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Risque d'in]stabilité en Algérie: intox ou réalité ?

par Abdelkader Abderrahmane

« Les idées générales trompent toujours les paresseux, ceux qui veulent comprendre trop vite.» Erik Orsenna

Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika vient d'être élu pour la quatrième fois et vient donc d'entamer son nouveau mandat. Malgré quelques incidents ici et là durant la campagne, il faut cependant se féliciter qu'il n'y ait pas eu de violence significative lors du scrutin du 17 avril.

Lors de cette campagne, les partisans du président algérien avaient souvent mis en avant la question de la stabilité et le spectre du chaos qui guetterait l'Algérie et sa population. L'argument de l'instabilité fût ?et demeure- raillé par beaucoup, de l'algérien lambda aux observateurs et analystes de l'Algérie de tous bords. Qu'en est-il vraiment ? Et qu'entend-on par ?instabilité' ?

Le but de cette tribune est de dresser un tableau politico-géographique concis de l'Algérie, soulignant certains points géostratégiques - et donc vitaux- concernant le pays sur la scène régionale, africaine voire mondiale.

ENJEUX GEOSTRATEGIQUES

L'Algérie est un producteur majeur d'hydrocarbures, possédant en 2012 les dixièmes réserves au sein de l'OPEP. Via trois gazoducs que sont Enrico Mattei ou le GME, reliant l'Algérie à l'Italie via la Tunisie, Pedro Duran Farell (GME), la reliant à l'Espagne via le Maroc, et Medgaz qui fait transiter du gaz directement de Beni Saf vers Almeria, sur la côte espagnole, le pays est un exportateur majeur de gaz vers l'Europe. Avec 90 % de ses ventes destinées à la France, la Turquie, l'Italie et l'Espagne, l'Algérie est en outre le premier fournisseur de l'Union européenne en GNL. En outre, selon certaines études, l'Algérie posséderait les troisièmes plus grandes réserves de gaz de schiste au monde, estimées à 19 800 milliards de m3, juste derrière celles de la Chine et de l'Argentine. Ces atouts énergétiques combinés à sa proximité avec l'Europe fait donc de l'Algérie un acteur économique majeur et incontournable des européens, mais aussi des Etats-Unis.

Avec une superficie de 2 381 741 km2, l'Algérie est aussi le plus grand pays d'Afrique. Il partage ses frontières terrestres avec pas moins de six états (Maroc, Tunisie, Libye, Niger, Mauritanie et Mali) ainsi qu'avec le territoire occupé du Sahara occidental.

Le sud du pays est aussi le lien géographique naturel de l'Afrique sub-saharienne. A ce sujet, il est important de rappeler ici que le général Bugeaud estimait que le Sahara était un point névralgique et stratégique majeur pour la sécurité de l'Algérie.

Au sud de l'Algérie, le volcan sahélien, qui s'étend de l'Océan Atlantique aux côtes somaliennes et la Mer Rouge est un vaste désert qui à travers l'histoire et les époques a été le théâtre de différentes luttes et rivalités, de multiples flux religieux, démographique, militaires et financiers. De tout temps, cet océan sahélien a été un espace géographique fascinant pour beaucoup ainsi que d'une importance immensément stratégique pour les états. Ces rivalités ont résulté en une insécurité générale et confrontations géopolitiques et stratégiques entre différents protagonistes externes. Ce même carrefour géostratégique avait convaincu le missionnaire chrétien Charles de Foucauld a élaboré un plan proposant à son gouvernement la réorganisation militaire et administrative de la région sahélienne afin de préserver les intérêts de l'empire colonial français.

En outre, plusieurs des états du Sahel ont non seulement été colonisés par la France mais leur politique est encore beaucoup influencée par le Quai D'Orsay. Aussi, le Sahel est sans nul doute aujourd'hui la plaque tournante de l'Afrique francophone mais surtout et avant tout, un espace géostratégique et lieu d'enjeux politiques et économiques dont les frontières demeurent extrêmement poreuses.

Depuis l'intervention de l'OTAN en Libye et la ?balkanisation' du pays, ainsi que la crise au Mali, le Sahel est en outre incontestablement devenu l'un des points chauds de la politique internationale en Afrique. Cette vaste région désertique, culturellement complexe et historiquement riche, est progressivement passée de celle d'une région menacée et en proie à des problèmes environnementaux et socioéconomiques, à celle d'une « région-menaçante», instable où le terrorisme et le crime organisé se rencontrent.

Il n'est nul surprenant donc que devant la situation explosive actuelle du Sahel, Paris revoit avec plusieurs présidents africains de la région, de Djibouti au Sénégal, son repositionnement militaire sur le continent africain afin de pouvoir intervenir militairement et rapidement. Au nord du Tchad, à 350 kilomètres de la frontière libyenne, l'armée française réorganise son dispositif sécuritaire, ce qui lui permettra d'intervenir dans le Sahel dans son ensemble. Paris revoit en outre son renforcement militaire avec le Niger (deuxième producteur d'uranium mondial où le géant français AREVA y détient le quasi monopole d'uranium) et vient tout récemment de renégocier l'extension de sa base militaire (Niau Sahel) de Niamey. Plus généralement, les troupes françaises sont également présentes au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Gabon et à Djibouti.

