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Quand le présent n'est pas à la hauteur du passé !

par Ahmed Farrah

Le malheur d'une certaine frange d'Algériens, c'est d'avoir des repères, que d'autres et plus particulièrement les jeunes d'aujourd'hui n'en ont pas. Rien n'est immuable, peu à peu, les traditions disparaissent et se font remplacer par d'autres. À chaque génération son époque et ses hommes, qui ajoutent au substrat d'autres sédiments qui font la richesse et la fierté d'un peuple.

Mais peut-on parler en Algérie d'aujourd'hui, de fierté alors que la régression est partout visible à rendre myope, urticante au touché, répugnante à l'odorat et déplaisante à l'oreille. Sous d'autres cieux cela peut paraitre assimilé à un conflit de générations, mais si seulement les ainés sont distancés et ne peuvent plus suivre le progrès. Quel progrès ? Plutôt le déclin, la déchéance dévastatrice et létale!

A voir ce qui s'échange sur les réseaux sociaux, l'Algérien semble être figé à un passé révolu, mais idéalisé. Pour lui, le temps biologique comme le chronologique, se sont arrêtés aux années glorieuses, celles de l'optimisme, de l'espoir et des certitudes. Le temps de Blek le rock, de Kiwi, de Zembla?de Pascal, de Voltaire, de Corneille, de Racine, de Kant? des misérables, de Germinal?

Le temps des bibliothèques scolaires et municipales, des librairies et des grandes éditions, des bouquinistes et des Kiosques dans les villes et les villages : tout simplement le temps de la lecture et de la culture plurielle, sans complexe et sans réticence. Le temps où le maitre d'école en blouse grise, était le notable et le modèle à suivre, au bout de l'instruction qu'il dispensait, la réussite sociale était certaine.

Le temps des trois séances quotidiennes de cinéma, des ciné-clubs, des affiches de films dans les artères principales des villes et villages, des veillées familiales autours d'une pièce radiophonique (TSF), d'émissions d'information ou de divertissement. Le temps du théâtre et des fêtes foraines, des diseurs de bonne aventure et des magiciens de rues et des Souks. Le temps des arracheurs de dents, des ''coupeurs'' de sang, des tatoueurs, des barbiers et coiffeurs en plein air, à la lame de rasoir et à la tondeuse mécanique.

Le temps où la bureaucratie et les passe-droits n'avaient pas de sens, la flamme de l'état embryonnaire forçait le respect de tous, ses représentants respectueux, élégants, propres, la chemise immaculée et la cravate de mise. Le temps où les agents de la force publique n'étaient pas chétifs, nains, frêles et binoclards, les postiers, les agents de (l'EGA) la Sonelgaz, les banquiers, les chauffeurs et contrôleurs de cars et de bus, les taxieurs en tenues parfaites et réglementaires. Le temps de l'obligation de sortir les poubelles à la tombée de la nuit et les faire rentrer avant le passage de l'arroseuse communale qui nettoyait les rues dès la levée du jour.

Le temps de la mercuriale qui affichait les prix officiels des fruits, légumes, viandes et poisson vendus dans les marchés couverts et poissonneries, les denrées bien achalandées, les lieux nets, propres et astiqués.

Le temps du lait de vache juste sorti du pie et encore chaud dans les bidons, de la galette de pain maison sortie avant midi du four à bois du boulanger, du café torréfié au feu de bois. Le temps du marchand ambulant de Mona et de beignets chauds arpentant au petit matin, les rues et venelles, des pommes d'amour toutes rouges et succulentes, du bonbon enroulé sur le mat et coupé au couteau de peintre. Le temps des petits moulins de quartiers qui sentaient le blé. Le temps des pompes d'huile alimentaire et de pétrole domestique. Le temps du charbonnier, du vendeur d'eau (Guerrab) à l'outre ointe à l'huile de cade, du troc des vieux vêtements contre de la vaisselle. Le temps des acheteurs de bouteilles vides de verres, de vieux journaux, de peaux de moutons, de vieux meubles et de bijoux. Le temps des cireurs de chaussures et de vendeurs de journaux à la criée. Le temps des marchands ambulants de tapis et de pacotilles. Le temps des réparateurs de tamis, des bassines en bois de couscous, de plateaux de cuivre, de théière et de tables basses. Le temps du cardage de laine, des teinturiers, des métiers à tisser, du crin et de la laine battue dans les matelas. Le temps des laveuses et repasseuses de linge au fer, chauffé au réchaud à pétrole. Le temps des laveuses de blé et rouleuses de couscous. Le temps du transport en calèches à ânes. Le temps où on ne connaissait pas les embouteillages et deux couples de policiers distraits devant des feux tricolores. Le temps des moissons du blé à la faucille, des lentilles, des pois-chiches et du riz algérien. Le temps de la cueillette et des vendanges. Le temps des poules et des œufs de campagne. Le temps où l'on mangeait bio et algérien.

