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Cannes à toute heure 1/6: Low battery

par Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

C'est donc reparti, tant pis pour toi ô envoyé spécial du QDO, le risque de l'année de trop ne fait que fatalement s'accroître. Maintenant que spontanément les jeunes occidentaux te vouvoient et te donnent du «monsieur» quand leurs homologues arabes te saoulent à coup de «tonton» en vf, en va, en veux-tu en voilà, avec le sourire qui plus est, genre ils sont polis, alors que ce n'est que lorsqu'ils sont polissons qu'ils peuvent être, un tant soit peu, intéressants. Oh, bien sûr il y a les lots de consolation, en attendant pour dans pas longtemps la réduction dans les transports en commun, te voilà invité pour la toute première fois, au dîner d'ouverture du Festival de Cannes, dans un Carlton retapé à neuf, à quelques tablées de Catherine Deneuve, Mads Mikkelsen, le fils de Kirk Douglas, comment il s'appelle déjà ? Et puis celle-là dont le nom t'échappe et celui-là qui est dans presque tous les films, tu sais bien. T'as vu, ta mémoire défaille, allez encore une coupe pour te consoler en disant que c'est l'effet des bulles qui te fait oublier les noms; ensuite tu te jettes sur l'entrée intitulée ?Demoiselle de Homard', «poudrée à la violette avec de la crème de mascarpone», en faisant semblant de comprendre tout ce que raconte ton voisin états-unien et tête à claques qui pige pour le ?Hollywood reporter', et qui revient sur l'affaire Johnny Deep, dont te ne diras point que tu te contre-fiche pour ne pas finir au bûcher, en tout cas pas avant le plat qui arrive et qui a l'air tout bien : Loup saisi à la flamme, justement, accompagné, de «fleur de courgette et artichaut à la pépino». Pour faire bonne impression tu balances au journaleux prométootistes le finish rigolo du dernier post enflammé de Sarah H que tu venais de lire en attendant le dîner: «On ne sépare pas l'oeuvre de l'homme; on sépare les femmes de leur dignité, de leurs corps: ces objets de film, de désir, de mépris, de condescendance, de paternalisme, d'infantilisation, de sexualisation. On les sépare du monde vivant. On ne sacrifie pas un Johnny Depp, un Depardieu ou un Polanski, pour une banale histoire de viol. Le cinéma/l'art, c'est plus sérieux (et plus sale) que ça !». L'amerloque reste bouche bée ? De deux choses l'une : soit c'est parce que le propos est trop fort (bravo Srah), soit parce tu parles toujours aussi mal anglais (plus probable, désolé H); l'important il t'a lâché la grappe et tu as pu t'occuper du dessert : Saint Honoré à la vanille de Madagascar; t'as pas retenu le nom du pigiste, mais celui créateur du menu, le chef Laurent Bunel. Le dîner avec orchestre s'est achevé tard, et tu n'as pu enchaîner à La Welcome-party. Ton corps comme ton smatphone, affiche low battery. Dès la première soirée. Tu te rends à ton hôtel comme on se rend à une évidence.

? 08H10 Deux jours et une dizaine de films plus tard. La forme des grands jours. L'heure des belles promesses qu'on tiendra, un peu ou pas. Breakfast tout seul et brainstorming entre toi et toi-même. Pour cette 76ème édition (30ème accréditation d'affilée) de Cannes, qu'est-ce qu'on peut inventer comme programme pour changer un peu sans changer vraiment ? «Le changement dans la continuité», tu t'en souviens ? Cette année t'as trouvé quoi comme idée ? Une nouvelle rubrique, «Tarantino fel Houmma» dont le principe est de faire dialoguer autour d'un film américain connu de tous, plutôt des années 70-80, le célèbre Quentin Tarantino, attendu à Cannes, pour un ciné-club surprise à la Quinzaine des Cinéastes, avec des cinéphiles? algériens ? T'es sérieux-là ? Tarantino va taper la causette avec des Algériens pour parler d'Orange Mécanique, Taxi Driver, L'Inspecteur Harry, etc ? Enorme scoop avec anguille sous roche à Rocher Noir. Premier épisode aujourd'hui même. Une autre rubrique, en alternance avec la première, intitulée «Top10 ciné-Ifriquiya» invitera d'autres Algériens plus ou moins célèbres à dresser leurs listes des 10 meilleurs films africains, tous genres et toutes époques confondus. Pour le casting, pas de surprises, que du très attendu, Wassyla Tamzali est d'ores et déjà pressentie, pour ne citer qu'un exemple.

