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L'Occident, le «dindon de la farce monétaire» ? L'explication par analogie avec la biologie humaine

par Medjdoub Hamed *



Suite et fin

Il est bon de citer un économiste français, de surcroît un médecin, François Quesnay, qui a essayé, en son temps, de connaître les phénomènes économiques et monétaires. Penseur du roi Louis XV, il est cité comme l'un des fondateurs de la première école en économie, « l'école des Physiocrates ». Il est l'auteur du « Tableau économique » (1758).

Cet auteur a vu, il y a plus de 250 ans, les analogies entre la circulation des flux financiers dans l'économie et la circulation du flux sanguin dans le corps humain. Bien que l'approche développée, dans cet article, ne doive rien à François Quesnay, si ce n'est la curiosité que j'ai eue de voir sur la toile si quelque auteur a pu remarquer quelque similitude entre la circulation sanguine dans le corps humain et la circulation monétaire en économie, il demeure, néanmoins, utile de souligner que la physiocratie est une doctrine intéressante, à plus d'un titre, puisqu'elle met en avant l'évolution d'un ordre naturel des choses en économie. Ce qui est très important pour la compréhension des phénomènes.

Tout ce qui est et doit être ne peut qu'arriver parce qu'il est nécessaire pour la viabilité du système. Si une pomme tombe, c'est qu'elle doit tomber parce qu'il y a une force qui l'attire vers le bas. Qu'on l'appelle force de pesanteur ou autre ne change rien à sa place dans le « métabolisme naturel du monde ». Tout est en transformation en fonction du temps. De la même façon, l'économie mondiale n'est pas statique et change avec ses changements forcés, en son sein. Sauf qu'il faut comprendre ces changements dans leurs sources, et bien entendu, à leur échelle humaine.

François Quesnay a raisonné à partir de la situation de production de son époque. Des producteurs qui étaient, essentiellement, des agriculteurs, des propriétaires terriens qui ne produisaient pas de biens mais avaient une part du revenu et une classe sociale intermédiaire qu'il a qualifiée de stérile, capable, uniquement, de transformer les biens sans les multiplier. Les classes productives et stériles définies par Quesnay sont assimilées, aujourd'hui, aux secteurs primaire et secondaire d'une économie, c'est-à-dire l'Agriculture et l'Industrie. Le secteur tertiaire était très faible à l'époque. Donc cet économiste a opéré de grandes avancées dans la compréhension de l'économie-monde.

L'OCCIDENT, LE «DINDON DE LA FARCE MONETAIRE ?»

Il est évident que l'économie mondiale qu'on assimile à un grand corps, à l'instar d'un corps humain, n'est évidemment pas un corps humain même si elle est constituée d'acteurs humains. Cependant son organisation reflète, dans un certain sens, la biologie humaine non comme le corps humain mais de ce qui ressort globalement des actions de la biologie humaine puisqu'elle est l'émanation d'une volonté biologiquement humaine. En d'autres termes, l'économie mondiale qui reflète bien l'humain est organisée selon un processus qui est non seulement régi, historiquement, par l'évolution de l'humanité mais produit, aussi, un dépassement dans le sens qu'il produit un devenir. « L'économie mondiale doit, donc, être appréhendée comme un processus historique supra-humain en devenir. »

Ce qui explique les difficultés de compréhension de la crise financière de 2008 et ses conséquences sur le plan mondial. L'économiste n'arrive pas à situer cette économie mondiale en devenir. Aussi doit-on poser la question. « Ce marasme mondial, depuis 2008, revient-il à une mauvaise régulation macroéconomique ? Où revient-il aux acteurs qui sont parties prenantes, dans ce grand corps qu'est l'économie mondiale. » On sait que les acteurs, non seulement, interagissent commercialement entre eux mais sont, aussi, complémentaires. Si un acteur, surtout les grands acteurs, est déficient, forcément il déteint, négativement, sur les autres. Posons la question. Qui sont les principaux acteurs dans ce grand corps vivant qu'est l'économie mondiale ? En premier, prenons ceux qui fournissent les matières premières et l'énergie. La plupart de ces pays sont des pays en développement, ils exportent des matières premières et du pétrole nécessaires à l'industrie des pays développés.

Ces pays peuvent-ils provoquer des dysfonctionnements économiques à l'échelle mondiale ? Improbable ! On peut même dire impossible ! Ils comptent peu dans la décision mondiale d'autant plus que les prix des matières de base, du pétrole et gaz et leurs dérivés, leur sont imposés par les cours qui sont établis dans les grandes Bourses de commerce, implantées, principalement, aux États-Unis et au Royaume-Uni (Chicago, New York et Londres). Leurs économies dépendent des fluctuations des prix des matières premières et du pétrole. Ils sont donc vulnérables lorsque les prix baissent. Comme, aujourd'hui, l'OPEP et, à leur tête, les pays monarchiques arabes du Golfe, n'arrivent pas à influer pour faire remonter le cours du pétrole qui a chuté de moitié. Donc « cet acteur est à écarter puisqu'il subit la politique des grandes puissances ».

Si ce ne sont pas les pays exportateurs de pétrole et de matières premières, les responsables des dysfonctionnements financiers et économiques reviennent, forcément, aux autres acteurs. Qui alors des pays développés ? L'Occident ou les pays émergents (ces derniers ont pratiquement procédé à leur rattrapage technologique) ? Ou les deux ?

