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Des croisades à l'Algérie : l'immuable politique génocidaire de la France

par Khider Mesloub

Les croisades génocidaires

On l'ignore malheureusement trop souvent : les croisades constituent les premières entreprises occidentales de « colonisation », de la barbarie occidentale, de génocides. En résumé, elles marquent la naissance du capitalisme occidental sanguinaire, de l'Occident colonialiste, esclavagiste. De fait, dans ses langes, l'Occident s'affuble d'entrée de jeu de l'armure meurtrière. En guise de lait maternelle, il se nourrit du sang des cadavres orientaux, amérindiens, africains, asiatiques. Il se muscle son corps économique embryonnaire par la rapinerie, la spoliation, l'exploitation, l'oppression, les conquêtes. En un mot : il assure sa longévité par l'extermination des peuples conquis, l'asservissement des autres continents, le pillage de leurs richesses.

De fait, la Guerre constitue l'ADN de l'Occident (qui rime avec Oxydant, qui a la propriété d'oxyder par le processus de dégradation, autrement dit, l'Occident a la faculté de corroder les sociétés par le seul contact avec son aire culturelle, comme le métal se rouille par le contact de l'air).

L'Occident, « peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur », pour paraphraser le président Charles de Gaule parlant d'Israël et des Juifs lors de sa conférence de presse donnée au lendemain de la guerre des Six Jours, est né dans les guerres, s'est perpétué par les guerres, il crèvera par la guerre (à l'instar d'Israël). Mais par une ultime guerre sociale salvatrice et émancipatrice. La guerre coule dans ses vannes économiques comme le sang ruisselle dans ses veines mercantiles. Par son addiction à l'hémoglobine meurtrière, il sombrera de coma éthylique sanguinaire à force de s'être enivré du sang des peuples opprimés.

Une chose est sûre, les croisades n'eurent aucune dimension religieuse. Contrairement à l'historiographie dispensée dans les manuels scolaires, leurs motivations principales furent politiques et surtout économiques. Quoique les croisés prétendirent placer leur combat sous l'étendard de la défense des Chrétiens d'Orient, de la reconquête du tombeau du Christ (de nos jours, les thématiques litaniques brandies par les puissances impérialistes occidentales pour justifier et légitimer leurs interventions militaires impérialistes se nomment « défense des droits de l'Homme, droit d'ingérence humanitaire, lutte contre le terrorisme islamiste »), ces proclamations de foi visèrent à dissimuler les véritables desseins politiques et économiques de ces expéditions qu'on pourrait qualifier d'impérialistes. Les croisades ne furent que le manteau servant à couvrir une politique d'expansion territoriale et de spoliation des richesses.

Comme de nos jours, les conflits entre ?l'Occident et le monde musulman" ne constituent nullement des guerres interconfessionnelles. Mais il s'agit de véritables guerres impérialistes, opérées au service du grand capital pour le contrôle du pétrole ou d'autres mobiles géostratégiques.

Au cours des multiples croisades, certes, les croisés affluèrent de toutes les régions d'Europe, depuis le Portugal jusqu'à la Lituanie, mais l'essentiel des troupes fut composé de Francs, ancêtres des Français.

Pour mesurer l'importance de la participation des Francs aux croisades, ces hommes emplis d'esprit de conquête et d'avidité de puissance, il suffit de relever que les chroniqueurs arabes de l'époque n'employèrent pas le mot de croisade pour qualifier ces expéditions ou guerres de conquête, mais le terme al-Ifrandj, c'est-à-dire les Francs, qui désigne dans la littérature arabe les habitants des territoires recouvrant l'ancien empire carolingien. Dans la mesure où la majorité des protagonistes des croisades furent Francs, le terme al-Ifrandj leur fut ainsi appliqué. Pour les arabes, bien conscients des visées impérialistes des conquérants, ces expéditions sont décrites sur le registre de la conquête militaire et non religieuse, comme le présentèrent les Francs, ces barbares incultes.

Durant l'occupation franque, ces Francs animés essentiellement d'ambitions guerrières et d'esprit de prédation, loin de témoigner quelque désir de connaissance de la culture arabe et de relations avec les populations musulmanes de Palestine, se montrèrent méprisants et cruels.

Force donc est de relever que les croisades furent menées principalement par les Francs, autrement dit la France monarchique adoubée par la puissance ecclésiastique hégémonique à l'époque des croisades. D'emblée, dès cette époque reculée féodale, la France se positionne comme la principale force armée des royaumes continentaux, l'axe de la politique "impérialiste" européenne, « le gendarme du monde ». Elle s'érige comme l'Etat le plus puissant et le plus influent du continent.