Le temps du patriarche écouté, de la pudeur, du respect et du baise mains des vieilles personnes et des pieux. Le temps où l'on n'importunait pas les femmes dans les bus et où l'on ne dévisageait pas les jeunes filles dans la rue. Le temps où fumer une cigarette en présence des ainés était impensable. Le temps où les portes des maisons ne se fermaient jamais à clé et les fenêtres n'étaient pas barricadées. Le temps des vertus, de l'honnêteté et des petits voleurs bannis de leur communauté.

Le temps des solidarités sincères entre voisins, qui partageaient le peu de chose qu'ils avaient. Le temps des démunis dignes, de l'exiguïté, de la promiscuité et des cœurs gros et ouverts. Le temps des frères et sœurs de lait, des amitiés désintéressées et des secrets et dépôts bien gardés (Amana).

Ici il n'est nullement question de sentiments nostalgiques : ''pieds-noirdisés'' (de Kamel Daoud, grand chroniqueur au respectable ''Quotidien d'Oran''), ni de l'idéalisation de ce passé décomposé, mais simplement de rappeler que l'Algérien (jusqu'aux premières années de l'indépendance) était travailleur, laborieux, trimeur, appliqué, consciencieux et aussi pour le souligner: Bien élevé, respectueux, sociable, pacifique et civilisé, etc.?

Si on est passé de l'esprit entreprenant de l'Algérien, autosuffisant, soucieux du sens du devoir, du droit, de la morale et des valeurs sociales; à l'esprit de l'assisté, boudeur, frondeur, méconnaissant l'urbanité et le devoir: c'est parce qu'il a été élevé dans ce sens. ''On récolte ce que l'on sème''

La génération de Novembre a été courageuse et ambitieuse, libérer le pays de la colonisation et bâtir un état, mais celui du plus fort et sans partage. La lutte pour le pouvoir avait commencé très tôt. Dès le début de la guerre de libération, des clans rivaux se sont constitués, ont fini par se marginaliser et s'éliminer mutuellement et impitoyablement, non pas parce qu'ils portaient des projets de société différents et concurrents, mais parce qu'ils étaient de clans antagonistes. Une fois le colon " chassé ", le plus frais, le mieux équipé et puissant avait neutralisé les autres, sans parvenir seul, sans consensus et rassemblement, à instaurer un état de droit, de justice sociale et d'une économie performante et compétitive. Si l'on comparait les résultats obtenus avec les moyens gigantesques engagés (Ressources humaines, sol et sous-sol), pendant plus d'un demi-siècle : L'équivalent de plusieurs plans Marshall pour la reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale, le bilan de sa gestion serait trop mitigé; malgré les infrastructures réalisées, mais sans l'imagination et l'intelligence ; Que reste-t il de l'industrie industrialisante (Que de la quincaillerie qui rouille)? Qu'ont-elles apporté les réformes agraires (Lait, Blé, Farine, Riz, Mais, Graines oléagineuses, Aliments de bétail et de volaille, Haricots secs, Lentilles, Pois-chiches, Fruits secs? encore importés, et zéro exportation.)? Qu'a-t elle donné l'université à la société algérienne (Prix Nobel, Distinctions internationales, Brevets d'invention, Publications en sciences et technologie de pointe, et numérique?)?

LE GACHIS EST ABYSSAL?

En 2014, l'Algérie est l'un des pays les plus grands importateurs d'équipements, de produits agroalimentaires et pharmaceutiques, entièrement dépendant de l'énergie fossile de son sous-sol. Aujourd'hui ce sont les Chinois, les Japonais, les Turques, les Portugais, les Français, les Espagnols, les Italiens, les Cubains, les Canadiens, les Américains, etc.? qui réalisent nos logements, nos routes, notre chemin de fer, qui prospectent notre sous-sol, et soignent nos malades, etc.?

L'Algérie a inventé une génération gémellaire, une des 50 Euros "non diplômés" l'autre des 100 Euros " Diplômés", que l'on désigne aujourd'hui de tous les qualificatifs, mais est-ce sa faute si elle est arrivée là, mérite-t elle ce sort ? Ne disait-t on pas, pendant le service militaire à un moment donné, " Ne pensez à rien, laissez le système le faire pour vous ! ", véritable formatage de l'intellect algérien, rendu incapable de se prendre en charge et décider de son avenir, à l'âge de 40 ans il vit encore chez ses parents et à leur dépens. Tant que le robinet coule de liquide noir, l'illusion est là, avec un faux-semblant de peuple qui fait semblant de travailler dans un pays de faire semblant, qui lui assure un faux-semblant de revenu?en attendant les jours vraisemblablement, meilleurs.