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L'Egypte et le mythe de Sisyphe

par Bachir Ben Nadji

L'Egypte, Oum Eddounya, est, depuis quelques jours, entrée dans un cycle dangereux, elle dont les citoyens pensaient que chasser Moubarak et mettre à bas son régime allait régler tous les problèmes dont ils étaient confrontés.

Malheureusement pour le citoyen lambda, lui qui luttait au quotidien, tant du temps de Sadate, de Moubarak ou d'autres, pour un bout de

pain à mettre dans sa bouche et celle de ses enfants, les choses n'ont pas changé et ne seraient pas prêtes à changer tant que la situation qui y prévaut dure. L'Egypte, un pays pauvre, un pays riche, vivait tant bien que mal de son tourisme, de son agriculture, de son industrie, de ses petits métiers, et de tout ce qui pouvait le garder en vie.

 Et le printemps arabe arriva ! Serait-ce réellement un printemps, nul ne le sait, car il est arrivé en plein hiver et a prolongé cet hiver qui dure depuis deux ans ou plus. Les cinq ou six pays arabes touchés par ce tsunami sont entrés dans un tunnel qui n'a pas encore de fin. Vont-ils s'en sortir ? Seuls ceux qui l'ont conçu, préparé, mis en branle et encouragé qui le savent, sauf si les choses leur ont échappé pour prendre la tournure qu'ils auraient souhaitée, une guerre civile dans chaque pays arabe pour pouvoir vendre des armes, vendre tout ce qu'ils produisent, puis revenir pour imposer leur programme politique, économique, culturel et ensuite payer, reconstruire et se faire payer pour les cent ans à venir afin que les sociétés occidentales puissent relever la tête et se reconstruire, celles qui sont au jour d'aujourd'hui en crise, faisant face au chômage, à l'endettement, à la faillite quoi.

 Ainsi et en Egypte Moubarak est parti, son système avec, ses hommes ont été balayés, mais l'Egypte a pris un coup, un grand coup. Elle est devenue folle, ses politiques, sa société civile, sont devenus fous et son pauvre peuple est resté perdu ne sachant quoi faire, car son souci est tout autre, celui de vivre convenablement, celui de nourrir ses enfants, celui de ressembler au reste du monde.

Les islamistes, un vrai poison, n'ayant rien à voir avec la noble religion musulmane, longtemps traqués, «terrés» et «cachés» depuis des années, ont attendu le moment propice pour intervenir et répondre à l'ordre de leur maître, pour tout gâcher, entrant dans la fête et tout fait pour «arracher» le pouvoir en utilisant l'islam et le mensonge, la traîtrise, la mauvaise malice comme moyens de parvenir à prendre les rênes et les commandes et enfin tout chambouler dans la société égyptienne.

 Il faut savoir que leur point fort réside dans le fait de promettre et promettre, et enfin échouer et ne jamais reconnaître leur défaite. Et c'est ce qui s'est passé avec Morsi qui a promis au peuple égyptien monts et merveilles, à concrétiser aux premiers cent jours, et à la première année. Et en réalité qu'a-t-il fait ? Il a contribué à plus de ruine pour son pauvre pays, il en a fait en une année, plus que ce qu'a fait le régime de Moubarak et de Sadate en tuant la et le politique. Il n'a fait que rajouter à l'instabilité de son pays et à ses malheurs. Il n'a fait que favoriser les islamistes de son camp, écartant ceux qui le dérangent, pris des mesures antipopulaires, mis son pays dans l'embarras sur les plans national et international, et j'en passe. Morsi et les islamistes ont mis l'Egypte à genoux, et là et tout le monde le sait, ce pays compte une élite, des intellectuels, des politiciens, des juristes, des écrivains et un peuple lettré et mûr, advienne que pourra et quoi qu'on dise. Ce peuple se manipule facilement, mais quand il prend conscience de son présent et de son avenir, il est à même de prendre son destin en main, et c'est ce qui s'est passé avec le Mouvement Tamarroud et Tamarroud veut dire rébellion, rébellion contre qui et contre quoi. Tamarroud a voulu faire cesser le mensonge des islamistes, faire cesser la pièce de théâtre qui se jouait pour faire endormir le peuple sous le couvert de la religion et des «guerres de religion», musulmans contre chrétiens, musulmans sunnites contre leurs frères chiites, et j'en passe. Où voulaient arriver les islamistes qui ne voient pas plus loin que leur nez, l'économie, ils s'en foutent, le tourisme est péché (haram) pour eux, et le reste ne les concerne pas. Leur dada, c'est endormir le peuple avec des promesses qui ne verront jamais le jour. C'est ça et uniquement ça pour pouvoir arriver à leur fin, celle de faire ce qu'ils veulent du peuple et non de ce que veut et désire la majorité. Et la majorité du peuple égyptien n'est pas islamiste, mais musulmane, croyante en ce que Dieu a ordonné et non en ce que le mouvement des Frères musulmans a décidé pour lui.