Les croisades, cette "Épopée" pour paraphraser le titre du livre de René Grousset, permirent surtout à la chrétienté occidentale, notamment à la France, de se libérer de son trop-plein d'énergie barbare et d'hommes jeunes batailleurs et fondeurs. Ces brutes seigneurs constamment en guerres les uns contre les autres.

Par le dévoiement de ces guerres féodales fratricides vers des cibles "orientales musulmanes", la monarchie française escomptait endiguer les conflits internes, véritables fléaux au Moyen-Âge. Mais surtout affaiblir les seigneuries féodales, ces rivales turbulentes et frondeuses. Consolider son pouvoir absolutiste afin de construire un État puissant, homogène et conquérant. De fait, les croisades favorisèrent l'enrôlement d'un grand nombre de jeunes chevaliers désœuvrés en quête d'aventures guerrières, des cadets de famille impécunieux, des vagabonds bruts appâtés par l'enrichissement.

Pour mener à bien ces entreprises de conquête, tous les ordres furent mobilisés, depuis le clergé jusqu'à la noblesse, en passant par la bourgeoisie émergente, sans oublier la masse majoritaire du ?Tiers état? constitué de populations rurales et citadines misérables. Ces pauvres prolétaires de l'époque féodale répondirent aux sollicitations des croisades avec plus de dévotion et d'exaltation chrétiennes que les autres ordres supérieurs. Attirés par les récompenses célestes, contrairement aux classes sociales privilégiées intéressées uniquement par l'enrichissement pécuniaire terrestre, ces pauvres prolétaires cousirent sur leurs vêtements une croix d'étoffe pour affermir leur foi : de là vient leur nom de "croisés", et par extension le vocable « croisade ».

Les croisades se déroulèrent en de multiples expéditions étalées sur au moins deux siècles. Elles nécessitèrent des investissements financiers importants.

Au cours de ces croisades, toutes les corporations trouvèrent leur compte et surtout garnirent leurs "comptes bancaires" : corporations d'armuriers, forgerons, tailleurs, tanneurs et artisans. Sans oublier les grands commerçants et les financiers. Toutes ces petites manufactures équipèrent les croisés dans leurs campagnes de conquêtes. Les puissantes corporations commerciales et bancaires financèrent également ces expéditions.

Pareillement, les armateurs et les ouvriers portuaires fournirent de nombreux navires pour transporter les croisés. Les croisades constituèrent le ferment économique de la bourgeoisie émergente, et la préfiguration des campagnes d'expéditions coloniales, des entreprises esclavagistes et des interventions impérialistes de la France, toujours en première ligne pour mener des opérations de conquêtes, principales sources de son développement économique pour un pays dépourvu de richesses fossiles.

Il est important de relever que l'institution militaire a joué un rôle primordial dans la construction historique de l'État de France. Notamment dans la formation de la France bourgeoise impérialiste, instituée par le général Bonaparte au lendemain de son coup d'État en 1799, empereur qui a fait de la guerre de la conquête son cheval de bataille et de l'asservissement des pays européens sa feuille de route ensanglantée (selon les historiens, en moins de quinze ans, les guerres napoléoniennes ont provoqué au moins 7 millions de morts en Europe). Mais également dans l'avènement de la Ve République, instaurée après le coup d'État du général de Gaule en 1958, ce général qui combattit audacieusement les nazis depuis sa confortable retraite londonienne emmitouflé dans sa robe de chambre. À cet égard, le rôle de gendarme du monde joué par la France moderne, matérialisé par l'interventionnisme régional, notamment en Afrique, est l'héritage direct des croisades, des expéditions coloniales, opérations de razzia esclavagiste, politiques interventionnistes initiées par des hommes politiques issus de l'institution militaire, Bonaparte et de Gaule. De même, ne pas oublier que l'État de Vichy fut dirigé par un militaire, le maréchal Pétain.