?09H00 Fin du petit-déjeuner extra beurré et de la macro-conférence de rédaction en solo, tu décides à l'unanimité que finalement la troisième rubrique envisagée ne se fera pas, pourtant tu tenais une sorte de bonne idée avec «Algériens de très de loin», chronique analytique et sociologiquement pointue qui devait prendre en charge tous les metteurs en scène et comédiens présents à Cannes qui se réclament un peu -voire un peu plus qu'un peu- «Algériens», sans l'être vraiment-vraiment; de la française Maïwen au Brésilien Karim Aïnouz en passant par le Kabyle du futur Dali Bensalah (mère bretonne, père bougeotte), le branché françaoui Elias Belkeddar qui a réalisé à Alger «Omar la Fraise», Karim Leclou, etc, il y avait effectivement de quoi nourrir une chronique sucrée-salée. De peur de te faire tirer les cheveux dans un restaurant parisien, et de te fâcher avec quelques puissants attachés de presse, tu as préféré renoncer. Low energy.

?15H00 Tu ne chantes pas sous la pluie, tu rumines ta colère et tu fais comme tout le monde: même si tu as eu facilement ton e-ticket pour le dernier Almodovar, tu attends sous la flotte et sans parapluie dans l'énorme file de la salle Debussy. Le Festival de Cannes, sa météo exécrable et son monde impitoyable ! Pingouins trempés, esquimaux fondus, arrêtez de vous bousculer, y aura de la place mouiilllée pour tout le monde !

?15H30 Tout ça pour ça ? L'idée que le grand cinéaste espagnol revienne avec un court de 30 minutes, western en américain tourné en Espagne, était alléchante. Le résultat l'est beaucoup moins. Dans «Strange way of life» deux cow-boys qui se sont aimés jadis à l'ombre des derricks, se retrouvent des années après, Ethan Hawke joue le rôle du shérif vieillissant qui doit arrêter le fils de son ancien amant Pedro Pascal.

?17H15 Autre déception d'un autre grand habitué du Festival, le Japonais Hirokazu Koré- eda, qui a raflé la palme d'or en 2018 avec Une affaire de famille, propose, toujours sur le thème de l'enfance, un film un peu trop compliqué pour rien. Monster tente de nous convaincre que si les enfants peuvent être des monstres, les adultes n'ont rien à leur envier, soit, et so what ? Soignée la réalisation est construite sur une série de récits qui se contredisent au fur et à mesure qu'ils s'enrichissent. Procédé déjà archi-usé par les séries plateforme génération

?19H30 Le grand cinéaste Souleymane Cissé est honoré pour l'ensemble de sa carrière à la Quinzaine des Cinéastes; l'élégant patriarche malien est venu en famille, c'est-à-dire pas moins d'une trentaine de personnes joyeuses en boubous splendides; le soir à la fête d'ouverture de la Quinzaine, ce sont les jeunes Maliens et Maliennes qui ont enflammé la piste de danse. Sans eux, sans elles, la party organisée sous une pluie fine mais persistante n'aurait eu aucune saveur.

?Minuit et des poussieres Gavé de mini-burgers cholestérolesques et de jus de pomme tièdesque, tu t'apprêtes à quitter la fête de la Quinzaine. Au passage, le nouveau délégué général de cette section parallèle, Julien Rejl, te conseille vivement de ne pas rater le film «Déserts» du Marocain Fawzi Bensaïdi, avec un argument effectivement costaud «C'est du niveau de Abou Leila, d'Amine Sidi-Boumedienne».



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