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Liberté de la presse en Algérie : mauvais classement ou mauvaise élève ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Dans le classement mondial annuel de la liberté de la presse 2013 de Reporters sans frontières (rapport rendu public mercredi 30 janvier 2013), l'Algérie occupe la 125e place sur un total de 179 pays passés en revue.

Surtout, ne nous empressons pas, comme à notre (mauvaise) habitude, de clamer que le travail originel de RSF ne vaut rien et qu'il y a, quelque part, un «complot ourdi». Au contraire ! Il est utile et nécessaire, même s'il est contestable au niveau de la méthodologie et des critères choisis (qui n'ont jamais été fournis de manière claire avec les résultats présentés, ce qui relève de l'éthique et de la déontologie élémentaires de tout sondage qui se respecte... ou, s'ils ont été fournis par le passé, ils sont bien oubliés et, peut-être même, obsolètes) pour déterminer le pays le plus ou le moins répressif en matière de liberté de la presse.

Car, tant que nous n'avons pas fait de même ou mieux (ce qui participe incontestablement de la bonne gouvernance), il faut s'en contenter et tenir compte des résultats. Comme on le fait («en douce», le grand public ayant droit aux vociférations) pour les classements et appréciations du Doing Business, de la Coface, du Ducroire et du Forum économique mondial (le tout dernier sur les Tic, avec une... 131 è place ), de la Banque mondiale et du FMI, pour les rapports annuels («mondiaux») sur les droits de l'homme du Département d'Etat américain, pour les études du PNUD...Comme on commence à le faire, «mal-gré», actuellement, avec notre FCE, ce «solitaire» encore bien incompris... qui a, d'ailleurs, de la chance de ne pas être traité, par nos «gauchistes» et autres «nationalistes», de «suppôt» d'on ne sait quelles multinationales ou nouvel impérialisme.

Pas brillant, les classements : 2004 : 128è sur 167 pays classés, 2005 : 129è sur 167, 2006 : 123è, 2008 : 121 è sur 173 pays classés, 2009 : 141 è sur 175, 2010 : 133è sur 178, 2011 : 122è, 2013: 125 è sur 179 pays classés. Toujours bons (!!!) derniers de la classe. Heureusement (????) que nous sommes (mauvais) premiers en matière de corruption.

Mais, pas grave. On a vu, parfois, des cancres réussir pleinement leur vie, bien souvent bien mieux que les premiers de la classe. Il est vrai que, dans notre pays, c'est un peu la règle en tous secteurs et cela enlève tout charme à la réussite dite «normale». Ce qui est plus grave, c'est bien plutôt le recul enregistré. Ainsi, l'Algérie perd trois places par rapport 2012. Elle se retrouve loin dernière le Tchad, le Niger et le Mali. Selon le rapport, c'est la conséquence directe «de la multiplication des agressions et des procès à l'encontre des professionnels de l'information et de l'augmentation des pressions économiques sur les médias indépendants». L'ONG (française... et, dit-on, proche des «services», l'ancien directeur Robert Meynard, étant, d'ailleurs, bien connu pour son émargement et, à un certain moment, ses accointances qataries, remplacé fin mai 2012 par Christophe Deloire...)... relève aussi la non-institution de l'Autorité de régulation par les autorités algériennes.

«Plus d'un an après le vote par le Parlement algérien d'une nouvelle loi sur l'information, censée abolir le monopole de l'audiovisuel public, l'autorité de régulation, préalable indispensable, n'a pas encore été instituée», écrit RSF. Pour l'ONG française, «la nouvelle législation reste (...) théorique, un simple effet d'annonce», d'autant qu' «aucune chaîne de droit privé algérien n'a pu voir le jour». «Si des chaînes de télévision ont été lancées ces dernières années, celles-ci, profitant d'un vide juridique, émettent à partir des pays du Golfe. Mais curieusement, ces mêmes chaînes «offshore» bénéficient en Algérie d'une grande bienveillance des autorités».

Tenir compte des résultats ne veut pas dire s'en inquiéter outre-mesure. En tenir compte, c'est connaître le regard des «autres» posé sur nous, afin que nous puissions, bien sûr, gommer les lacunes, ne plus commettre les mêmes dépassements, interdire les dérives liberticides, nous améliorer mais aussi et surtout nous amener à faire notre propre classement en toute rigueur et transparence. Ainsi, on ne comprend pas pourquoi le Cnes, ou l'Inesg, ou le Ceneap, par exemple ou les centres et laboratoires de recherche universitaire - pourtant désormais, nous dit-on, bien pourvus en moyens financiers et libres dans le choix des thèmes de recherche - ne se sont jamais penchés sur le sujet, laissant ainsi la place aux rapports toujours apologétiques des appareils officiels, aux rapports toujours trop critiques de politiciens partisans et d'associations orientées... et aux rapports étrangers.

La problématique de la liberté de la presse ne se trouve pas, en fait, au niveau des journalistes eux-mêmes. Ceux-ci exercent (ou veulent exercer) leur métier, si possible, de la manière la plus indépendante. Et, ce serait leur faire un mauvais procès que de penser le contraire. La problématique se situe au niveau de la société, appareils politiques et administratifs et citoyens confondus,... auxquels il faut adjoindre, depuis quelque temps, un appareil plus inquiétant encore, car sans foi ni loi, sinon celle du profit : l'appareil issu de la nouvelle économie, peuplé d'hommes d'affaires et d'affairistes, d'affairistes plus que d'hommes d'affaires, avec son argent et sa publicité, avec ses chantages et ses pressions multiformes et ses lobbies ou intermédiaires introduits partout, avec sa manière de traiter l'information comme une simple marchandise de large consommation. Cela me rappelle 1990, lorsqu'on avait mis, sous «tutelle» des fameux Fonds de participation dirigés par des «comptables», les journaux et les imprimeries publics. Beaucoup en sont morts et le reste n'en est pas sorti indemne.

La solution : créer ou laisser se créer ou aider à la création d'un Observatoire de la liberté de la presse qui comprendrait l'Université, les éditeurs, des journalistes expérimentés ou retraités, des personnalités politiques historiques... Feu M'Hamed Yazid s'y était essayé. La mort ne lui avait pas laissé le temps de mettre en œuvre son rêve de journaliste impénitent.

Post-scriptum : Journée internationale de la presse ! Une courte halte annuelle devenue traditionnelle pour faire le point de situation, mais aussi un moment pour se souvenir et évoquer de grandes figures de la presse nationale aujourd'hui disparus et que les moins de quarante ans peuvent ne pas connaître. Pour ma part, dans la longue, très longue, très, très longue liste de nos «chers disparus», je me permets d'en citer deux... qui, par leur parcours, leur style, leur engagement ont, profondément, «marqué» tous ceux qui les ont côtoyés et/ou lus. Car, cela ne se voit pas, tant ils étaient discrets et modestes, mais cela se ressent : Halim Mokdad, le «prince des reporters» (Radio, déjà en 1963, El Moudjahid, Alger Républicain, El Watan...), décédé en 2001, à l'âge de 65 ans, et Sobhi Belkacem, un «as» de l'analyse politique (Révolution africaine, El Moudjahid, Africasie, Aps...), lui aussi décédé assez jeune... Même pas la soixantaine !



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