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La place de la religion dans un Etat démocratique (2ème partie)

par Azedine Akkal

Dans le système moderne (occidental), on ne prête jamais aux cas désespérés par solidarité ou par altruisme, au contraire la banque prête de telle sorte à tirer profit au maximum des gains tout en courant le minimum de risque. Elle profite justement de ces situations de crise que traversent les individus ou les sociétés pour imposer sa conditionnalité. Or la réalité sociale n'est pas faite uniquement de calculs d'intérêt de l'homo-économicus sur lequel est fondée toute la théorie économique. La culture de l'entraide familiale et sociale a permis à notre société de survivre aux disettes économiques les plus aiguës et de résister des siècles durant aux catastrophes naturelles et aux oppressions économiques des envahisseurs. Rappelons-nous de la conquête française, une batterie de lois légitimant et légalisant toutes formes de séquestrations, de dépossessions, de spoliations, d'expropriations, de déprédations et de dépravations de la société, refoulant ainsi la population vers des milieux indigents. Je pense particulièrement aux lois de sénatus-consulte, à la lois Warnier, aux lois de 1870 et 1871, établissant un système d'impôt des plus répressifs de l'histoire, allant jusqu'à imposer des taxes sur la possession d'une bête de somme.

Au risque qu'on me reproche de faire une digression, je dirai que cette culture d'entraide sociale qui produit au final un effet économique indéniable est d'origine religieuse. En effet, il y a deux sources fondamentales qui alimentent une culture: il y a le savoir scientifique et technique et il y a la religion. Il se trouve que nous ne possédons pas le premier, si ce n'est un savoir-faire transmis de manière orale, mais nous en avons la seconde. C'est pourquoi, dans notre vie sociale et économique, il y a toujours des références religieuses. L'histoire nous enseigne et les observations empiriques nous renseignent que l'économique et l'esprit religieux ont toujours été indissolublement liés. Max Weber, dans son livre: L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1904/1905), a mis en évidence de manière scientifique ce lien. Il a su mettre en exergue que la discipline et la rigueur qu'inculquent le protestantisme et la sacralisation de la richesse comme meilleur moyen de faire le bien pour autrui sont en cohérence parfaite avec l'esprit industriel basé sur la rigueur et le profit.

L'exhérédation de la femme:

À ce propos, la décision historique des confréries religieuses de Kabylie de dispenser la femme du droit à l'héritage, de la terre notamment, peut être considérée par un observateur étranger comme un sacrilège, une bidâa, voire même comme une apostasie. Mais, lorsqu'on observe la chose de l'intérieur et qu'on relativise la fatwa par rapport à son contexte historique et économique de l'époque, on ne peut que saluer la sagacité, la perspicacité, la profondeur d'analyse et de maîtrise du message religieux dans son essence même des ulémas de l'époque. Ils ont su interpréter les concepts de telle manière à préserver l'économie d'une société qui était au bord de la déchéance. L'extrême exiguïté des terrains en Kabylie divisés en un nombre plus élevé (nombre de garçons et filles) aurait rendu le peu de terrain existant impossible à exploiter. En revanche, en cas de divorce ou du décès du mari, la femme cédant sa part de l'héritage à sa fratrie bénéficie d'une protection sacrée et de la prise en charge totale de sa personne ainsi que de ses enfants jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de maturité. C'est pour ça d'ailleurs qu'il n'y a jamais eu, de par l'histoire, de femmes mendiantes ou émigrantes en Kabylie, en dépit des moments les plus difficiles qu'a vécus la Kabylie sur le plan économique, sociale et sécuritaire. Finalement, la femme gagne plus qu'elle n'en donne, elle le fait de son propre gré d'ailleurs, de bonne foi et sans calculs préalables. Sur ce plan, elle jouit d'une liberté plus grande que la femme moderne adoptant le modèle occidental. Ceci dit, si la femme exige de prendre sa part d'héritage, elle lui est accordée. Cela se passe exceptionnellement quand les relations familiales se dégradent entre une sœur et ses frères, et que ces derniers ne s'acquittent pas de leurs devoirs familiaux de bienfaisance envers elle. Malgré cela, la femme kabyle reste généralement très tolérante envers son frère, plus qu'elle ne peut le faire envers son mari ou bien envers ses enfants, mais quand il y a des cas extrêmes, elle réagit. C'était aussi une loi qui a permis de préserver la Kabylie de l'intrusion des Turcs, contactant des mariages avec des femmes de la région.

La laïcité n'est pas un concept décrété

Il n'y a que les lois physiques qui sont constantes dans le temps et dans l'espace, quant aux lois économiques et sociales, elles sont plutôt de caractère variable dans le temps et dans l'espace. La reproduction automatique de certains modèles de développement économiques, sociales ou politiques qui ont donné des résultats tangibles par ailleurs, sur d'autres sociétés qui ont une autre histoire, une autre structure et une culture différente a souvent abouti à des fiascos, voire même à des tragédies. Nul modèle n'est bon pour autre société qui l'a produite. Afin de sortir du sous -développement économique, en vue de réussir sa cohésion sociale et assurer sa stabilité politique, chaque société est sommée de créer son modèle qui lui est spécifique, en puisant de ses propres forces et en s'inspirant de sa propre culture, et le fait religieux ne sort pas de cette règle.

C'est l'apparition de l'islamisme politique qui a provoqué la profusion des débats sur la laïcité et qui a poussé vers le stade extrême. L'islam de nos parents, même s'il n'a pas suscité l'adhésion de tout le monde sur certaines interprétations de concepts d'ordre philologiques notamment, il n'a tout de même pas effrayé les gens. Dans sa pratique sociale, qui est après tout l'essentiel, il n'a point suscité de divisions.

