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L'amour corrompu

par Mohamed Belhoucine

La production économique est en fait un problème d'amour mais les économistes ne le voient pas de cet œil, abrutis par la fable des abeilles de Mandeville. Popper a eu raison de dire au soir de sa vie, que l'économie n'est pas une science. Les économistes sont des experts qui sauront demain pourquoi ce qu'ils avaient prédit hier ne s'est pas produit aujourd'hui. Toujours en retard d'une guerre. Tous les projets, de l'anti-modernité , voir mon papier sur liberté, (la représentation et le souverainisme), la productivité sociale, exode hors de la domination du capital, risquent de rester inertes les uns à coté des autres si aucun élément ne les rassemble et ne les organise en un projet cohérent. C'est l'amour qui manque. L'amour n'est pas ce que vous pensez. Ce que l'on entend par amour dans le discours ordinaire et la culture populaire est avant tout l'expression de ses formes corrompues. Et ce n'est pas l'amour que vous ne savez pas qui vous causera du tort, c'est l'amour que vous croyez savoir et qui est faux et corrompu.

L'amour identitaire, le commandement d'aimer son prochain, un appel à aimer ce qui est le plus proche et le plus similaire, est un amour corrompu. La notion contemporaine dominante de l'amour romantique dans nos cultures n'est que le fond de commerce qu'Hollywood, les Indiens et les Turques exploitent chaque jour, en intoxicant nos femmes toute la journée collées à l'écran, exige que le couple fusionne et devienne un. C'est un amour corrompu, que le mariage et la famille enferment le couple dans une unité qui corrompt le commun et l'Etre-ensemble.

L'amour familial - l'obligation d'aimer avant tout au sein de la famille en excluant et en subordonnant ceux qui sont en dehors, est une forme corrompue de l'amour. L'amour d'une race, d'une tribu, de sa région, l'amour d'une nation, ou le patriotisme, illustrent également l'obligation d'aimer davantage ceux qui vous ressemblent le plus et, partant, de moins aimer les différents. La famille, la race, l'ethnie, la « vernacularité « hégémonique, sont des formes corrompues de l'Etre-ensemble et du commun, sont donc sans grande surprise au fondement de la corruption de l'amour. L'amour est un concept essentiel?pas au sens de notre entendement?pour la philosophie et la politique, et c'est en grande partie parce que la pensée contemporaine est incapable de l'interroger et de le développer qu'elle est faible. L'amour est une affaire trop sérieuse et se serait imprudent de le laisser aux poètes, aux écrivains et aux psychanalystes et aux activistes vernaculaires sectaires (qui ne recherchent que le pouvoir et l'argent et qui ne sont animés que par la haine de l'autre, parce qu'il est différent). Nous devons absolument faire un peu de ménage conceptuel, de balayer certaines fausses idées qui excluent l'amour du discours politique et philosophique. Pour comprendre l'amour en tant que concept philosophique et politique, il est utile de partir du point de vue des pauvres et des innombrables formes de solidarité et de production sociales qu'ils développent.

Il faut fixer ce cap pour toujours : la puissance des pauvres se situe au cœur de la révolte sociale, cette puissance est essentielle à la possibilité de la démocratie, les pauvres sont au centre du projet de la transformation révolutionnaire. La solidarité, le souci des autres, la création d'une communauté et la coopération dans des projets communs sont pour eux des mécanismes de survie essentiels. La véritable essence des pauvres n'est pas leur manque matériel (leur avoir), mais leur Etre doté de puissances d'invention et de production. Les pauvres forment un corps social plus puissant que n'importe lequel de nos corps individuels, ils construisent une nouvelle forme de subjectivité commune (au sens Foucault du terme, production d'affects, de langages à travers la coopération sociale, l'interaction des corps et des désirs, l'invention de nouvelles formes de rapports à soi et aux autres, des codes, des normes etc.).

Le pauvre a besoin de l'évènement, son Etre ne se fait que dans l'Evènement, c'est pour çà que le pauvre est révolutionnaire. Les pauvres dévoilent une nouvelle perspective de l'amour qui est un processus de production de l'Etre-ensemble, non seulement pour produire des marchandises matérielles et de la subjectivité mais aussi pour une fin en soi. L'amour via la production des réseaux affectifs, de schémas de coopération et de subjectivités sociales, est un pouvoir économique. L'amour est une action, un Evènement, organisé et réalisé en commun par les pauvres. L'amour de l'Etre-ensemble, l'amour des pauvres, non seulement crée de nouveaux objets, de nouveaux sujets dans le monde, mais un nouveau monde, une nouvelle vie sociale. Le pauvre déplace la perspective L'Etre-ensemble vers la dialectique du Faire-Etre-ensemble, c'est un processus continu de métamorphose ancré dans le commun. Voilà son grand secret. Le pauvre déteste l'escroquerie et la corruption des partis oligarchiques et de leurs Zaîms coupés de la dynamique sociale de l'Etre-ensemble des pauvres. Les partis fonctionnent à vide ce sont des usurpateurs et des mystificateurs. Les partis ce sont des prostitués et des lèches bottes s'allient avec l'Etat-major pour nous gouverner. Je respecte les vraies prostituées car elles nous soulagent et participent donc à la production. La production de richesse ne peut se faire que par l'intermédiaire de l'Etre-ensemble, ne peut avoir lieu que sur le terrain du commun. La production de richesse est un orchestre qui joue sans chef, et il s'arrêterait de jouer si quelqu'un montait sur l'estrade.

Spinoza nous enseigne avec sa précision géométrique habituelle dans son œuvre l'Ethique, que l'amour est joie, c'est-à-dire augmentation de notre puissance d'agir et de penser, et reconnaissance d'une cause extérieure. Spinoza, précise qu'à travers l'amour nous forgeons une relation avec cette cause et cherchons à répéter et à étendre notre joie, formant ainsi des corps et des esprits nouveaux, plus puissants. L'amour véritable crée l'Etre-ensemble, le commun et une nouvelle existence, depuis la pauvreté jusqu'à l'Etre. Exister c'est quoi ? Nous le martèle Spinoza, c'est une manière d'affirmer ce qui est inéluctablement commun, mais qui refuse d'être privatisé ou enfermé, et reste ouvert à tous. Il n'existe pas d'ontologie privée. L'amour véritable et non corrompu, est ontologiquement constitutif signifie simplement qu'il est le seul ingrédient qui produit l'Etre-ensemble et le commun et rien d'autres. Spinoza était marxiste 150 ans avant la naissance de Marx.