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Le syndicat des magistrats de la Cour des comptes répond au président de la Cour sur ses dernières déclarations concernant le rôle de la Cour dans la lutte contre la corruption

par Ahmed Chikhaoui*

Depuis la publication du premier communiqué du syndicat national des magistrats de la Cour des comptes, en date du 22 avril 2019, dénonçant la gestion de la Cour par l'équipe dirigeante actuelle, le président de la Cour des comptes tente, sans succès, de faire croire aux Algériennes et Algériens que l'institution qu'il dirige, depuis un quart de siècle à ce jour, fonctionne normalement.

En effet, dans son interview du 29/04/2019, accordée à Algérie Presse Service (APS), suivie par d'autres articles publiés par certains quotidiens, le président de la Cour des comptes a, tantôt par de fausses informations, tantôt par des lectures restrictives des prérogatives et attributions de la Cour, tenté de fuir ses responsabilités quant à la gestion catastrophique de la Cour. Faisant suite à ces affirmations, le Syndicat national des magistrats de la Cour des comptes souhaiterait apporter les précisions et éclaircissement suivants :

1- Concernant ces affirmations selon lesquelles « la Cour des comptes ne lutte pas contre la corruption ». S'il est vrai que la Cour des comptes ne peut se substituer à la justice comme l'a affirmé le président, il est aussi vrai qu'elle est dotée d'une expertise qu'elle doit mettre à la disposition de la justice, à travers la transmission de rapports circonstanciés, et c'est justement ce rôle de pourvoyeur de faits susceptibles de qualifications pénales que la Cour des comptes n'assure plus régulièrement depuis plus de 20 ans. Cette prérogative est d'ailleurs prévue clairement par l'article 27 de l'ordonnance 95-20 du 17 juillet 1995, modifiée et complétée par l'ordonnance 10-02 du 26 août 2010 relative à la Cour des comptes.

L'article 2 de l'ordonnance n° 10-02 susvisée, lui fait obligation de contribuer, dans son domaine de compétence et à travers l'exercice de ses attributions au renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraudes et de pratiques illégales ou illicites constituant des manquements à l'éthique et au devoir de probité ou portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics.

Mais la déclaration qui risque de prêter encore plus à équivoque c'est lorsque le président affirme que les jugements prononcés par la chambre de discipline budgétaire et financière ne portent pas sur des faits de corruption, mais uniquement sur des infractions aux règles de discipline budgétaire et financière est une contre-vérité, car il suffit d'examiner l'article 88 de l'ordonnance n° 95-20, modifiée et complétée, pour découvrir le contraire.

En effet, certains faits pouvant être déférés devant la chambre de discipline budgétaire et financière tels que les actions de gestion entreprises en violation des règles de conclusion et d'exécution des contrats prévus par le code des marchés publics, le non-respect des lois régissant les opérations de cession des biens publics mis en réforme ou saisis par les administrations et organismes publics, ainsi que l'utilisation de crédit ou de concours financiers octroyés par l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics ou accordés, avec leur garantie, à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été expressément accordés, constituent des faits susceptibles de qualifications pénales au sens des dispositions du code pénal. Les dispositions de l'article 92 de la même ordonnance confirment d'ailleurs cette possibilité d'une double poursuite pour une même infraction. En effet, il est dit clairement que les poursuites et les amendes prononcées par la Cour des comptes ne font pas obstacle aux poursuites et aux sanctions encourues, le cas échéant aux plans civil et pénal.

Pour justifier ses échecs, le président n'a pas trouvé mieux que de mettre en exergue l'absence de moyens humains et techniques au niveau de la Cour pour lutter contre la corruption, oubliant au passage qu'il est le premier responsable de cette situation. Cet aveu manifeste d'échec de sa propre gestion ne peut qu'encenser le syndicat sur la justesse et la véracité de notre constat.

2- Concernant ses affirmations selon lesquelles « le contrôle des finances des EPE ne relève pas de la Cour des comptes au motif que ce sont des deniers privés ».

Vous prenez n'importe quel citoyen dans la rue et vous lui posez la question à qui appartiennent les entreprises publiques, il vous répondra à « l'ETAT ». Entendre le premier responsable d'une institution constitutionnelle chargée de contrôler les deniers publics, affirmer que les capitaux des EPE sont des deniers privés et qu'ils ne relèvent donc pas du contrôle de la Cour des comptes, signifie, au mieux, qu'il veuille juste fuir ses responsabilités pour ne pas rendre compte sur l'absence de la Cour dans la lutte contre la corruption au niveau du secteur économique, au pire c'est ignorer les attributions et prérogatives de l'institution qu'il dirige depuis plus de 24 ans, ce qui est inimaginable.

