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Etude du FCE sur la «sécurité alimentaire»: Priorité à l'approvisionnement du marché national

par Mohamed Mehdi

Le Forum des chefs d'entreprises a présenté hier les résultats de son étude sur «la sécurité alimentaire», réalisée par Omar Bessaoud, professeur et chercheur à l'Institut agronomique méditerranéen de Montpelier (IAMM). L'étude sur la «sécurité alimentaire» est la première «d'un programme de trois études» lancé «pour l'année en cours» a annoncé le président du FCE, Ali Haddad, devant les ministres de l'Industrie et de l'Agriculture, respectivement, Abdeslam Bouchouareb et Abdeslam Chelghoum.

Lors de la présentation des conclusions de son étude, Omar Bessaoud a évoqué plusieurs aspects de la sécurité alimentaire. Dans «l'état des lieux», le chercheur de l'IAMM a appelé à établir une «connaissance scientifique» des potentialités de l'Algérie dans le domaine agricole avant d'établir une stratégie. Il a d'abord tenu à balayer certains «mythes» tenaces qui attribuent à l'Algérie le rôle de «grenier à blé de Rome», pays agricole «incomparable», «d'une fertilité merveilleuse [et] d'une inépuisable fécondité». C'est la littérature coloniale qui a construit le récit de «ressources naturelles abondantes mais très mal exploitées» par les autochtones dans le but d'asseoir la légitimité de l'entreprise coloniale», affirme l'auteur de l'étude (dont un résumé est disponible sur le site fce.dz) qui estime que l'Algérie ne fournissait à l'époque «qu'à peine 42000 tonnes/an, soit quelques tonnes de plus que la production moyenne aujourd'hui d'une seule commune céréalière algérienne, celle de Rahouia dans la wilaya de Tiaret».

Dans un bilan chiffré, il rappelle que l'Algérie a consacré, depuis 2000, dans le cadre du PNDA, une moyenne de 2 à 3 milliards $ par an d'investissement dans le secteur agricole, conduisant à une «hausse de la productivité du travail et du sol» avec un taux de croissance de l'agriculture de l'ordre de 9,2%. Selon lui, la surface irriguée est passée à 1,6 million d'hectares, soit 14% de la surface agricole utile (SAU), alors qu'elle n'était que de 7% en 2000.

Des changements dans les habitudes alimentaires

Cette hausse de la production s'est accompagnée d'une augmentation de la consommation, résultat d'une croissance de la population, explique l'orateur. Outre la production nationale de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire, la facture d'importation alimentaire s'est élevée à 11 milliards $ en 2014, rapporte l'auteur de l'étude. Cependant, le professeur Omar Bessaoud invite à une relativisation de ce chiffre, citant la facture alimentaire de la Suisse durant la même année, qui a atteint «14 milliards $», affirme-t-il.

Il rappelle que l'Algérie est le 3e importateur mondial de blé tendre, 1er pour le blé dur, et 2e pour la poudre de lait «juste derrière la Chine». Avec cette position de gros importateur, l'Algérie «contribue à la hausse des cours» de ces produits. L'auteur de l'étude a également souligné «le choix judicieux de l'Algérie de réduire ses importations de blé dur» en «augmentant les superficies dédiées» à cette céréale. Il note aussi la hausse de la consommation de la pomme de terre en Algérie, ce qui représente, selon lui, «une évolution de la consommation alimentaire».

Pour Omar Bessaoud, il faut concevoir la sécurité alimentaire dans le cadre «d'une économie et d'une croissance économique globale du pays», en tenant compte des «contraintes liées au relief et aux conditions bioclimatiques».

L'agriculture familiale comme pivot

Compte tenu de ces «contraintes», dont un climat «aride et semi-aride» qui fait de «la sécheresse et (de) l'aridité» une «menace constante», les potentialités agricoles de l'Algérie «sont limitées». «Près de 70% de la SAU céréalière est localisée dans des zones où il pleut moins de 450mm d'eau par an, ce qui explique à la fois les faibles rendements à l'hectare (7 à 15 quintaux à l'hectare selon les années) obtenus par les exploitations céréalières et le maintien de la jachère».

