Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Lettre ouverte à Madame Louisa Hanoune

par Faycal Houma

Chère Madame,

Cela fait bien longtemps que je lis et que je décrypte, à la manière d'un graphologue, les contenus du discours politique que vous prononcez dans chacun de vos meetings et dans les interviews que vous accordez à des médias, sans jamais vous départir de votre tonus à réprimander et à vilipender les petits serviteurs zélés du système qui causent des dégâts considérables au pays.

Cette harangue fait du bien aux oreilles des pauvres et des malheureux qui trouvent en vous un ardent défenseur des causes des plus faibles. C'est bien pour les discussions de café et de rues.

C'est cette montée sur le front des combats qui plaît. Et qui vous fait gagner en estime chez la masse des populations qui, souvent, espèrent plus que des paroles.

Socialisme triomphant ?

En effet, chez ces gens-là, madame, quand leurs fiches de paie et porte-monnaie crient « au secours, c'est l'inflation », personne ne vient à leur secours, personne n'écoute la complainte qui vient du fond des entrailles. A la limite, se disent-elles, « les paroles ne sont pas faites pour rassasier mais pour tromper la faim ». Donc, à partir de cet instant, je me dis qu'il y a quelque chose de pas logique dans ces discours aux vieux relents trotskistes et gauchisants qui font dans la démagogie ambiante comme au bon vieux temps du socialisme triomphant. Le résultat de cette gabegie et de ces mensonges politiques, qui ont duré longtemps, ont entraîné le pays vers une très grave crise économique et sociale, aux conséquences désastreuses dès l'aube de 1988. Nous vivons aujourd'hui les retombées de la déliquescence de l'Etat que vous-mêmes et d'autres avaient entretenu en faisant croire aux recettes miracles du socialisme.

On nous a fait croire que ce « peuple fier », sait tout, qu'il a engrangé des bénéfices nés de la sueur de son travail, et l'Etat qui distribuait hier de fictifs bénéfices a changé de méthodes en distribuant aujourd'hui des augmentations de salaires et aux hordes de jeunes de l'argent via l'Ansej. Qu'est-ce qui a changé ? Le modèle ou les hommes ?

C'est une suite logique de la mauvaise gestion et de la corruption qui a entraîné les tensions sociales que l'on adoucit, coûte que coûte, à travers une redistribution irrationnelle de la rente issue des hydrocarbures. Ainsi, ces salaires versés et ces augmentations sans contreparties productives pour apaiser le front social, mais sans faire attention au risque d'une hyperinflation aux désastres multiples. Cela peut durer encore et encore quitte à conduire le pays à la dérive. Pourquoi ne pas changer de discours et dire tout simplement que ce système rentier, héritier du socialisme bon enfant, conduit inexorablement le pays vers sa ruine. Au lieu de faire de votre engagement politique une lutte sans merci contre ceux qui ont pris en otage l'appareil historique et outil de la lutte ouvrière, l'UGTA, transformée en machine de production d'affairistes, vous occultez ce mal profond qui gangrène la société et tirez en direction de cibles supposées invalidées au développement.

D'abord, un petit rappel : on vient de célébrer à travers le monde la fête du travail, moment d'une grande amplitude historique, et chez nous, cet immense événement a ressemblé à tous les anniversaires : enseveli dans la plus totale indifférence par tous. Sauf par quelques nostalgiques, ceux qui croient encore à un supposé éveil des nationalismes d'antan et qui se disent : « Il viendra ce jour où fonctionnaires, salariés, jeunes se mobiliseront et marcheront sur le macadam des rues d'Algérie ».

Vous avez oublié le 1er Mai !

J'avais rêvé voir ce premier mai 2015 des milliers d'Algériens issus des ateliers, des hauts fourneaux, des bureaux, des postes, des terres fertiles de nos plaines battre le pavé et fustiger ces affairistes prédateurs de l'argent public pour leur faire contrepoids. Vous auriez pu, madame la première responsable du Parti des travailleurs, mobiliser, expliquer, sortir dans la rue avec ces cohortes de travailleurs et travailleuses, mais vous ne l'avez pas fait... Ce n'était que désillusion. Pendant ce temps, vous vous acharnez à descendre en flamme la ministre de la Culture alors que vous ne vous êtes jamais exprimée quand des cadres de ce même ministère dénonçaient la gabegie issue des festivals tronqués, des manifestations bidons, des cérémonies budgétivores qui ont grossi des comptes en banque ici et là.

Aussi, ce qui me semble être une certitude, c'est votre stratégie qui consiste à tirer sur les uns avec des balles à blanc et sur les autres à balles réelles.

