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Est-ce la fin ?

par El Yazid Dib

Est-ce la fin d'une brouille au sommet ? Est-ce la fin d'une époque ou d'un simple mandat ? Est-ce la fin d'une génération ?

Lors d'un enterrement récent d'un ancien maire de la ville de Sétif sous Boumediene, l'orateur figeait l'assistance par ces mots simples mais inquiétants : « Nous sommes là pour assister et constater le passage vers la clémence divine d'un élément de la génération révolutionnaire, implorons Dieu le Tout puissant de fournir à ce peuple une génération descendante meilleure que l'ascendante » tout ce monde entonnait avec soupir un grand Amen ! C'est dire le souci national, qu'entretient la masse d'avoir en vœu de futurs hommes aptes à relever le défi et égaler les idéaux de Novembre.

C'est l'unique caractéristique dont fait montre l'esprit éternellement chevaleresque du peuple algérien c'est qu'il ne tire pas sur les ambulances, il ne réprimande pas les stationnés au poste de l'agonie, il ne s'enorgueillit pas de l'arrêt final de la divinité. Bouteflika est encore une fois entre les mains de sa destinée. La dernière ? Personne ne le saura du moins sur le plan de l'extinction du souffle. Sur l'autre plan politique s'entend, le pays est en cours de connaître un changement. Déjà depuis fort longtemps que la complexité de la succession divise comme elle crée des convergences, dans un pays proie à toutes les menaces. Un quatrième mandat était à la date du 08 mai 2012 presque résolu, pour ne pas y être du tout. Ce mandat n'aura pas lieu, furent convaincus les observateurs raisonnablement crédules juste à avoir entendu le président entonner d'une façon poignante et pathétique que sa génération a fait son temps. Le discours de Sétif allait faire cesser tous les scenarios plausibles pour ne pas mettre en travers du devenir national, les appétits des uns et les appétences des autres. La suite des événements ne confirmera pas la lecture de l'intention présidentielle pondue à Setif. Le temps de cette génération se perpétue et s'est même transvasé au Sénat.

Les questions d'âge, d'impotence ou de santé des hommes d'Etat est depuis la naissance du pouvoir algérien une raison d'Etat, une question de pouvoir. En revanche, c'est la première fois que la communication officielle sur l'état de santé du président de la République a été aussi claire et rapide. Une transparence qui suscite toutefois des interrogations. Deux jours avant, les medias s'emparant des dossiers scabreux liés à la corruption avaient mis en cause cette fois-ci le frère du président. La machine allait-elle s'avancer vers d'autres frasques, d'autres révélations ? L'affaire devenait-elle aussi grave qu'il fallait trouver un moyen de la stopper, sinon procéder à la déviation de la propension informationnelle la concernant ? C'est ce qu'avancent certains en fait de la manipulation de l'information et sa mise au service d'un objectif.

En matière de communication une information tue l'autre. Pour autant, doit-on croire également la version officielle d'un accident ischémique transitoire sans séquelles ? s'est interrogée la presse presque unanime. Mais alors, pourquoi discourir par un tel style aussi officiel et rapide sur un accident de santé que tous les médecins désignent de banal et sans grande incidence ? L'accident ischémique transitoire (AIT) dont a été victime le président de la république est attribué à un état d'anxiété et d'angoisse érigé comme un facteur déclencheur d'un tel accident. Voyez-vous ce que peut faire comme ravage une telle production de frayeur, d'inquiétude et de désarroi ? Que de personnes, parmi cadres et dirigeants avaient eu à compatir du même syndrome ? Que de compétences nationales avaient subi le calvaire des observations antithétiques et défavorables, de la mise à l'écart ou de la simple relégation à des calendes grecques ? Des gens sont morts suite à de telles situations. Le dernier exemple est tout récent et s'est vécu au détriment d'un cadre à Mascara, lequel ne pouvant surpasser l'émoi qui l'étranglait du fait de l'hypertension intériorisée ; avait tout simplement dans un ultime geste de détresse mis fin à ses fonctions par l'extinction volontaire de sa vie. N'attendant point celle qu'aurait à lui faire un Wali proie à un excès d'ambitions, obscurci par l'outrance. Mais le président subissait-il, à voir le diagnostic médical interprété de la sorte, un tel malaise neuro-effectif ? D'où provenaient-elles ces « angoisses » et ces « anxiétés » ? Qui sont derrière ? Le peuple ? L'entourage ? Le cercle intérieur, extérieur ? L'on ne saura rien sur ce chapitre, tout en essayant néanmoins de comprendre tout.

