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Le risque de «sissisme», cet épouvantail factice

par Mourad Benachenhou

Ce qui rend la tempête que traverse le pays d'autant plus complexe, c'est la médiocrité de la classe politique, toutes tendances et toutes personnalités confondues, quelque brillant que fut leur parcours dans le système ou contre lui.

Les médias ne peuvent pas fabriquer des leaders factices

Cette réalité n'échappe à aucun observateur objectif et explique, du moins partiellement, la paralysie qui frappe les gouvernants, confrontés à une opposition populaire à la fois compacte et tenace, mais souffrant de l'absence de leaders. Certains médias tentent, en vain, de combler ce vide de leadership en mettant en avant des noms de «figures de prou » choisies par eux suivant des critères à la fois flous et incohérents, car parmi ces «personnalités» se trouvent certains noms qui ont acquis leurs «galons» au service servile du système politique contre lequel la population s'est soulevée. Peut-on faire du neuf avec du vieux ? Il est difficile de faire croire que des hommes ayant prospéré à l'ombre du système honni soient capables de «renaître» comme fossoyeurs de ce système, malgré leur posture empruntée, donc peu crédible, de pourfendeurs.

Trois acteurs dans le paysage politique actuel

Sauf accélération des évènements, qui verrait surgir de la masse des manifestants un leadership ayant la représentativité populaire lui permettant de se présenter comme interlocuteur légitime du peuple en marche, le paysage politique actuel comporte trois acteurs :

- un gouvernement sans assise sociale, mais contrôlant l'appareil d'Etat et en assurant le fonctionnement pour maintenir un minimum de normalité dans la vie quotidienne des citoyens, et s'accrochant obstinément à une feuille de route qui n'a aucune probabilité de faire sortir le pays de la crise actuelle ;

- une masse populaire mobilisée qui est suffisamment nombreuse pour qu'elle puisse être qualifiée de représentante légitime des aspirations profondes du peuple algérien, même si, jusqu'à présent, elle souffre du manque d'organisation lui permettant de constituer un interlocuteur face aux autorités publiques ;

- l'institution militaire qui, face au vide politique hérité du système de gouvernance adopté par l'ex-chef d'Etat déchu, se trouve être la seule force capable à la fois d'éviter au pays de tomber dans l'anarchie, de décourager toute tentative d'intervention extérieure et de servir d'arbitre dans le chemin menant à la mise en place d'un système politique jouissant de la légitimité populaire.

Les vœux pieux, comme les condamnations verbales, ne changent pas le paysage politique actuel

Il est vrai que cette prééminence du commandement militaire dans le paysage politique actuel n'a certainement rien de normal, quoiqu'elle ne fasse que mettre en relief la vacuité de la classe politique actuelle. Cette situation n'est pas l'effet du hasard, car elle est la conséquence logique et implacable de choix faits par l'ex-président, choix qui continueront à peser sur la réalité politique pour quelque temps à venir.

On ne peut pas changer le contexte politique par l'expression de condamnation de cette situation ou par des vœux pieux. Il faut faire avec cette réalité, d'autant plus que les critiques les plus virulents ne présentent aucune alternative permettant de rétablir rapidement le «Smig» de confiance entre gouvernés et gouvernants aboutissant à la cessation des manifestations populaires.

Des options intellectuellement valides, mais politiquement hors sujet

Les options de toute nature avancées par les uns et les autres, à longueur de conférences ou de pages de quotidiens, et quel que soit leur contenu, ne constituent même pas des points de départ, car elles sont basées sur une hypothèse, dont la validité est impossible à prouver, qu'une fois mises en œuvre ; elles aboutiront à créer le consensus populaire permettant de dépasser l'impasse actuelle.

Que ceux qui proposent ces différentes «options de sortie de la crise» prouvent qu'elles jouissent de l'appui du peuple en marche ! Si ce n'est pas le cas, leurs constructions ne sont rien d'autre que des exercices intellectuels, auxquels ont pourrait donner les qualifications les plus louangeuses, mais des exercices politiquement vains, malgré le sentiment de vanité justifiée que pourraient éprouver leurs auteurs.

Le chemin stérile et puéril du raisonnement par analogie

Une autre voie adoptée par certains est aussi stérile que puérile ; c'est le raisonnement par analogie qui se pare de la forme du syllogisme aristotélicien, mais qui n'est pas valide parce que ses prémisses majeure et mineure sont tout simplement fausses, car généralisant des situations particulières et non répétitives, pour en déduire la conclusion.

Le raisonnement par analogie est une des grandes mystifications auxquelles certains analystes politiques et autres acteurs de la scène actuelle, si encombrée, des médias, ont recours comme substituts à l'analyse fondée sur les réalités algériennes.