Last but not least, et comme l'atteste les activités politico-économique du roi Mohamed VI dans la région, le Maroc -allié par excellence de la France, qui le cas échéant fournit au Maroc l'aide matérielle, financière et/ou politique nécessaire- tente vainement de s'impliquer dans les affaires du Sahel afin de contrecarrer le rôle de leadership de l'Algérie, non seulement dans la région mais aussi en Afrique, à travers l'Union Africaine, de laquelle le Maroc s'est auto-exclu en 1984 à la suite de l'adhésion de la RASD.

Ce faisant, le Sahel, mais aussi la majorité du continent africain dans son ensemble, se [re]trouve lentement sous le contrôle des « grandes démocraties » occidentales présentes sous le couvert d'un casque colonial peint aux couleurs de la paix.

C'est dans ce contexte régional explosif que les dirigeants algériens poursuivent sans relâche la politique étrangère du pays avec comme but ultime, la préservation des intérêts, de la sécurité ainsi que de l'unité de l'Algérie. Par ailleurs, et comme l'indique le récent démantèlement d'un réseau international de terroristes dans la wilaya d'Ouargla, la mort d'onze militaires tués lors d'un attentat perpétré à Iboudrarène dans la wilaya de Tizi Ouzou, ainsi que la sinistre prise d'otages sur le site gazier d'In Amenas en janvier 2013, l'Algérie demeure la cible des terroristes qui rêvent encore sans doute d'établir leur Khalifat en Afrique du nord à partir d'Alger.

ALERTES

Aussi, est-il primordial dans le contexte régional actuel de tenir compte du nouvel ordre mondial qui se [re]dessine en Afrique et au Moyen-Orient. Si la situation socio-politico-économique de l'Algérie pourrait sembler sombre et préoccupante pour l'avenir du pays et des algériens, il n'en demeure pas moins que la menace extérieure mainte fois soulevée existe bel et bien. Le grand historien Jacques Berque avait un jour écrit que les occidentaux ne laisseront jamais deux pays arabes épouser la modernité, mais surtout demeurer libres et indépendants dans leurs choix et visions du monde: l'Irak et l'Algérie. Sans doute Jacques Berque aurait-il dû rajouter la Syrie dans son analyse. L'ancienne Mésopotamie est aujourd'hui à genoux et la Syrie est à feu et à sang. Après avoir chèrement payé le prix de son Independence ainsi qu'un lourd tribut face à la barbarie du terrorisme, et sans une vigilance accrue des algériens, leur pays pourrait bien être le suivant et dernier de la liste. Ainsi, la prophétie de Berque sera devenue réalité. Et le Grand Moyen-Orient pensé et dessiné du côté de Washington et revu sous sa forme africaine à Paris, pourra prendre toute sa forme.

Comme l'avait dit un jour l'ancien Secrétaire d'état américain, Henry Kissinger ?qui avait aussi qualifié dans le passé l'Algérie de redoutable animateur empêcheur de tourner en rond-, ?les relations internationales sont avant tout, une question d'intérêts nationaux'. Ce qui signifie aussi qu'il n'y a point de place pour les sentiments ou la compassion dans ces joutes internationales hautement stratégiques.

L'hebdomadaire français Le Point ainsi que le mensuel Le Monde Diplomatique on récemment souligné que depuis l'arrivée de Bouteflika, de nombreux projets ont été entamés et achevés. Il suffit de traverser le pays d'est en ouest pour s'apercevoir que l'Algérie est un énorme chantier ?pas nécessairement esthétique d'un point de vue urbanistique- à ciel ouvert. Cela, le peuple algérien ne devrait le réfuter. Il n'en demeure pas moins que cinquante ans après l'Indépendance de l'Algérie, beaucoup reste à faire dans de nombreux domaines tels que la santé, l'éducation, l'économie et la bonne gouvernance, pour ne citer que ces exemples. Cela aussi, les dirigeants du pays ne peuvent l'ignorer, voire balayer d'un revers de la main les revendications et griefs légitimes des algériens et algériennes. Mais il est tout aussi indéniable que seule la stabilité pourra mettre l'Algérie dans des conditions propices afin de poursuivre son développement politico-économique que les algériens réclament de plus en plus et à juste titre.

Dans une démocratie naissante ou confirmée, les voix discordantes se feront toujours entendre. Ceci est un signe de maturité politique. Et nul ne peut et n'a le droit de contester voire de tenter d'étouffer ces discordances. La stabilité de l'Etat-Nation ainsi que ses fondements, ne peuvent cependant pas être sacrifié sur l'autel d'une hypothétique mode analytico-journalistique. La mode est éphémère et interchangeable. Un état-nation se construit dans la continuité, avec une vision de long, voire de très long terme.

Aussi, la rupture réelle ou supposée entre le peuple algérien et ses dirigeants ne doit pas nuire aux intérêts premiers de l'Algérie. Car l'Algérie a plus que jamais besoin de toutes les forces vives qu'elle recèle pour non seulement son développement, mais aussi afin de préserver sa sécurité et son unité.



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