Que va rapporter la maladie du président ? Puisse Dieu le guérir et le rendre indemne, sain et sauf au pays. Que va rapporter son abstention suite à cela pour un éventuel mandat ? L'Algérie a déjà lourdement payé son passage vers la démocratie. Nous ne nous sommes pas contentés de marches ou de manifestations. Nous lui avions offert des milliers de morts. La route a été longue, meurtrière. Voilà qu'une autre jeunesse, outre le travail et le logement, réclame plus de démocratie, plus de liberté, plus d'écoute.

Les événements de Tunis et du Caire ne pouvaient alors, qu'enthousiasmer à coté d'un rêve difficile toute une jeunesse désemparée. Cette jeunesse à l'égard de qui le pouvoir n'avait pu hélas se mettre au diapason de ses doléances, se voit en net décalage avec ce même pouvoir. La gérontocratie, la vieillesse et le personnel momifié tiennent en attache la gérance de cette masse juvénile. Le temps des révolutions classiques et légendaires est une inconnue pour cette frange sociale. Leur révolution est une débrouillardise pour le comment arriver à vivre. Diplômé ou chômeur, le jeune reste totalement incompris par ceux qui, sans lui demander, décident de gérer son avenir. Le monde actuel national a été fait et continue de l'être sans eux. Ces jeunes n'arrivent point à s'atteler à de vagues engagements tant répétés par des visages super vus et connus, devenus cauchemardesques, criant à l'emploi ou à la solidarité nationale. Victimes apparentes et dans leur grande majorité des inégalités sociales qui de jour en jour déchirent l'équilibre des classes, ils requièrent une justice applicable uniformément à tous. Certains fréquentent pour leurs études les universités de prestige, d'autres les abandonnent pour vivre en travaillant le trabendo ou la vente à la sauvette. Certains usent à longueur de boulevards et de campus universitaires les pneus de la Q7 de papa .Il y a même ceux qui crèchent, à Londres ou à Paris sous de vrais certificat de scolarité, comme étudiants mais se domicilient dans de cossues villas dans ces mêmes capitales quand les autres font le fugitif et le clandestin.

 Toute cette jeunesse est donc une production made in l'école algérienne. L'unique alternative qui leur est offerte devant l'échec scolaire répétitif et précoce à défaut de drogue, de prison, de fugue ou d'immolation ; demeure principalement le marché informel. Les souks sont remplis d'étals précaires, de tentes de fortune, de gardiennage forcé et vulgaire. Les kiosques en tôle ou en petites baraques occupent tous les coins de la ville et des hameaux. La chaussée des routes nationales est jonchée sur ses bords de toute espèce de marchandises. La débrouillardise bat son plein. Rien à faire, l'Etat malgré un timide déclic, reste voyeur et placide. Des raccourcis, du bricolage, des prêts par-ci par-là n'ont pu mettre l'Ansej ou autres entités ad-hoc dans le vrai débat qui s'impose. L'ouverture politique. Donc avec ou sans Bouteflika, l'essentiel serait dans la conversion du système. De la doctrine de domination à la suprématie de la participation. Si rien ne change, retenons Bouteflika, au moins pour sa bonhomie carrièrale d'homme historique et d'équilibriste avisé et tenace dans les barres parallèles du pouvoir. L'épreuve dans ce jeu est presque mortelle. Si l'on n'arrive pas à provoquer dangereusement un ulcère d'estomac, on essaye l'anxiété et l'angoisse, sinon on verra ; la rue, l'insurrection.