Au sujet de la jachère et des critiques qu'elle essuie, l'orateur invite à la retenue. «Nos paysans ne sont pas idiots» dit-il, car ils «connaissent les «potentialités des sols».

«Le système grandes cultures/jachère» concentre environ 90% de la SAU totale et rassemble 57,4% des exploitations. La faible pluviométrie oblige les céréaliculteurs à pratiquer la jachère une année sur deux ou deux années sur trois, c'est-à-dire à laisser improductifs la moitié ou les deux tiers de leurs terres, pour leur permettre d'emmagasiner l'eau nécessaire à la vie de la plante. Ce système de culture est souvent associé à l'élevage», affirme l'auteur.

Abordant le sujet de «l'agriculture entrepreneuriale» (d'entreprise), l'orateur insiste sur la nécessité de «protéger la paysannerie» en Algérie.

Il rappelle qu'en Algérie, «la petite agriculture familiale domine, car plus de 70% des exploitations (à orientation production végétale ou animale) ont ce caractère familial et paysan. C'est elle qui assure la sécurité alimentaire locale des populations qui, bien souvent, vivent de l'activité agricole avec toutefois une productivité relativement faible fautes de ressources (foncières, en eau ou en capital)z.

Concernant l'agriculture d'entreprise, il appelle à la vigilance, citant les zexpériences inaugurées de longue date par des pays comme l'Arabie saoudite, l'Egypte, ou proche de nous, le Maroc (qui) montrent que ce pari est risqué». «Outre les questions de coûts de production, d'exploitation de ressources dans une perspective de non durabilité et d'emploi de la main-d'œuvre, ce modèle dédie les terres concédées et ses capitaux à la production de cultures de rente qui ne se substituent pas aux importations des produits qui constituent la base de l'alimentation», affirme Omar Bessaoud.

«L'Algérie n'est pas compétitive à l'export»

A propos de «l'option pour les exportations», l'auteur de l'étude commandée par le FCE rappelle que les expéditions agricoles de l'Algérie «ne représentaient entre 0,1 % (2009) et 0,6 % (en 2013) du total des exportations. A l'horizon 2019, les exportations portent sur la pomme de terre (71 000 t), la tomate industrielle (25 000 t), l'huile d'olive (5 m de litres), le vin (200 000 hl), les dattes (60 000 t) et accessoirement fraises, abricot, miel et œufs».

Selon lui, «un calcul économique est à faire» pour «évaluer les avantages tirés de ces exportations». Ce calcul doit tenir compte «des coûts devises, les soutiens, les coûts de dégradation des sols et l'exportation d'eau virtuelle». «Toutes les études portant sur les avantages comparatifs démontrent que l'Algérie n'est compétitive» pour des produits comme l'huile d'olive, la tomate industrielle et la pomme de terre, conclut l'auteur.

«La priorité absolue est l'approvisionnement du marché domestique à des prix compatibles au pouvoir d'achat des consommateurs». A ce sujet, il estime que les subventions alimentaires «qui représentent moins de 0,5% du PIB», «corrigent les inégalités dans la répartition des revenus de la nation, dans l'accès à l'alimentation» et «maintiennent la sécurité de très nombreux ménages de condition modeste». «Il serait suicidaire d'envisager leur suppression au motif que les populations favorisées en profitent également. Une politique fiscale finançant en partie la Caisse de compensation serait plus équitable».

Pour ce qui est de la subvention à la production, il rappelle que «partout dans le monde, l'agriculture est subventionnée soit de façon directe, soit indirectement (transport, stockage, assurances, fiscalité)» et que «l'Union européenne consacre près de la moitié de son budget à l'agriculture et aux soutiens aux revenus des agriculteurs».