Décidément, la tradition militariste et belliciste est très ancrée dans la France "démocratique". Pour preuve : actuellement, pour lutter contre un banal virus, Macron convoque régulièrement un Conseil de défense secret au sein duquel siègent des généraux. Macron n'avait-il pas inauguré sa première intervention (un mot très prisé par les gouvernants français) par une déclaration martiale : "Nous sommes en guerre" (un second mot chéri par la classe dirigeante française : ne livre-t-elle pas actuellement une guerre de classe contre son peuple, sous couvert de pandémie, par la paupérisation généralisée et la militarisation de la société ; une guerre à la communauté musulmane établie en France, jetée en pâture à l'intolérance coutumière française, livrée à la vindicte populeuse raciste, sous couvert de lutte contre le séparatisme. À ce propos, n'est-ce pas le gouvernement Macron qui œuvre à l'instauration de politiques de séparatismes, vectrices de délitement social et de guerre civile : les travailleurs sont séparés définitivement de leur travail, réduits au chômage et à la paupérisation ; les petits patrons sont séparés de leurs entreprises, acculés à la faillite en raison des mesures de fermeture irrationnelle décrétées par le pouvoir ; les étudiants sont séparés de leur scolarité, acculés au suicide social et à la détresse psychologique ; les personnes âgées sont séparées de leur famille ; les enfants sont séparés de leurs pairs du fait des inconséquentes mesures de gestes barrières et du port du masque ; l'existence est séparée de la vie, réduite à côtoyer uniquement la peur de la mort instillée par les médias stipendiés, officiant au service des puissants, etc. Cet esprit militariste dominant les instances dirigeantes françaises vient de s'illustrer par la tribune signée par des généraux qui fourbissent leurs armes en vue de conquérir le pouvoir afin de rétablir l'autorité, autrement dit instaurer la dictature, puis livrer dans la lancée des guerres de conquêtes pour maintenir le rang de la France en déclin).

Pour revenir aux croisades, la première croisade fut entreprise en 1095-1099. La seconde en 1147-1149. La troisième en 1189-1192. La quatrième en 1202-1204.

Ces expéditions furent très sanglantes. Les populations orientales des villes conquises par les troupes chrétiennes subirent des atrocités d'une barbarie innommable. Certains chrétiens s'adonnèrent au cannibalisme. Ainsi, après la prise de la Palestine, Raoul de Caen, chroniqueur de la première croisade écrit : « A Maarat, les nôtres firent cuire les païens adultes dans des marmites et embrochèrent les enfants pour les manger rôtis. » Le chroniquer arabe Usana ibn Munqidh souligne dans ses mémoires : « Quand on nous eut informés sur les frany (nom donné par les Arabes aux croisés), nous vîmes en eux des bêtes nuisibles qui ont une supériorité dans la valeur et l'ardeur au combat mais rien d'autre, tout comme les animaux ont une supériorité dans la force et l'agressivité. » Un autre chroniqueur rapporte : « Les frany passèrent au fil du couteau la population de la Cité sainte et tuèrent des musulmans pendant une semaine. Dans la mosquée Al-Aqsa, ils massacrèrent 60 000 personnes. Ils réunirent et enfermèrent les Juifs dans leur synagogue et les y brûlèrent vifs. » Y compris les habitants d'obédience chrétienne n'échappèrent pas à la haine meurtrière des troupes franques : prêtres et pratiquants des rites orientaux résidant à Jérusalem furent expulsés, d'autres massacrés. Daesh est un enfant de chœur comparé à ces croisés assoiffés de sang ?impur? et ?mécréant?.

Dans le célèbre livre de Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, l'auteur écrit : « Ils [les croisés] resteront deux siècles en Terre Sainte, pillant et massacrant au nom de Dieu. Cette incursion barbare de l'Occident au cœur du monde musulman marque le début d'une longue période de décadence et d'obscurantisme. Elle est ressentie aujourd'hui encore, en Islam, comme un viol ».

Si le succès des croisés fut permis par l'affaiblissement de l'empire musulman déjà largement entamé avant le début des croisades, l'installation des Francs croisés dans cette région palestinienne signa le déclin de l'Orient et de la civilisation musulmane, précipitée par l'Occident (l'Oxydant), qui a la puissance corrosive de corrompre, dissoudre et anéantir toutes les sociétés.

Le massacre de masse des Cathares

La France monarchique, après avoir perpétré les pires massacres en Palestine contre les "mécréants" musulmans au cours des croisades, se livra à une autre croisade à l'intérieur de ?son territoire? : la croisade des albigeois (1209-1229) (ou croisade contre les albigeois). La France perpétra un impitoyable génocide contre une partie de sa population, les membres de la communauté cathare. Officiellement, au nom de la religion. Mais, il s'est agi en réalité d'une véritable guerre de classe menée par la noblesse et le clergé contre les masses paysannes pauvres en révolte contre l'injustice sociale. Contre la vénalité de l'Eglise. Contre la corruption des religieux, notamment le haut clergé inféodé aux classes royales et seigneuriales.