Donc, cette manière de faire me pousse à me dire qu'au lieu de libérer l'UGTA des forces inertes et d'aider les forces démocratiques à reprendre l'instrument de la lutte ouvrière, vous changez le fusil d'épaule et orientez votre mire en direction des créateurs d'idées et de richesses et vous tirez dans le tas.

Ce système rentier : mielleux copinage et cooptation

Reprenons le cours de l'argumentaire : l'Algérie est atteinte d'une maladie qu'on nomme l'immobilisme. Un pays qui navigue à vue, et une faune d'hommes et de femmes se terrent derrière cette hideuse machine appelée sans honte secteur public et qui produit de la démagogie à l'intérieur d'un système où on fait semblant de travailler, de produire, de verser des salaires. Toute cette armée a une peur bleue du changement parce que cela suppose qu'elle doit devoir changer ces habitudes économiques, sociales de bon voisinage, de mielleux copinage et de cooptation.

Attention, ne jetons pas le bébé et l'eau du bain : le secteur public est une immense école de patriotisme, de savoir et de développement, mais tel qu'il est pensé et vécu aujourd'hui, j'estime qu'il sert plus les prédateurs que les forces vives démocratiques et créatrices de richesses. Celles-ci sont étouffées par les pratiques bureaucratiques, les responsables sont guidés par les ambitions et la recherche du pouvoir « à tout prix ». L'autoritarisme de l'Etat et l'acculturation empêchent l'émergence de la revendication à travers des forces capables de mener des combats politiques. Dans ces atmosphères figées, va se développer une ambiance de médiocrité, véritable rempart à la créativité et à l'émergence de jeunes talents qui ont assisté à la transformation du monde sans pouvoir y prendre part. La frustration de se compter parmi les laissés pour compte à cause de ces caciques du secteur public qui s'opposent à toute idée de changement, va faire grandir chez eux ce sentiment que rien ne peut se faire dans ce pays. Alors, on se laisse aller, on ne pense plus, on laisse faire, on ne réagit plus. On meurt à petit feu en restant éveillé.

Quand un système autoritaire est lié à un système rentier, il conduit inéluctablement au mal-développement, à la souffrance. Un pays politiquement fermé, coincé, dominé par une coalition de partis voraces et instrumentalisés, est un pays où l'économie est verrouillée par des pratiques de recherche de rentes, entretenues et favorisées par une corruption aux multiples formes.

Il est vital de remplacer en profondeur les choses et de considérer des alternatives politiques et économiques, de façon scientifique, technique, rationnelle, pacifique et démocratique, afin d'ouvrir un champ économique et social. Nous avons des forces talentueuses, des jeunes pétris de qualité, donnons-leur cette chance de pouvoir exercer leur compétence ici et non pas ailleurs comme cela se fait depuis des décennies !

Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur le personnel du secteur public car il faut distinguer entre hommes, femmes qui le composent et le système lui-même, car dans un autre environnement soumis aux principes de l'efficacité et de la concurrence incluant une vision stratégique et non une gestion d'à peu près des affaires de l'Etat, ce même personnel trouvera sa dignité, donc, son talent et son savoir.

Quelques chiffres nous donnent froid au dos : l'assainissement des entreprises publiques en Algérie a coûté au Trésor public plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2011 sans résultats probants, 70% des entreprises publiques sont revenues à la case départ. Et si tout cet argent avait servi à la création de nouvelles entreprises performantes capables de créer un environnement productif et des millions d'emplois !

Dénoncer une ministre face à un océan de scandales, c'est risible

Tout le monde est unanime à dénoncer le poids de la bureaucratie, le mensonge institué en pratique de pouvoir, l'absence de vision macroéconomique mais surtout cet outrage fait au peuple de ne pas l'informer des questions d'intérêt national. Je ne parle pas de ces faits divers dont raffolent certaines chaînes de télévision privées et qui enfument la pensée populaire sur son avenir.

J'ai effectué ces digressions nécessaires pour vous montrer du doigt que vous passez sur l'essentiel et vous vous accrochez à des détails. Que vous dénonciez les abus commis par tel ou tel membre du gouvernement en apportant la preuve de vos dires, c'est bien pour la justice et la morale publique. Mais que vous vous acharnez à casser du sucre sur le dos de la responsable d'un département ministériel alors que la lutte est ailleurs, vous m'en voyez franchement déçu. Parce que je me conforte dans mes opinions en estimant que face aux véritables obstacles du développement national, vous dénoncez ce qui semble être du ressort de pratiques administratives tout à fait ordinaires. On a donné aux uns et pas autres, semble-t-il, alors, aux concernés de le prouver. Mais de là à en faire un registre de commerce politique alors que le combat doit être orienté vers des cibles qui ont pour noms les dilapidateurs, les prévaricateurs, les forces inertes au bien-développement (opposé au mal-développement) et qui se cachent à l'intérieur des instruments de l'Etat, vous privilégiez les assauts à la hussarde au lieu d'une bataille pensée, organisée et menée avec l'intelligence et la raison.

