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En Egypte, le fossé se creuse entre «Frères» et les «laïcs» : Un gouvernement sans islamistes et avec Sissi comme «patron»

par Salem Ferdi

En Egypte, les Frères musulmans et leurs alliés continuent d'occuper la rue pour contester le coup de force de l'armée contre le président Morsi. Un nouveau gouvernement, sans participation islamiste a été annoncé mardi soir par le Premier ministre Hazem Beblawi, suivi d'un premier Conseil des ministres en soirée. Des milliers de partisans du président Morsi ont organisé, hier après-midi, une marche sur le boulevard Qasr Al Aïni, devant le siège des syndicats des médecins, en direction du siège du gouvernement. Ils protestaient contre la formation d'un gouvernement qui fait la part belle aux «laïcs» et «libéraux» du FSN (Front du salut national). Les islamistes, y compris les salafistes du parti Nour, ont initialement soutenu la «feuille de route» du général Sissi avant de se retirer après le carnage devant le siège de la Garde républicaine.

L'absence de «représentation» islamiste au sein de l'exécutif en fait un gouvernement «acceptable» à l'étranger et il est salué par les hommes d'affaires égyptiens. Mais c'est un gouvernement politiquement bancal à l'intérieur. Même s'il est largement pourvu de «technocrates», c'est un gouvernement qui ne contribue pas à l'atténuation de la polarisation politique actuelle dans le pays.

LE GENERAL SISSI PRESIDENT ?

Si les islamistes sont hors du gouvernement mais dans la rue, le général Abdel Fattah Al-Sissi, dont le nom est violemment conspué dans les rassemblements des pro-Morsi, reste l'homme «fort» du pouvoir. Certains lui prêtent des ambitions présidentielles ou en tout cas d'être un faiseur de président. Outre le portefeuille de ministre de la Défense, il devient vice-Premier ministre et se trouve ainsi directement impliqué dans la gestion du pays. Le nouveau gouvernement compte également trois femmes et trois coptes. De manière devenue rituelle, le «nouveau pouvoir» a appelé l'ensemble des forces politiques à participer à ses efforts pour la «réconciliation nationale». Un appel rejeté par les Frères musulmans qui ont déclaré ne reconnaître aucune «légitimité» ou «autorité» au nouveau gouvernement. Il est vrai aussi que sous un habillage juridique qui ne fait pas illusion, le pouvoir mène une campagne de répression contre les dirigeants des Frères musulmans. Il n'est donc pas surprenant que de la place Rabea Al-Adawiya, le nouveau gouvernement «mis en place par les chars de l'armée» soit fustigé. «C'est un faux président, c'est un faux cabinet, une fausse Constitution», a déclaré Saad el-Husseini, un responsable du Parti liberté et justice. Nous refusons totalement ce gouvernement et tout ce qui découle du coup d'Etat militaire. Il n'y a de président que Mohamed Morsi, il n'y a de Constitution que celle qui a été acceptée par le peuple, et il n'y a de gouvernement que celui d'Hisham Kandil ». Après une mobilisation réussie le lundi dernier de dizaines de milliers de défenseurs du président Morsi et la «légitimité démocratique», ils devaient encore manifester mercredi soir dans le cadre d'une manifestation «millionième de la détermination».

LE CLIVAGE S'ACCENTUE

Le fossé entre les «laïcs» qui s'installent au pouvoir et les islamistes qui campent avec beaucoup de détermination dans la rue, ne fait que s'accentuer. Les militaires tentent encore de persuader le parti salafiste Nour, sous orbite saoudienne, de rejoindre l'alliance anti-FM. Il reste que celui-ci connaît des divisions et sa base critique son soutien au coup d'Etat militaire. On enregistre depuis le 3 juillet, jour de destitution, plus d'une centaine de morts. Les violences ont été au rendez-vous dans la nuit de lundi à mardi où 7 personnes ont été tuées et 260 blessées. Plus de 400 personnes ont été interpellées au cours de ces affrontements. L'Alliance de la défense de la légitimité qui regroupe autour des Frères musulmans plusieurs autres partis a mis en garde contre l'usage de la violence par le pouvoir. Elle a affirmé que son combat «pacifique» pour le rétablissement de la légalité constitutionnelle et le retour de Mohamed Morsi ne cessera pas. Au niveau extérieur, le nouveau pouvoir n'a pas apprécié le fait que la Turquie déclare officiellement que le président Morsi demeurait, à ses yeux, le seul chef de l'État égyptien légitime. Les autorités égyptiennes ont exprimé leur «fort ressentiment». Hier, la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, était au Caire pour, officiellement, plaider pour un «retour le plus rapidement possible à la transition démocratique». Outre les responsables égyptiens, elle a prévu des entretiens avec le mouvement Tamarrod ainsi qu'avec le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans, selon des sources diplomatiques.