A force de vouloir imposer quelque chose rapidement, fortement et sans consentement, on le rejette sans discussion. Ce n'est pas à un montagnard qu'on tente d'imposer le fait accompli, son retrait vers ces régions escarpés malgré la misère, est en soi un sacrifice du confort contre la liberté. Entre la dignité et le confort, le choix ne se pose pas pour le montagnard. Ce retrait dénote justement sa culture de refus de toutes formes de pression ou de répression, le rejet de toute contrainte et même d'autorité; elle prouve plutôt son culte qu'il voue à sa la liberté. À chaque action, il y a réaction, À une position extrémiste nous avons assisté à une réaction extrémiste de la même ampleur. Or la solution ne consistait pas à apporter la contradiction par la réaction, c'est le piège qu'il fallait justement éviter, il faut plutôt ouvrir des perspectives nouvelles.

En Algérie, nous sommes ballottés entre deux formes d'extrémismes: pour les intégristes dits islamistes, il suffit d'appliquer la charia de manière «bête et disciplinée» que tous les problèmes économiques et sociaux les plus complexes seront résolus et simplifiés comme par baguette magique. En face, il y a les laïcs ou plutôt les laïcistes, pour qui la religion dans sa globalité est la source de tous les maux sociaux, politiques et économiques. Il suffirait alors de supprimer toute forme de croyance et de nier la religion dans le fond et dans la forme pour retrouver les voies de développement empruntées par les pays occidentaux. Oubliant ou feignant d'oublier qu'il y a des centaines de pays dans le monde qui ne légifèrent pas par référence à la religion sans pour autant être plus développés.

Le concept de laïcité n'a pas été introduit dans les débats comme sujet qui peut être accepté ou refusé, ni même appelé à être adapté au contexte et interprété sous l'angle culturel local. On ne part pas du principe qu'il peut avoir des avantages mais aussi des limites. Il n'est pas soumis à discussion, il est déjà décrété. Décrété par ceux-là mêmes se revendiquant de casseurs de tabous pour l'imposer justement comme un tabou. Il est édicté par des tuteurs politiques comme une ordonnance. Il s'agit d'approuver sans chercher de preuves, c'est une évidence, faute de quoi vous serez stigmatisé et taxé d'anachronique. On ne remet pas en cause l'intégrité d'un médecin sans courir le risque d'être disqualifié et traité d'intégriste. On passe de la dictature des armes à la dictature des idées, de la peur de faire à la peur de dire. C'est infiniment plus pernicieux. Dans le premier cas, on peut du moins respirer, dans le second cas, on souffrirait à l'étouffement.

Soyons vigilants ! Il n'y a pas que des démocrates qui s'opposent à la dictature, il y a également et surtout les petits dictateurs. Ils sont toujours présents, on les trouve soit embusqués derrières les mouvements de la société, soit ils sont à l'avant-garde des luttes, de toutes les luttes, ce qui leur confère déjà une légitimité historique. Face à l'ennemi étranger, on développe de l'adversité. Par étranger j'entends étranger par sa nationalité, sa région ou par sa culture. Laquelle adversité servirait de source de libération à plus ou moins long terme, mais face à un antagoniste interne qui s'octroie de l'ascendance, on est vite annihilé et asphyxié, s'il se rassure de notre inaction, il ira jusqu'à notre humiliation. Face au premier, on peut développer du mépris, alors que face au second on a plutôt du respect. Lequel respect nous ligote et nous empêche de réagir. C'est la stratégie du manipulateur narcissique avec sa proie. Le premier vous attache par les mains, mais le second vous enchaîne l'esprit, c'est donc tout le corps qui risque d'être paralysé. Le supplice que pourrait vous faire un étranger a toujours une limite, mais celui que peut vous infliger un proche n'a pas de limites.

La non utilisation de la religion pour des fins politiques ou politiciennes est indispensable, mais faire de la laïcité un dogme, dénier à la religion sa présence dans la société comme un fait social, refuser la reconnaissance du rôle social de la religion, sa négation pure et simple est un déni. Imposer la laïcité comme une religion de remplacement est une autre forme d'extrémisme qui n'est pas moins pernicieux et pour la société et pour l'Etat. Autrement dit, c'est une façon de demander à tout religieux de s'autocensurer quand il vient s'exprimer de la chose publique. S'il utilise la moindre formule religieuse, il est vite stigmatisé. C'est une autre forme d'islamophobie qu'on vit dans les terres même d'islam. Entre zéro et un, il n'y a pas que du vide, il y a plutôt une infinité de nombres. La chose sociale n'est pas aussi simple, elle n'admet pas la simplification à outrance, ni même sa purification.

Quand les attributs idéologiques s'emparent de tamazight:

Les hommes politiques qui se sont autoproclamés représentants de la chose politique en Kabylie en dépit des résultats électoraux les plus minoritaires vérifiés et revérifiés à maintes reprises dans leurs fiefs mêmes, ne se sont pas contentés uniquement de revendiquer tamazight, un droit inaliénable. Ils se sont surtout distingués en s'octroyant le titre d'hérauts de la bataille pour la laïcité. Ils n'ont pas été confrontés à la contradiction ou rencontré de résistance sur ce concept pour trois raisons:

A suivre

* Enseignant à l'université Akli Mohand Oulhadj de Bouira.



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