Avoir des dirigeants dépassant la limite légale de la retraite, parfois impotents n'est pas de nature à créer de l'espoir dans la réserve juvénile que recèle la république. Car il existe une autre caste de jeunes branchés, lettrés et diplômés. Cette catégorie qui se trouve partiellement un peu partout dans les rouages de l'Etat, administrations et entreprises publiques, si elle trouve postes ; fait fonction de nègre. En leur oppose à chaque fois, leur inexpérience, leur tiédeur ou leur candeur. La promotion éventuelle ne leur est qu'un rangement dans l'obséquiosité presque religieuse du chef sectoriel. Ainsi la fuite vers l'ailleurs, l'étranger est devenu un exil forcé. Là bas, ils pensent y trouver un rang apprécié et conforme à leur compétence. Au moins, s'estimeraient-ils heureux et libres. Si dans certains cercles d'autorité, la fonction supérieure n'a comme élément de sélection que l'appartenance régionale que diront ces jeunes cadres parqués dans la marge indéfinie de la république ?

A quand aurions-nous un ministre de souveraineté de 40 ans, un président d'APN ou de Sénat du même âge ? Donc, que faire ? Cette halte ou ce flou, induit par la maladie d'un président en exercice à qui l'on endosse toute la pleine responsabilité du chaos national, une fois incapable de s'en défendre n'est pas de nature à tranquilliser les âmes tranquilles. La situation, à défaut de décider d'entrer au sein même de la vraie démocratie ; est grave. Elle est porteuse après un lifting inadéquat à coup de milliards ; d'immenses revendications politiques hautement légitimes. Même si elle ne semble pas empiler cette jeunesse dans son volet le plus politicien. Ils pourront y être autrement et pour autre chose. Gueuler, se défouler et essayer de se faire entendre. Récupérées tactiquement leurs actions sociales pourraient toutefois faire une véritable révolution d'ordre politique. À contrario justement de la jeunesse tunisienne ou égyptienne, les algériens ne s'attendent pas à un déni de parole. Ni faire face à des matraques ou bombes lacrymogènes. Surtout à ne pas voir leur « révolution-bis » celle d'octobre être prise en charge par des partis, « société civile » ou « commissions » « coordination » tous improductifs et en état final de ménopause. Il faudrait seulement leur tendre une oreille attentive. Repérer le ras-le-bol qui submerge le facebook et autres espaces d'expression sans contraintes. Il n'est jamais trop tard. Alors pourquoi ne pas, desserrer l'étau d'un seul coup et offrir une transition de pouvoirs sereine et impassible ? C'est aussi simple pour tous. Mais dur et insoutenable pour les « tenants du pouvoir ». Surtout ceux qui gravitent autour du président ou qui s'y affilient. A voir ce qui se passe ailleurs ; janvier 2011 est resté inassouvi, voire inachevé. Il est recommandé ardemment la transmission paternelle de ce flambeau qui a brulé toutes les mains neuves qui tentaient de s'y approcher. L'avenir national appartient aux jeunes. C'est à eux et eux seuls qu'échoira le rôle de tracer la destinée, voire la leur, du pays vers des horizons plus cléments et pleins d'espoir et de bonheur.

Dans l'histoire récente du monde arabe, l'honneur de pas mal de rais, de guide, de présidents a été à tord ou à raison bafoué. La cause : la longévité. C'est vrai que par instinct humanitaire, la quête du pouvoir, sa rétention et son maintien sont une cause légitime. Mais de là à en faire une possession réservée, incessible et insaisissable, cela frôle la pathologie de la fièvre chronique et incurable. Pour un chef ; président, ministre, patron institutionnel partir courant ou avant terme n'est pas mourir. Partir volontairement n'est pas un acte de fuyard. Il ne peut être qu'une réflexion sage et paisible. Car il provient d'une analyse qui anticipe les évènements. Surtout si ceux-ci sont impérieux et tenaces. Une bonne entrée donc dans l'histoire, avec un siège éternellement confortable. C'est cette dernière qui validera l'immortalité ou l'insanité. Car partir dans un choix réfléchi et voulu n'est pas périr dans l'absolu. C'est une raison ou personnelle ou d'Etat. La postérité saura reconnaitre les siens. Les autres également. C'est juste se régénérer autrement. Mais ici, chez nous l'après-pouvoir est toujours pénible commente-t-on. Que non ! Qu'avait-il subit Chadli dans son éloignement du pouvoir ? Idem pour Zeroual et Ali Kafi. L'algérien est plein de mansuétude, malgré son opiniâtreté et sa crânerie ; Il ne maudit pas les siens, ni les apostasie à les faire mourir. Juste il en fait des railleries.

