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Jour de muguet

par Akram Belkaid: Paris

Il fait gris sur Paris, peut-être va-t-il pleuvoir. Quelqu'un a certainement kidnappé le printemps et on attend toujours sa demande de rançon. Fichu temps qui rappelle celui d'une élection passée. C'était il y a bientôt un an. Lointain souvenir d'une euphorie vite détrempée par la pluie et par un tweet malheureux qui, à sa façon, annonçait douze mois de cafouillages et de grosses bêtises. Un an? La joie de virer le nabot et sa sinistre valetaille, le sentiment que le climat allait enfin s'apaiser en France avec moins de violences, physiques ou verbales, avec moins de divisions sciemment entretenues et moins de souffrances. Un climat plus serein avec plus de perspectives pour des millions de personnes minées par la peur du déclassement.

Cela sans oublier tous ces pauvres et exclus dont il est rarement question si ce n'est lorsqu'il s'agit d'égrener les statistiques. Un an, et au bout du compte? Qui aurait pu penser que? Quelle déroute, mais quelle déroute ! L'enlisement, le chômage qui croît, les scandales qui se suivent les uns après les autres et cette inconfortable sensation d'improvisation permanente au sommet de l'Etat.

C'est le matin du muguet, belle tradition que les gangs de roumains n'ont pas encore réussi à monopoliser... Ici et là, de petits étals aux prix sensiblement égaux. Un euro le brin, dix euros le petit pot, quinze si l'on ajoute une belle fleur. «N'achetez pas de muguet aux capitalistes. Achetez celui du parti communiste» crie un jeune homme, gros blouson en cuir, keffieh et barbe de plusieurs jours. A ses côtés, un autre jeune confectionne les petits bouquets tandis qu'une femme, la soixantaine, distribue les tracts du PCF appelant à la traditionnelle manifestation du 1er mai. «15h00, Bastille direction Nation : De l'argent, il y en a, dans les poches du patronat !» annonce la feuille de papier avec tout un argumentaire appelant à l'action immédiate. «La lutte, c'est maintenant !» proclame-t-elle en détournant un fameux slogan de campagne qui semble désormais si dérisoire.

Les clients sont nombreux. Ils boudent ostensiblement le stand tenu par une asiatique au nom d'une paroisse locale.

Etrange. Dans ce quartier plutôt réputé à droite, le PCF semble faire recette et les deux jeunes ne chôment pas. Parfois, tout de même, un passant refuse de prendre le tract et maugrée quelques mots qui laissent deviner son appartenance politique. «Du muguet pour aider le parti communiste français ! Achetez votre brin de muguet !» continuent de crier les militants en hochant la tête. Un client s'approche et commande plusieurs brins. «C'est pour ma boulangère qui vote UMP» dit-il en souriant. Cela déclenche quelques remarques amusées mais aussi des commentaires acerbes.

Un autre acheteur fait la réflexion suivante : «je remarque que cette année, vous ne proposez pas de brin de muguet combiné avec une rose. C'est voulu ?». Les présents rient de bon cœur et poursuivent la plaisanterie. Ah, la rose socialiste ou, faudrait-il désormais écrire, la rose des socialo-traîtres? C'est ce que pense l'un des militants-vendeurs. «La rose, ça a plein d'épines et ça pique. Il faut toujours s'en méfier?» Le tract distribué ne dit pas autre chose : «Communistes, nous ne vous avons jamais laissé croire que le ?changement' viendrait de l'élection de Hollande en 2012. Toutes les illusions sont retombées. Hollande inscrit bien, simulant la modestie ou l'impuissance, sa politique dans le cadre de l'Europe du capital. Avec les organisations de collaboration, il casse le code du travail, facilite les licenciements. Il prend aux allocations familiales pour donner aux banques. Sous son masque de Zorro, le ministre Montebourg ne fait qu'accompagner la casse du potentiel industriel national?»

Certes. Mais fallait-il pour autant reconduire le mari de la chanteuse ? Fallait laisser filer pour aller au pire en se disant que ce n'est qu'ainsi que l'on peut mieux reconstruire ? Pauvre gauche dite «responsable», en total désarroi, divisée, incapable de peser sur le cours des événements, se contentant de ferrailler sur la morale et la société pour mieux masquer ses faiblesses et l'indigence de son programme politique en matière économique. Pauvre gauche dite «apte à gouverner» mais pénalisée par un vide idéologique abyssal et, finalement, si peu capable de se différencier des politiques de droite. Car, que fait Hollande si ce n'est du «Sarko light», un succédané qui ne satisfait personne et qui laisse entrevoir une belle déroute électorale dès les municipales de 2014 (ne parlons pas encore de la présidentielle de 2017).

La vente de muguet se poursuit. «Moi, je suis dans le chômage», répond une cliente au militant qui vient de lui demander ce qu'elle fait dans la vie. «Un métier d'avenir grâce aux actionnaires» lui dit-il en composant un bouquet à six brins. La réplique ne fait pas trop son effet. La dame paie et s'éloigne avec son mari laissant derrière elle un sillage de douleur silencieuse. Des gouttes de pluie commencent à tomber. Un froid humide s'est installé sur la ville?



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