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Immigration : Questions sans réponses

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

«Vous pouvez arracher l'homme du pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du cœur de l'homme» (Pablo Neruda).

Deux visages de l'immigration algérienne dans la capitale de l'Union européenne, Bruxelles: l'un porte l'Algérie sur sa face comme un énorme étonnement et l'autre, placide, n'exprime rien. Mercredi 5 novembre, l'ambassade algérienne, à Bruxelles, reçoit, à l'occasion de l'anniversaire du 1er Novembre, le corps diplomatique du reste du monde, au prestigieux hôtel «Conrad». Il y a, aussi, beaucoup d'autres invités algériens chercheurs universitaires, journalistes de chez nous et d'ailleurs, animateurs associatifs et personnes dites de «la société civile». Le tableau est coloré : costumes de rigueur pour les hommes, kaftans pour quelques Algériennes, décolletés pour d'autres, tenues militaires pour les nôtres et d'autres pays amis ou pas et sur le mur, au fond de la salle de réception des images accompagnées d'un commentaire vantant de hauts lieux touristiques du pays, défilent, repassent. Personne ne fait attention. Tout le monde ripaille. Soudain, au coin d'une table sur pied se retrouvent Abderrahmane, Hamid, Kouider, Amine, Khaled. Ils sont chercheurs et professeurs universitaires de haut niveau, inventeurs technologiques, économistes réputés?L'un d'eux est l'un des principaux responsables de la sécurité des centrales nucléaires de Belgique. Un autre dispose de brevets techniques convoités par les capitales européennes et américaines et d'autres parlent du monde dans cent ans. L'Algérie ? Ils en parlent comme d'une grande frustration, un immense besoin de tendresse. Ils vont tous en Algérie, en vacanciers mais aussi en invités d'universités, de ministères et administrations diverses. Ils s'y rendent fébriles, heureux et enthousiastes. Ils repartent avec des promesses et des rêves de grands projets. Puis, plus rien et cela dure. Ils ne croient pas à une comédie de leurs hôtes algériens du bled. Ils pensent qu'ils sont sincères et veulent arrimer l'Algérie sur les standards de la modernité, de la connaissance et du bonheur de la liberté. Et ils interrogent et répètent à satiété : pourquoi cette immobilité qui fixe le temps, toujours, vers l'arrière, vieillissant du coup nos projets d'avenir ? Ils s'étonnent et les rides frontales se creusent, plus profondément, sur leurs visages. Et que disent-ils en ce soir de fête ? Ils poussent leurs recherches et leurs projets plus loin, attendent patiemment le rendez-vous avec l'Algérie qui leur dira combien ils lui ont manqués, eux aussi. Même dans 100 ans d'étonnement de plus. Le lendemain, jeudi soir, au coin d'un bar à Bruxelles, Omar, Lahbib, Zoubir, Nordine et d'autres veilleurs de nuits commentent les échos de la soirée «diplomatique». Première salve : pourquoi tous les autres Algériens ne sont-ils pas invités à la soirée diplomatique ? Au fond, ils savent très bien que la question est incongrue et délirante, mais c'est la façon, à eux, de dénoncer ce qu'ils pensent être une disgrâce, un reniement que leur manifeste l'Algérie. Ils lui rendent la pareille en lui posant une question qu'ils savent ne pas avoir de réponse. Ils haussent les épaules et détournent le regard dès que l'un ou l'autre dit une jolie chose sur l'Algérie. Ils tendent l'oreille à la moindre mauvaise nouvelle qui parvient du pays et, tout de suite, l'alimentent avec plein d'autres anecdotes et rappels de mille et une tares du passé, à vous décourager un gladiateur face à un chat domestique. La mode, aujourd'hui, est l'histoire du « S12» qui fait découvrir à beaucoup d'Algériens ce de quoi est capable la bureaucratie : changer de genre aux uns, vieillissant d'autres, déracinant d'autres, encore, et même tuant d'autres bien vivants devant le préposé administratif. Lakhdar, un collègue journaliste jure que sa fille est devenue un garçon et qu'il lui a fallu affronter un parcours du combattant pour rendre sa fille, fille aux yeux de l'Administration. Amers, en colère, rendent-ils visite au pays ? Chaque année et parfois plusieurs fois par an. Eux, aussi, cherchent, désespérément, la mère patrie à laquelle ils lui crient leur amour, avec autant de colère. Leurs visages immobiles à l'évocation du pays cachent une amertume de façade. Au fond, eux aussi, attendent depuis des lustres que l'Algérie les fasse rêver. Pour l'heure les deux visages de l'Algérie d'ailleurs se croisent, interrogent et s'interrogent, parfois, et repartent, tous deux, sans réponse.