Déclarés hérétiques pour avoir remis en cause la compromission financière de l'église avec les classes féodales possédantes, avoir fustigé la dépravation morale de ces classes privilégiées ecclésiastiques et nobiliaires cupides, ces opprimés de l'époque du Moyen-Age furent pourchassés et massacrés. Ainsi, pour avoir dénoncé le lien entre l'argent et l'église, les cathares subirent les foudres de toutes les classes privilégiées du royaume de France.

En effet, en 1212 débuta le génocide contre les cathares. Certains historiens estiment le nombre de morts à plus d'un million, massacrés notamment par des exécutions collectives commises par l'inquisition. Cette nouvelle croisade interne fut impulsée par la royauté française et la noblesse, soutenues par la papauté. Elle s'exerça contre les populations pauvres du Sud, le pays de langue d'oc.

Sous le prétexte fallacieux d'hérésie religieuse, accusés de professer des conceptions manichéennes, les cathares furent pourchassés, persécutés, décimés. Dirigés par des nobles et des religieux, des bandes de fanatiques armés perpétrèrent des atrocités contre les cathares. Villages incendiés, maisons brûlées, habitants torturés, violés, assassinés. En vérité, les peuples d'Occitanie furent sacrifiés, massacrés, pour s'être révoltés contre le pouvoir séculier et l'autorité ecclésiastique, tous deux appartenant aux ordres féodaux dominants, vivant de l'exploitation des classes laborieuses rurales opprimées.

Certes la révolte des cathares se para d'une rhétorique religieuse, se réclama du même dogme chrétien interprété différemment, mais le soubassement profond des revendications des cathares fut d'inspiration socioéconomique et politique. Les cathares s'élevaient contre l'enrichissement des religieux, en un mot de l'Eglise. Les cathares protestaient contre la mentalité seigneuriale ecclésiastique animée par la même cupidité que les autres catégories sociales privilégiées. Ils se révoltaient contre l'orientation exploiteuse et oppressive des religieux, ces seigneurs saigneurs du peuple

Par leurs revendications, les cathares menaçaient directement le statut social privilégié des ecclésiastiques. Leur révolte suscita aussitôt une répression féroce menée par l'ensemble des classes dominantes exploiteuses féodales. Des années durant, en Occitanie, particulièrement dans les fiefs de Carcassonne, Narbonne, Béziers, Toulouse, les insurrections cathares s'amplifièrent, se répandirent dans de nombreuses régions du Sud. Devant ces révoltes, les classes dominantes réagirent avec férocité. Les cathares furent massivement massacrés.

Pour preuve de la dimension politique et sociale de la "croisade albigeoise", cette croisade évolua rapidement en guerre de conquête. En effet, toutes les provinces seigneuriales occitanes ?souverainement indépendantes? furent annexées au domaine royal de France. Le territoire correspondant aux actuelles régions Midi-Pyrénées et Languedoc fera partie désormais du domaine royal de France, arraché à l'influence de l'Espagne. Cette politique d'annexion du Sud de la France fut la préfiguration des campagnes de conquêtes postérieures des autres régions ?suzerainement indépendantes? situées à la périphérie de la France royale du Nord.

Au plan religieux, cette croisade marqua la naissance de l'Inquisition médiévale ; l'affermissement du pouvoir "idéologique" de l'Église sur ses ouailles, l'enrichissement outrancièrement indécent du clergé. Au plan politique, elle permit la consolidation de l'État monarchique, l'élimination des principautés rivales, l'élargissement territorial de la France, « l'unification nationale » des « Français », autrement dit l'émergence de l'État-nation français.

Nul doute, les massacres perpétrés durant les croisades, tout comme le génocide commis contre les cathares, constituèrent le prélude aux futures entreprises de conquêtes meurtrières coloniales et esclavagistes entreprises par la France ?impérialiste? au cours des siècles suivants : aux Antilles, en Amérique, en Afrique, en Asie, au Maghreb. En particulier en Algérie où durant cent trente-deux ans la puissance coloniale française appliqua une politique génocidaire contre le peuple algérien (sujet de notre prochain texte).

De nos jours, au nom de ?l'ingérence humanitaire?, de la ?défense de la démocratie? ou de « la lutte contre le terrorisme islamiste », la France poursuit la même politique de conquêtes meurtrières impérialistes, ces croisades des temps modernes.



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