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Enrayer la fuite des cerveaux en médecine

par G. Richard Olds*

GRENADE – La rareté des médecins étant déjà présente dans le monde entier, la demande de médecins nés à l’étranger aux États-Unis et au Royaume-Uni sollicite tellement les ressources médicales de pays en développement et à revenu moyen qu’elles risquent d’atteindre le point de rupture. Aux États-Unis, par exemple, le déficit pourrait atteindre 95 000 médecins d’ici 2025, équivalant à 43 % de tous les médecins en poste aujourd’hui.

Lorsque les médecins se font rares, les États-Unis et le Royaume-Uni se tournent vers des pays comme les Philippines pour combler l’écart. Mais ceci fait en sorte que les Philippines subissent une pénurie de professionnels de la santé.

La situation en Afrique n’est pas meilleure. Au Kenya, plus de 50 % de tous les médecins exercent leur profession à l’étranger, laissant au pays uniquement 20 médecins par 100 000 habitants. En revanche, le Royaume-Uni est doté de 270 médecins par 100 000 habitants.

Assurément, il n’y a rien de répréhensible au fait que des médecins aillent à l’étranger poursuivre leurs études ou y pratiquer la médecine ; au contraire, exercer son métier dans différents réseaux de la santé est un élément déterminant pour devenir un médecin accompli et chevronné. Un problème fondamental demeure : les effectifs médicaux et les étudiants en médecine quittent en masse le monde en développement pour poursuivre des études dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni pour ne plus revenir travailler dans leur collectivité d’origine. De plus, les pays qui fournissent ces effectifs payent, la plupart du temps, pour leur formation en médecine, directement ou indirectement, sans jamais en recevoir les avantages.

Pour inverser cette tendance, il faut permettre aux étudiants en médecine de suivre leur formation dans des milieux cliniques de calibre mondial, tout en favorisant leur retour au pays pour y pratiquer la médecine. La tâche sera ardue, en partie parce que la pratique du métier dans les pays développés est beaucoup plus payante que dans le monde en développement, sans compter que les médecins préfèrent en règle générale entamer leur carrière dans le pays où ils ont fait leurs études. Toute initiative pour enrayer l’exode des effectifs médicaux des pays en développement devra tenir compte de ces facteurs.

En premier lieu, il faut circonscrire les lieux où la formation médicale est prodiguée. Les étudiants pourraient terminer leurs études précliniques et une portion des formations en milieu clinique, dans leur pays d’origine. Puis, ils pourraient ensuite se faire offrir l’option de suivre une formation temporaire pour une courte période en milieu clinique aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Les programmes d’internat sont la dernière étape du processus de formation médicale et souvent ils déterminent le milieu recherché par les médecins pour pratiquer. Lorsque les médecins du monde en développement achèvent leurs programmes d’internat aux États-Unis et au Royaume-Uni, ils reviennent rarement au pays. En fait, ils se font souvent offrir des avantages s’ils restent dans leur pays d’adoption : un statut de résident permanent et un droit de pratique en médecine.

Les pays à revenu faible et moyen devraient donc offrir davantage de programmes d’internat, aux États-Unis et au Royaume-Uni, même si ces pays sont responsables du déséquilibre actuel entre la demande et l’offre de médecins. Ils devraient aussi les aider en financement et en informations.

Il faut également aborder la question des avantages financiers qui attirent initialement un nombre injustifiable de médecins du monde en développement à l’étranger. Les médecins qui émigrent et dont les études ont été payées par l’État dans leur pays d’origine seraient ainsi tenus de rembourser les frais de scolarité avant de leur permettre d’aller pratiquer la médecine à l’étranger. Les médecins deviendraient ainsi redevables pour la valeur de la subvention de leurs études lorsqu’ils décident d’aller travailler à l’étranger.

Cette condition pourrait être imposée dans le cadre d’un système bien structuré de bourses qui incarne le mot d’ordre : «Si vous ne revenez pas, remboursez!». Dans un tel système, il y aurait beaucoup moins d’étudiants qui voudront accepter l’aide de l’État si leur intention est de faire carrière à l’étranger. Davantage de ressources pourront ainsi être consacrées aux étudiants qui souhaitent pratiquer la médecine dans leur pays d’origine. Le système permettra également de dégager plus de fonds pour investir dans les infrastructures de santé.

Trinidad a réussi à mettre en œuvre une telle stratégie ; les médecins qui poursuivent des études à l’étranger doivent revenir au pays pendant cinq ans en échange de leur bourse d’État. Aux États-Unis également, on retrouve des programmes qui visent à encourager les étudiants à lancer leur carrière de médecin dans certaines régions du pays en particulier.

À l’Université St George, où je suis président et directeur général, nous avons le programme de bourses CityDoctors, où les étudiants de la ville de New York qui reçoivent une bourse d’études couvrant l’intégralité des frais de scolarité à la faculté de médecine doivent revenir pour pratiquer leur métier dans le réseau hospitalier public de New York pendant cinq ans après leur formation. S’ils ne reviennent pas, ils doivent rembourser la bourse comme si c’était un prêt.

Les programmes de formation en médecine dans les pays en développement devraient également étudier de meilleures méthodes pour orienter les futurs médecins en fonction des besoins du pays. Les étudiants proviennent en grande majorité de milieux aisés, ce qui veut souvent dire qu’ils viennent des grandes villes. Il faudrait donc recruter un plus grand nombre d’étudiants dans les régions rurales — qui ont souvent les besoins les plus criants — pour qu’ils poursuivent ensuite leurs études dans les milieux où les besoins sont les plus pressants. En élargissant le bassin géographique et socioéconomique des talents et en sélectionnant les candidats prometteurs plus tôt, nous pourrions accroître la probabilité que les étudiants retournent dans leurs collectivités d’origine pour y pratiquer la médecine.

Nous avons tous quelque chose à gagner de normes internationales viables en matière de formation médicale qui assureront les besoins en santé de tous les pays. Pour les pays en développement, il n’y a pas d’autres voies à suivre.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
*Président et directeur général de l’Université St George de la Grenade dans les Antilles