En effet l'article huit (08) de l'ordonnance n° 95-20 prévoit clairement que « Sont également soumis au contrôle de la Cour des comptes dans les conditions prévues par la présente ordonnance, les établissements publics à caractère industriel et commercial et les entreprises et organismes publics qui exercent une activité industrielle, commerciale ou financière et dont les fonds, ressources ou capitaux sont en totalité de nature publique ».

Ainsi, au lieu de clarifier devant l'opinion publique pourquoi lui et son équipe n'ont pas assumé leurs responsabilités, en matière de lutte contre les diverses formes de fraude et de pratiques illégales ou illicites dans les entreprises publiques économiques (EPE), alors qu'ils sont à la tête d'une institution jouissant de prérogatives largement étendues, le président de la Cour tente par des contrevérités fuir ses responsabilités allant jusqu'à pervertir la notion de la propriété publique des EPE.

3- Concernant « les 600 comptes apurés ». La principale activité de la Cour est devenue l'apurement des comptes des comptables publics et ce sont généralement de petits budgets, alors que les entreprises publiques, les 48 trésoreries de wilaya et les opérations d'équipement, où se fait le gros des dépenses publiques, notamment, celles portant sur les marchés publics, sont délaissés. Cette carence fait que les contrôles effectués par la Cour des comptes n'aboutissent à rien.

Concernant les 600 comptes apurés en 2018 que le président de la Cour tente de considérer comme une avancée significative pour la Cour, il suffirait de consulter le rapport d'évaluation de la République Algérienne Démocratique et Populaire, réalisé dans le cadre du mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP), juillet 2007, (p:180), pour réaliser qu'aucune évolution positive n'a été réellement enregistrée depuis 2007, puisque le même nombre de comptes (600) a été apuré durant cette année (2007).

C'est dans le même rapport, d'ailleurs, qu'il a été recommandé de «Moderniser la Cour des comptes et lui faire prendre un nouveau départ, sous la forme d'un organisme moderne de contrôle des comptes de l'Etat, sur la base d'un programme de restructuration de la Cour des comptes qui inclut la redéfinition de sa mission et de ses attributions, de la taille de ses effectifs et le profil de son personnel».

Bien entendu aucune des recommandations n'a été mise en œuvre par le président de la Cour et son équipe, notamment celle liée au renforcement des effectifs de la Cour et ses capacités professionnelles.

4- concernant « le gel du recrutement ». Affirmer que le recrutement fait actuellement l'objet d'un gel, c'est juste tenter de fuir ses responsabilités en chargeant par la même occasion le ministère des Finances qui s'est pourtant toujours montré disposé à mettre à la disposition de la Cour les crédits nécessaires pour son fonctionnement. Les blocages des recrutements et contrairement à ce que veut affirmer le président de la Cour sont d'origines internes et du seul fait de l'administration de la Cour, à sa tête le secrétaire général, ordonnateur du budget de la Cour.

En effet l'administration, à sa tête le secrétaire général de la Cour, a mené une politique de désertification de la Cour, en mettant plus de 50 % des magistrats à la retraite à l'âge de 60 ans, y compris ceux qui ont demandé à rester, alors que leur statut particulier leur permet d'aller jusqu'à 65 ans.

Avec le nombre actuel de magistrats, soit 130 (opérationnels), répartis entre chambres nationales et territoriales, conjugué avec le nombre des partants à la retraite dans les deux années à venir, le corps des magistrats de la Cour des comptes est en voie de disparition.

5- Concernant « l'appel à des agents qualifiés du secteur public et à des experts ». Ce recours prévu par l'article 58 du l'ordonnance n° 95-20 susvisée, n'a jamais été mis en œuvre, il reste une simple déclaration de bonne intention, et ce n'est pas avec les bonnes intentions qu'on lutte contre la mauvaise gestion et la dilapidation des deniers publics.

En conclusion, les contrevérités du président de la Cour confirment, si besoin est, l'ébauche du diagnostic alarmant que nous avons dressé dans notre premier communiqué. Nous réitérons pour notre part, l'appel déjà lancé aux pouvoirs publics, afin de procéder à des changements à la tête de la Cour des comptes et de demander au président de la Cour des comptes et à son secrétaire général de rendre compte de leurs 25 ans de gestion catastrophique qui a déconstruit complètement cette institution constitutionnelle.

*Président du syndicat national des magistrats de la Cour des comptes



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