Les pays occidentaux, dès lors qu'ils sont détenteurs des monnaies internationales et de réserves, dominent le monde sur le plan monétaire. On peut penser que ce sont les manipulations monétaires de leurs Banques centrales occidentales qui sont responsables de ce marasme économique mondial. Mais le problème est que l'Occident connaît, justement, de graves difficultés sur le plan économique et financier. Il perd en compétitivité face aux pays émergents, en particulier la Chine. Les manipulations monétaires ne lui profitent guère puisqu'elles ne font que produire, périodiquement, des bulles et son endettement ne fait qu'augmenter. La plupart des pays occidentaux ont des ratios de dette publique proches de 100% du PIB et pour certains pays, le dépassent largement.

D'autre part, combien même la crise immobilière est partie des États-Unis et s'est muée en crise financière, en 2008, elle a atteint, certes, l'Europe et le reste du monde. Mais qui a beaucoup souffert de la crise ? « C'est surtout l'Occident qui en a souffert, et il continue d'en souffrir ». Qui a utilisé les remèdes pour sauver le système monétaire international de la plus grave crise depuis 1929 ? « C'est l'Occident ».

En utilisant des politiques monétaires extrêmes (non conventionnelles) pour sauver son système bancaire, et donc son économie, « il a sauvé, par ricochet, l'économie mondiale. Par les injections massives de liquidités et combien même ces injections ont été opérées ex nihilo (planche à billets), il demeure que « les États-Unis et l'Europe ont injecté du sang monétaire neuf » pour sauver leurs économies et, dans le sillage, l'économie des pays du reste du monde.

D'autre part, rappelons que ces injections monétaires américaines ex nihilo étaient adossées aux contreparties physiques qui se traduisaient par une hausse des prix de pétrole et des matières premières que nous avons explicitées, dans une analyse précédente (3) et pondérée par la duplication monétaire par l'Europe et le Japon, ce qui maintenait les fluctuations du dollar, de l'euro, de la livre sterling et du yen dans des fourchettes tolérables. Ce qui explique, aussi, la faible inflation en Occident.

Ceci étant, force est de constater que l'Occident, qui détient les monnaies mondiales, n'a pas pour autant gagné dans cette économie mondialisée. On peut même dire, de manière populaire, malgré toute sa puissance économique, qu'il est, en quelque sorte, le « dindon de la farce monétaire ». On déduit donc que ni l'Occident ni les pays exportateurs de pétrole ne sont responsables des dysfonctionnements économiques et financiers dans le monde.

LE «SANG MONETAIRE MONDIAL» EST REEXPEDIE A L'OCCIDENT POUR FINANCER SES DEFICITS EXTERIEURS

Et dans ce déversement de liquidités de 2008 à 2014, tous les pays du monde ont gagné. L'Occident, combien même victime de sa puissance monétaire, a néanmoins sauvé son économie, en limitant la casse. Les pays européens qui ont été, fortement, touchés relèvent de la fragilité de la nature même de leurs économies. Les pays émergents et exportateurs de matières premières et de pétrole ont tiré leur épingle du jeu monétaire occidental, en enregistrant des excédents commerciaux substantiels qui, de surcroît, ont fait augmenter leurs réserves de changes, malgré la crise mondiale.

Ce qu'on peut relever dans ce processus, « c'est la consommation occidentale via ces injections massives de sang monétaire neuf qui a dopé les exportations de matières premières, de pétrole et de produits manufacturés des pays hors-Occident ». La consommation occidentale et par ricochet son endettement ont été le fer de lance de la croissance mondiale.

Les pays qui ont profité de cette manne financière et accumulé des réserves de change sont en premier la Chine qui compte aujourd'hui plus de 4 trillions, le Japon plus de 1100 milliards de dollars, l'Arabie saoudite 600 milliards de dollars. Les chiffres qui sont donnés sont approchés.

Viennent ensuite Taiwan avec environ 400 milliards de dollars, la Russie 350 milliards de dollars. L'Inde, le Brésil et la Corée du Sud autour de 300 milliards de dollars. Hong Kong et Singapour autour de 250 milliards. L'Allemagne ne vient qu'après ces pays avec 220 milliards de dollars. L'Algérie avec environ 200 milliards de dollars et, en mars 2015, ses réserves ont fortement baissé avec la chute du prix du baril de pétrole. Elles se situent autour de 170 milliards de dollars.

Ces chiffres montrent qu'à part l'Arabie saoudite et l'Algérie, « toutes les réserves de sang monétaire sont stockées en Asie ». Nous avons donc un processus de création monétaire qui s'opère en Occident mais le produit de la création monétaire s'oriente vers les pays hors-Occident. Evidemment, « par stockage on doit comprendre qui en a la propriété et à quel usage le destinent-ils ceux qui les détiennent ». En d'autres termes, ce qu'ils en font de ces liquidités qui n'appartiennent plus à l'Occident.

Et justement, c'est là que le bât blesse, ceux qui les détiennent, c'est-à-dire la Chine, le Japon, la Russie, les pays asiatiques, sud-américains et arabes exportateurs de pétrole réexpédient ce « sang monétaire » sous formes de bons de Trésor américain, européens? pour irriguer l'économie occidentale, c'est-à-dire lui permettre de financer les déficits de sa balance courante avec ces pays. Autrement dit de consommer. Ironie de l'Histoire ?

* Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective



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