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Les groupes hôteliers internationaux étant absents sur 80 km de côte: Aïn-Temouchent parie sur le tourisme de masse (1ère partie)

par Saïd Mouas

Une ville côtière et célèbre port de pêche, Béni-Saf, pour ne pas la nommer, vient récemment de défrayer la chronique suite aux querelles intestines qui empêchent les membres élus de s'occuper des problèmes des citoyens dont évidemment ceux des estivants qui ont fait le choix de passer leurs vacances sur les plages très prisées de la commune dont Rachgoun.

Le wali d'Aïn-Temouchent, M. Ahmed Hamou Touhami, s'est même déplacé à l'APC afin d'écouter les parties en conflit et appeler les élus à leurs devoirs. «La localité est sale et délaissée? Vous avez porté atteinte à l'image de Béni-Saf?», dira en substance le chef de l'exécutif. Voilà un préambule très édifiant quant aux perspectives d'évolution du tourisme sachant que les communes du littoral ciblées pour recevoir des projets d'envergure ne savent pas trop comment s'y prendre en matière d'aménagement et de prise en charge des questions environnementales. En fait, comme l'a souligné le ministre de l'A.M., de l'Artisanat et du Tourisme en visite à Temouchent la semaine écoulée, les structures hôtelières doivent se soumettre aux normes internationales. Mais il reste énormément à faire s'agissant des conditions d'accueil dans les sites balnéaires. Car s'il suffit de quelques années pour bâtir un hôtel cinq étoiles combien faut-il de temps aux mentalités pour s'imprégner d'une culture à la hauteur de la nouvelle civilisation des loisirs ? 50 ans, un siècle ? Cela, personne n'est en mesure de le deviner. N'empêche que les nouveaux responsables de la wilaya viennent en ces temps moroses de prendre la plus intelligente initiative de l'histoire du tourisme local en concédant au groupe Djillali Mehri une bande de terrain maritime de 206 hectares (2.060.000 m2) pour la réalisation non d'un village mais d'une ville touristique au bord d'une bande de côte qu'on a, pour la cause, baptisée Madagh 3 qui reste à créer. Un méga-projet situé à la frontière de la wilaya d'Oran et qui est appelée à drainer des touristes de tous les horizons. Nous en reparlerons plus loin.

A chaque fois que l'on évoque la fonction du tourisme dans la wilaya d'Aïn-Temouchent, on ne manque pas avec un brin de satisfaction de souligner le taux de fréquentation des plages qui font la réputation de la contrée. Le chiffre de 6 millions d'estivants atteint en 2012 a manifestement doublé en l'espace de quatre années au point où certains observateurs parlent de 15 millions de visiteurs d'ici la fin de la présente saison estivale. Loin s'en faut, car des facteurs imprévus sur lesquels nous reviendrons plus bas ont malheureusement contrarié cette estimation. Même si la procession des voitures qui sillonnent quotidiennement les routes de la wilaya venant de localités aussi lointaines que surprenantes à l'instar de Bechar, Saïda, Sidi Bel-Abbès, Ouargla, El-Bayadh, Alger ou encore Boumerdès et Oran, ces dernières disposant également de sites balnéaires qui n'ont rien à envier à ceux d'Aïn- Témouchent, laisse penser le contraire.

Une fausse impression qui cache une décrue dont il faut tenir compte le soir des bilans. Au-delà du caractère aléatoire de ces évaluations basées, dit-on, sur l'occupation journalière des plages au mètre carré et multipliées par les superficies composant le littoral et réservées à la baignade, il convient surtout de savoir pourquoi l'activité touristique dans la région dont les potentialités sont unanimement saluées, n'arrive-t-elle pas à se mettre au diapason des grandes cités touristiques renommées au plan international ? Les spécialistes du secteur abondent tous dans le même sens, à savoir que le poids de l'environnement est déterminant dans le choix des estivants. Conscients des enjeux économiques liés à cette interrogation, les gestionnaires du secteur savent qu'on ne peut pas faire évoluer les choses sans agir sur les aspects environnementaux qui impactent l'activité touristique. C'est ainsi que, pour résumer toute la problématique inhérente au développement du tourisme qui a acquis ses titres de noblesse durant la décennie 70 à 80 durant le règne Boumediene, on a fait appel au concept de transversalité ou globalité. Une simple coquetterie sémantique tendant à démontrer que le tourisme ne pourra jamais éclore sans un cadre de vie normal. Entendu que la normalité, telle que perçue ailleurs, renvoie à des comportements culturels et sociaux que les Algériens ont du mal à intégrer au quotidien et qui biaisent les discours sur les atouts touristiques du pays. En disant cela, personne n'a inventé l'eau chaude mais le fait de rappeler une vérité aussi évidente est méritoire en soi. Qu'on le veuille ou non, le tourisme est imbriqué à plusieurs dimensions qui lui donnent force et envergure. La qualité du parc hôtelier, des transports, des réseaux de communication, du système bancaire, des types de prestations de services, la sécurité, l'hygiène, le niveau de préservation des patrimoines matériel et immatériel, les TIC (technologies de l'information et de la communication), les coûts de séjour, le professionnalisme des gestionnaires, l'éthique politique des gouvernants etc. Ce sont autant de facteurs qui influent sur la sphère touristique et, par la même, situent le degré de développement d'une nation. Quid de la wilaya d'Aïn-Temouchent ?