On sait que ces analogies ont, dès le déclenchement du mouvement populaire, été exploitées par les tenants du pouvoir pour semer la peur parmi l'opinion publique nationale. Certains ténors du système ont, ainsi, laissé planer, entre autres, la menace d'évolutions du type «syrien» ou «libyen».

Le problème est que l'analogie a des fondements tenus, parce qu'elle exploite quelques ressemblances entre deux ou plusieurs situations pour en tirer la conclusion qu'elles sont similaires en tous points.

Effectivement, les évènements en Syrie et en Libye ont commencé par des manifestations populaires pacifiques. Mais, en dehors de ces détails, il n'est pas possible d'assimiler le contexte algérien à celui de la Syrie et de la Libye où des forces extérieures puissantes, et maintenant clairement déterminées, ont tout fait pour assurer la primauté donnée à l'usage de la violence armée et la création d'une situation inévitable de guerre civile justifiant des interventions, au nom de la «démocratie».

Le syllogisme absurde : «Sissi est un général, Gaïd Salah est un général, donc Gaïd Salah est Sissi !»

Maintenant qu'il a été prouvé, par les évènements sur le terrain, que ce qui se passe en Algérie n'a qu'une analogie lointaine avec les évènements sanglants de Syrie et de Libye, certains agitent le spectre de la «sissisation» du système politique algérien.

Cette grille d'analyse, plaquant l'expérience égyptienne sur la situation en Algérie, parce que, dans le premier contexte, comme dans le second, le commandement militaire occupe une prééminence dans la gestion des évènements, souffre de la même faiblesse que celle qui a assimilé le cas algérien aux cas syrien et libyen. Ce n'est pas parce que, en Algérie, comme en Egypte, les forces armées sont au centre du pouvoir politique, les évènements en Algérie vont évoluer exactement dans le même sens qu'ils ont pris en Egypte.

Les contextes à la fois intérieurs et géopolitiques sont totalement différents dans les deux pays. Sans entrer dans les détails des différences, on peut affirmer que le «sissisme» en Egypte est une solution de désespoir face à une situation qui dicte un type de pouvoir sans options alternatives valables, et dont la marge de manœuvre interne et extérieure est limitée. Il ne s'agit pas de justifier la violence de la répression menée contre les opposants au «sissisme», mais simplement, et de manière certes superficielle, de souligner que les contextes algérien et égyptien sont différents.

Le commandement militaire algérien a d'autres options que l'aveugle répression de la contestation populaire, qui ne pourrait qu'aggraver la situation du pays, en creusant le fossé entre le peuple et ses dirigeants et encourager l'intervention directe extérieure, sous le couvert de prétextes moraux creux, cyniques et hypocrites, comme la «défense des droits de l'homme,» «la liberté d'expression et de manifestations,» «la défense de la démocratie,» bref tout le contenu de la boîte à outils utilisée par la «collectivité internationale,» dont le cœur ne saigne devant la souffrance des autres, que lorsque ça peut rapporter beaucoup, et où le portefeuille tient lieu de cœur.

Conclusion

Le «sissisme» n'est pas la solution envisagée ou envisageable à laquelle certains veulent condamner l'Algérie, par un argument d'analogie faux dès ses prémisses.

De plus le «sissisme», solution de désespoir, dictée par l'impuissance de trouver une alternative praticable, est un piège.

Une fois le chemin de l'usage unilatéral de la force armée et de la répression violente de la contestation populaire pris, il est difficile de revenir en arrière, car l'accumulation de haine d'un côté comme de l'autre coupe définitivement, si ce n'est pour longtemps, la voie de la réconciliation et complique donc la mise en place d'un système politique fondé sur la légitimité populaire.

Jusqu'à présent, rien n'indique que le commandement militaire soit disposé ou enclin à adopter cette voie à la fois stérile et dangereuse.

On ne peut pas lui faire un procès d'intention sur la base d'arguments d'analogie tirés de l'expérience égyptienne.

La marge de manœuvre des acteurs politiques algériens cruciaux dans le contexte actuel est suffisamment large pour éviter cette issue fatale pour toutes les parties impliquées dans le drame actuel.

Personne ne peut envisager le retour aux années de sang, où l'usage de la violence extrême a été délibérément choisie par les extrémistes islamistes, sur le conseil et sous la pression, appuyée par des financements généreux, de forces extérieures sous la coupe desquelles ils ont décidé de se mettre, par stupidité plus que par calcul raisonné, croyant servir la cause sacrée de l'islam, mais en fait simples pions entre les mains d'intérêts économiques étrangers.



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