Cette diversion, parce que c'en est une, me laisse donc penser -selon vos assertions- que l'immobilisme politico-économique est notre destin, un sort immuable, que rien ne pourra changer l'ordre établi.

Et dire que dans ce grand et historique pays, il existe des forces intelligentes, des jeunes entrepreneurs et biznessman, biznesswoman dont vous ne parlez jamais, mais ces jeunes font le tour du monde pour effectuer leurs achats qu'ils déversent sur cette terre. Il y a de tout dans ces négoces, de la petite boîte de gâteau en passant par le ciment, les matériaux de construction, le prêt-à-porter, les composants électroniques, etc.

Laissons l'Algérien grandir dans l'entreprise privée

Et si vos pensées et celles de ces apparatchiks allaient dans le sens de l'encouragement de ces jeunes entrepreneurs, véritables négociants en Asie, en Europe, au Moyen-Orient, pour en faire des machines au service de l'Etat, capable de réguler le marché par l'apport de marchandises. Ces gens-là, organisés en association, disposant de bureaux de change contrôlés par la Banque centrale, sont de sérieux atouts pour l'économie nationale.

Ne crachez pas également sur les vertus du libéralisme économique. Il y a des courants qui souhaitent développer ce mode de pensée d'action pour le bien de notre économie qui se trouve dans un état semi- comateux. Ces courants expliquent que dans ce système, la liberté oblige chacun à se conformer aux lois immuables de l'économie depuis la nuit des temps : on s'enrichit en maximisant la différence entre ce qu'on gagne et ce qu'on dépense, donc, simultanément, en faisant preuve de créativité et de parcimonie.

Et l'on reste riche en prenant soin de son patrimoine (donc, de ses actifs). Parce que l'économie libre fonctionne sur cette vérité de bon sens qu'elle est détestée par les partisans de l'immobilisme. Ne dites surtout pas au patron de l'UGTA et à ses convives de mouiller le maillot pour gagner leurs revenus. C'est une insulte à la vertu cardinale de l'univers : le travail.

Laisser aux individus le soin de trouver les solutions à leurs problèmes. C'est en allant vers des solutions de production diverses que les individus, hommes laissés à leur liberté créatrice, règlent progressivement leurs problèmes. Le libéralisme a ceci de prodigieux : qu'il réveille de folles aspirations à la perfection socioéconomique et donne parfois l'impression que tout est permis. Le socialisme naïf raisonne toujours sur les valeurs de l'abondance, c'est-à-dire comme si les ressources économiques ne s'épuiseraient jamais. Tiens comme le pétrole, chez nous.

Trêve de plaisanteries et de galéjades, et laissons les Algériens s'avouer que les mensonges ont trop duré (depuis 1962 quand même !!), que les mensonges n'ont jamais mené une nation vers le bonheur et le bien-être.

Désormais, place à la compétence de chacun et à la sueur de son travail car le monde d'aujourd'hui ne s'accommode pas des privilégiés du secteur public que vous semblez occulter dans vos discours. Le monde fonctionne sur les valeurs de l'intérêt réciproque, de l'intelligence et du partage des valeurs de vérité, de travail, d'efficacité.

Savez-vous Madame qu'actuellement, le seul rapport existant entre l'Etat et la société est un rapport clientéliste, or le rôle de l'Etat est de protéger les biens et les personnes en contrepartie d'une fiscalité définie par la loi, ce qui est loin d'être le cas.

Aujourd'hui, votre discours, Mme Louisa Hanoune, tend beaucoup plus vers le renforcement de ce rapport clientéliste et, par ricochet, à l'étouffement de la société par l'Etat et non pas à la libération de ces deux entités à savoir l'Etat et la société.

Il est donc urgent de redéfinir le rôle de l'Etat dans le sens à lui permettre une autonomisation de la sphère sociale et économique plus particulièrement, car nul progrès n'est possible sans la liberté d'agir, de s'exprimer et d'entreprendre.

Avec mes sincères salutations de militant.



Télécharger le journal