Vingt stations balnéaires et 80 km de côte comportant des sites encore à l'état sauvage et à haute valeur touristique, voilà les avantages qui singularisent le littoral temouchentois et que l'on affiche toutes les fois qu'il s'agit de promouvoir l'image de la wilaya. Il y a quelques années s'est tenue à Aïn-Temouchent une rencontre régionale qui a regroupé les wilayas côtières de l'Ouest, en l'occurrence Chlef, Mostaganem, Oran, Tlemcen et Aïn-Temouchent. Un rendez-vous qui avait pour but de débattre des conditions de préparation de la saison estivale. Une perspective prise en charge par la commission à l'échelon local installée par le wali afin de traduire dans les faits les recommandations relatives aux divers volets tels que l'hébergement, la restauration, l'aménagement des ZET, le transport?

Depuis l'été 2013, une circulaire ministérielle a réglementé le «séjour chez l'habitant». Une mesure visant à compenser le manque de structures d'accueil. Elle bénéficiera surtout aux familles originaires du sud du pays. D'Adrar, de Bechar, El-Bayadh ou de Tamanrasset. La location chez l'habitant sera cependant difficile à contrôler vu le flux de touristes nationaux attendus qui ont pris option pour cette formule encadrée par un texte réglementaire. L'autre casse-tête débattu a trait à la concession des plages laquelle ne devrait pas, en principe, poser problème puisque le gouvernement a décidé d'éliminer à l'orée de cette saison les indus occupants qui écumaient les plages au grand dam des baigneurs. Il semble que l'application de cette mesure a rencontré des réticences, à en juger par la présence sur certaines plages comme Chatt El Hillal de jeunes squatters. Un énième défi que l'autorité administrative a laissé passer. Qu'à cela ne tienne, puisque l'évènement qui a focalisé le plus l'attention cet été concerne le plan d'investissement touristique dévoilé à l'occasion de la dernière session de l'APW.

Zones touristiques en quête d'investisseurs

Les premiers signes d'intérêt à l'endroit des sites touristiques de la région d'Aïn-Temouchent sont apparus au milieu des années 90 lorsque le groupe espagnol Flamingo s'est déclaré prêt à investir dans la ZET de Bouzedjar. Après une série de contacts et d'échanges de délégations, le promoteur ibérique s'est finalement rétracté. Par la suite, un autre holding, cette fois arabe, a jeté son dévolu sur le site de Sbiâat mais le dossier ?'Pharaon'' est resté en suspens. D'autres investisseurs firent part de leur désir de contribuer à l'essor touristique de la wilaya. Hélas, les offres soumises étaient en deçà des attentes souhaitées parce que la faible consistance des projets présentés ne correspondait pas aux ambitions placées en de telles zones d'extension touristique, autrement dit aux standards internationaux. Depuis, plusieurs postulants se sont manifestés avec des mini-projets hôteliers sans rapport avec la dimension des sites classés ZET qui, eux, ont besoin de l'implication de chaînes hôtelières de renom. Bref, au niveau local les quelques promoteurs présents ne sont pas pour l'instant en concurrence étant donné que l'offre est inférieure à la demande. D'où l'assurance d'une grande rentabilité au détriment de la qualité. A cet égard les responsables du secteur s'étaient montrés optimistes arguant du fait qu'une fois les PAT (plan d'aménagement touristique) ou les SDATW (schéma directeur d'aménagement touristique de wilaya) approuvés après leur confection par l'ANDT (Agence nationale de développement touristique), les ZET s'ouvriront aux futurs investisseurs. Les prévisions de 2013 tablaient sur 17 projets d'investissement dont deux résidences touristiques haussant ainsi les capacités d'accueil à 3.486 places réparties entre 15 hôtels et 8 résidences en mesure de créer près de 300 postes de travail. Au total, c'est une superficie de plus de 1.400 hectares qui a été annoncée pour couvrir les besoins exprimés.

Mais voilà qu'en 2015 l'effondrement des cours du pétrole chamboule la donne et incite les pouvoirs publics à sortir le secteur du tourisme de sa léthargie. Un programme national est alors élaboré à la hussarde en faveur de l'investissement touristique pour lequel l'Etat libère une grande partie des ZET du littoral. Les walis sont dès lors instruits afin de faciliter les procédures d'octroi des concessions de terrains qui sont de leur seul ressort. Les zones touristiques, tout comme les zones industrielles, vont servir de baromètre pour évaluer l'action des commis de l'Etat dans le cadre de l'investissement tous azimuts. Le salut de l'économie nationale en ces temps de disette passe par la multiplication de projets générateurs de croissance. Un credo que chaque wilaya est tenue de défendre mais pas à n'importe quel prix. Les expériences nous ont appris que lorsque l'Etat accorde de larges compensations financières comme ce fut le cas dans l'agriculture, les candidats à l'aventure s'y précipitent pour tirer le maximum de dividendes. Pour ce qui concerne la wilaya d'Aïn-Temouchent, les choses sont allées vite, probablement un peu trop vite, en matière d'investissement touristique. Une soixantaine de projets ont reçu l'aval du comité installé à cet effet. Huit sites du littoral, la ZET de Hammam Bouhadjar et le chef-lieu de wilaya vont accueillir hôtels, résidences et villages touristiques. Une formidable dynamique est en train de prendre forme grâce à l'esprit d'initiative qui anime l'équipe mise en place par le wali. Il n'en demeure pas moins que ce volontarisme de bon aloi appelle de notre part une série de remarques que nous allons tenter de toucher du doigt.

A suivre