Si la décantation immédiate est ou non dans le départ de Bouteflika; le changement de régime, la rupture de la continuité et le remodelage radical de l'exercice politique est à exécuter aussitôt. Il est grandement salutaire pour la nation que le pays arrive paisiblement à s'arrimer dans la véritable démarche démocratique. Il ne peut sans ça, donner encore l'occasion à de l'aléatoire pour lui réserver un sort incertain et prolonger la noirceur de ses longues nuits.

La maladie du président enfin n'est ni la fin d'un règne ni celle d'une époque. Ce n'est qu'une situation tout à fait humaine, à vivre par tout un chacun. Mais elle tient à formuler dès à présent la fin d'une hégémonie se faisant privilégiée au nom du président. Nous disions dans une chronique encore fraiche que des Chakib, il y en a un peu partout. Clairsemant le paysage sous les cieux d'Alger sauf qu'ils portent d'autres patronymes, assurent d'autres fonctions. Ce sont des noms forts, à la moindre intonation de leur phonétique tous est permis. Alger ces derniers temps est fébrile aux pires informations. Ils vendent leurs biens disent les uns, ils vont partir prochainement pour dire se soigner ; disent les autres. Que l'on ferme les frontières, que l'on sauve les meubles !

C'est vrai que la pratique politique en Algérie tend de plus en plus à devenir un sport périlleux. Les luttes, somme toute, qui émaillent l'enjeu ont de par le monde, titillé les pires égos. Il leur faut, à ces luttes ; cependant ce minimum d'éthique qu'exigerait maintenant la galanterie politique dans le moyen pour parvenir à la conquête des commandes. Ce ne sera pas, et c'est ceci le minimum d'éthique ; le report de toute une haine, une revanche, un règlement de compte sur la douleur d'un être en état de souffrance et en rupture de bien-être. L'homme est un être humain, sa politique est une œuvre d'ensemble. L'honneur recommande, par humanisme que l'on ne s'attaque pas à un malade en peine d'être heureux. On le soigne. Car la douleur n'est sensoriellement que personnelle, c'est une expérience désagréable à vivre individuellement, tandis que l'œuvre politique est une action globale et surtout partagée. L'on peut toutefois corriger les écarts, mais nécessairement apporter secours et compassion au patient.

Ainsi Il suffit pour tout « quêteur de pouvoirs » de faire tracer au peuple un agenda plus clair, lui parler, l'aimer. Et encore le convaincre, le porter au plus haut de l'adhésion et de la démarche participative. Et ne pas l'utiliser contre sa volonté tel un outil d'arrachage ou de manutention. Sinon vogue la galère. « Implorons Dieu le tout puissant de fournir à ce peuple une génération descendante meilleure que l'ascendante » Amen ! Qu'il puisse enfin accorder un prompt rétablissement à Monsieur Bouteflika. Pour ce qui est de la fonction présidentielle, de la révision constitutionnelle, de l'équilibre des pouvoirs ou d'un autre mandat ; ça c'est une affaire de peuple. La maladie d'un président n'est ni la fin d'un règne ni celle d'une époque. Ce n'est qu'une situation tout à fait humaine, à vivre par tout un chacun. En fait de fin ; la fin d'un homme ne détermine forcément pas la fin d'un régime. Bien au contraire ; la fin d'un régime entraine impérativement la fin d'un homme. Car s'il institue un régime, ce dernier peut ne pas lui survivre.



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