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Rattrapage des épreuves du bac 2016: Premier véritable enjeu de la deuxième République

par Ghania Oukazi

Les sujets «répétitifs» du bac ont été acheminés vers les différentes wilayas du pays par voie aérienne militaire.

C'est aujourd'hui que les candidats au baccalauréat 2016 devront refaire les matières dont les sujets ont été fuités quatre longs jours avant la tenue de l'examen à la date où il avait été officiellement prévu. Les rapports de l'enquête menée par la Gendarmerie nationale en font foi. Le ministère de l'Education nationale avait pourtant mis de gros moyens de contrôle, de surveillance et de suivi pour éviter la triche.

Mais le désastre a eu quand même lieu. Pour la session «répétitive», c'est carrément l'armée qui a été mise à contribution. Les sujets ont été acheminés vers les wilayas du pays par voie aérienne militaire. C'est à partir de l'aérodrome militaire de Boufarik que les paquets bien ficelés ont été embarqués pour atterrir le jour J dans les centres d'examens. A la guerre comme à la guerre, Nouria Benghabrit est devenue, sans conteste, la proie idéale des forces du mal. Elle est tenue de s'armer de gros moyens pour pouvoir y faire face.

Pour rappel, dès son installation, des médiocres ont remis en cause ses origines familiales comme si l'affiliation devait prouver qu'on naît intelligent et sage ou bête et méchant. Elle est alors devenue la cible privilégiée des arriérés de tous bords. C'est une véritable guerre que doit mener la ministre de l'Education nationale contre l'immense incurie qui règne dans le pays. Par chance ou par malchance, elle a à charge la reconstruction de la colonne sur laquelle l'Algérie tout entière doit assurer son équilibre général. L'école de la république est au centre des attaques les plus abjectes. Benghabrit le sait pour l'avoir observé déjà quand elle était au CRASC d'Oran. Elle a surtout compris que ce n'est jamais une mince affaire d'extirper un lieu du savoir des mains de milieux sclérosés pour l'amener vers l'ouverture et l'émancipation. «La construction de ces programmes se basait essentiellement sur les compétences disciplinaires privilégiant la compilation des savoirs et leur mémorisation engendrant un stress permanent dans le milieu scolaire et celui des parents et où la notation est devenue un élément pervers menant à la triche et à la fraude», avait-elle constaté dans une interview parue dans le Quotidien d'Oran le 13 mars 2016.

Quand les valeurs font défaut

La ministre de l'Education savait ainsi que «la triche et la fraude» avaient été érigées depuis longtemps en moyen «pervers» d'acquisition du savoir et de la connaissance. Du décideur à l'enseignant aux parents d'élèves, tous s'y étaient accommodés sans craindre la désintégration de toute une société. Même si certains de ses collègues ministres la trouvent parfois arrogante, Benghabrit tente aujourd'hui le tout pour le tout pour récupérer ce qui peut l'être et remettre l'école sur les rails du savoir «bien acquis». Les sujets fuités du bac 2016 n'en sont qu'une bataille parmi d'autres auxquelles elle devra bien se préparer pour pouvoir les gagner. Dans l'interview en question, la ministre avait en effet expliqué les réformes entreprises au sein de l'école pour enclencher les programmes de 2ème génération dont l'essentiel devra désormais être centré sur «l'amélioration de l'apprentissage de l'enfant algérien». Elle a expliqué que «les évaluations qui ont été faites révèlent un cloisonnement des différentes disciplines à travers les années et les cycles avec une absence de coordination verticale et horizontale de ces matières et une foisonnante terminologie différente d'un domaine de savoir à un autre». A partir de ce constat, il a été décidé et établi «une révision des programmes sur la base d'un référentiel général, en plus d'un guide méthodologique (?), construit sur 3 dimensions, celle du savoir et de la connaissance, des habitudes intellectuelles mais surtout celle des valeurs et comportements quasiment absente de tous les programmes précédents». Pour y remédier, la ministre prône «un changement radical dans le corps inspectoral et celui des enseignants de la 1ère et 2ème année primaire et de la 1ère année moyenne.» Pour libérer l'élève «des automatismes mentaux» que l'école de l'Algérie des incompétences lui a inculqués depuis de longues années, il faut que dès l'année scolaire 2016-2017, ses enseignants lui apprennent à «prendre la parole, s'exprimer, verbaliser son appropriation du monde, imaginer, extrapoler, déduire, induire, critiquer, narrer». A 16 ans, pense la ministre «l'élève devra avoir acquis des savoirs, un savoir-faire et un savoir-être précis».

L'enjeu de la 2ème République

Depuis près de deux ans, le ministère de l'Education travaille, selon elle, sur «le corpus des erreurs des élèves aux examens officiels». Devant être finalisés en mai dernier, «les éléments descriptifs et analytiques répertoriés nous permettront de situer les faiblesses dans les langages fondamentaux (mathématiques, langue arabe?),» avait-elle souligné. Les examens officiels que Benghabrit évoque ne se passent déjà plus comme au temps où tout le monde «savait lire et écrire» version Benbouzid, le ministre qui a régné tranquillement sur l'éducation nationale pendant près de 20 ans pour aller après siéger au Conseil de la nation avec la conscience tranquille de la mission (bien) accomplie. Le premier indicateur du «changement» est incontestablement le taux de réussite qui, des cimes de plus des 90%, est tombé aux limites des 50%. D'aucuns savent que de l'école primaire à l'université, les notes en général sont «arrondies» sur demande voire instruction des responsables de ces institutions afin de ne pas montrer que les niveaux du savoir «national» traînent au bas de l'échelle des cancres. Benghabrit devra reprendre son souffle profondément pour inaugurer l'école de «2ème génération» dès septembre prochain. Les démons pourront encore surgir contre le changement annoncé qu'elle qualifie elle-même de radical. Elle veut, dit-elle, «aller vers la proximité et la créativité». Mais elle avoue d'ores et déjà que «la tâche est rude, les habitudes sont bien installées». Elle explique en outre, qu'« on travaille sur l'avenir, c'est la démarche la plus difficile, la plus complexe quand on sait qu'il y a des résistances». Elle est persuadée que «pour déroger à des habitudes, c'est très compliqué». La femme est avertie. L'enjeu en vaut cependant toute la peine. Ceci, même si elle sait qu'elle risque d'être sacrifiée juste pour calmer les esprits indigents. Le 1er ministre devra plus que tout le monde, mettre en veille ses troupes dès aujourd'hui pour adouber une ministre déterminée. L'école est le premier véritable enjeu de la 2ème République.