pays ne manquent pas d'initiatives pour faire venir des compétences sans tenir compte de leur origine , nationalité ou âge ; ceci est particulièrement évident en sport où le changement de nationalité sportive est monnaie courante afin que le pays bénéficiaire puisse avoir une chance de monter sur le podium. La France s'en mord encore les doigts pour avoir laissé filer une occasion certaine d'acquérir une médaille grâce à la jeune Kayla Nemour devenue finalement championne olympique algérienne de gymnastique. L'Algérie a su être convaincante elle a pu lui permettre de se préparer dans les meilleures conditions et de se voir ainsi se faire récompenser en hissant le drapeau national et pour la première fois de son histoire dans cette discipline dominée jusque-là par certaines nations seulement. Pendant la Seconde Guerre mondiale les Américains ont offert le gîte et la protection aux savants allemands transfuges d'un pays jadis ennemi avec pour objectif la maîtrise de la technologie nucléaire et au lendemain de l'Armistice ils ont encore tout fait pour recruter les ingénieurs en Aéronautique pour ainsi développer celle des fusées ; car l'Allemagne détenait une longueur d'avance dans le domaine; aujourd'hui la supériorité des États-Unis dans ces domaines est incontestable ; beaucoup de nos brillants compatriotes étudiants ou diplômés n'ont pu résister au chant de cygnes succombant au avantages offerts ; la plupart se sont fait naturalisés pour contribuer à l'essor des pays hôtes.

Cette mission, hautement sensible, devrait être une priorité de l'Etat dans le cadre d'une stratégie globale et un ministère dédié ne serait pas de trop ; cette tâche ne peut rester dévolue aux simples Associations limitées par les moyens et sans l'assurance d'une pérennisation d'une telle action. Nous constatons qu'à travers le monde c'est une lutte acharnée qui est engagée pour copter l'excellence dans tous les domaines, l'Algérie ne peut se permettre le luxe d'être en marge de cette bataille ; elle devra consacrer les moyens nécessaires pour s'adjuger ne serait-ce que les compétences de la diaspora algérienne dont la composante, en grande majorité, est disposée à prêter main forte à l'essor du pays et à apporter toute l'aide à ses compatriotes à moindre frais. Le secteur de la Santé a été pris en exemple mais cette stratégie pourrait être appliquée dans tous les domaines.

Le génie humain est la seule valeur sûre au développement d'un pays. Le Japon ou la Corée du Sud des pays pauvres en ressources naturelles ont pu se classer en un cours laps de temps parmi les nations les plus riches grâce à la valorisation de la matière grise. La guerre des « 12 jours » ayant opposé l'Iran à l'entité sioniste a bien illustré cette réalité ; les hordes sionistes en étaient conscients pour avoir ciblé non pas les installations en priorité car il suffit juste de mettre le prix pour les acquérir de nouveau mais d'abord ce qui représente à leurs yeux la véritable menace à leur hégémonie : les cerveaux du pays à l'origine du développement du secteur nucléaire iranien et qu'il serait malheureusement difficile de remplacer de sitôt; c'est dire qu'il faudrait œuvrer avec ténacité à saisir toute occasion qui se présente pour s'attirer les faveurs de personnes compétentes et dans tous les domaines surtout stratégiques ; il s'agit d'un investissement peu coûteux mais dont la rentabilité est garantie.