 L'Egypte a une armée et son armée a une histoire. Elle a été en premier forgée du temps où l'Egypte était commandée par un roi. Elle a déposé ce roi et pris les commandes du pays avec les officiers libres que commandait Gamal Abdennacer. Cet officier a été président et a marqué son pays et son peuple qui l'adorait comme il a toujours adoré le Nil et Oum Kaltoum. Sadate, qui a remplacé Abdennacer à sa mort, en se liant aux Israéliens sous la férule des Américains, a détourné l'armée égyptienne de ses objectifs, elle est devenue le valet des USA attendant son aide comme attend le budget de l'Egypte sa part annuelle que votent les membres du Congrès US. Et cette armée, qu'elle soit positive ou négative, cette armée qui n'est d'aucun secours pour la sécurité de la région puisque la suprématie est accordée par les Américains à Tsahal d'Israël, joue le jeu de la politique. Elle a certes contribué à la chute de Moubarak, mais est restée gardienne du temple, non sans trop paraître s'ingérer dans la gestion du pays après que les islamistes eurent été choisis par les urnes. Le peuple égyptien a pensé bien faire en accordant sa voix à Mohamed Morsi qui ne s'est pas soucié de ses électeurs, mais seulement de son parti et de ses membres, délaissant le reste du pauvre peuple égyptien, car les riches égyptiens et égyptiennes savent où dépenser leur argent et où passer leurs vacances.

 Et cette fois-ci, l'armée égyptienne est entrée dans la danse en cette fin de juin 2013, et s'est encore distinguée au mois de juillet de la même année. Les islamistes de Morsi n'ont pu cette fois occuper Maydan Ettahrir, mais n'ont pas été très loin, ils se sont massés à Rabiia El Aadaouiya pour soutenir leur président, en mauvaise posture, contre le Mouvement Tamarroud.

 En quelques jours, les choses ont pris une autre tournure et des affrontements ont été enregistrés entre les deux camps, des blessés, des morts, au Caire, à Alexandrie et dans d'autres villes d'Oum Eddounya. La violence s'est installée et Morsi s'est muré dans son silence ne tenant pas compte de ce que voulait la rue, elle voulait qu'il débarrasse le plancher et lui comme disait l'autre «ce n'est pas moi qui veut de la chaise, c'est la chaise qui tient à moi». Il ne voulait pas, lui l'islamiste pur et dur, lui le leader des FM (Frères musulmans, frères entre eux, exit les autres, le reste), quitter son poste, tenant comme il le criait sur tous les toits à la légalité des urnes.

 Et ce qui devait arriver, arriva. Son ministre de la Défense le déposa, non sans l'avoir averti de trouver un terrain d'entente avec le Mouvement Tamarroud. Morsi n'en fit pas cas et il pensait que son entêtement allait pousser l'armée à faire marche, ce qu'elle ne fit point, elle était déterminée à en finir avec les Frères musulmans qui n'ont rien apporté à l'Egypte, et l'armée l'a constaté d'elle-même, patientant après une année devant une gestion catastrophique de la chose politique, économique, et j'en passe. Où allait l'Egypte, comme dirait l'autre.

 Hé bien et malheureusement l'Egypte allait droit vers le mur, et cela ce n'est pas moi qui le dit, mais les Egyptiens eux-mêmes. Ni Morsi, ni son parti, ni ses militants n'ont rien vu venir et le citoyen égyptien subissait sans souffler mot. Le citoyen égyptien subissait de graves préjudices depuis la chute de Moubarak, pas de travail, pas d'argent, pas de débouchés, rien à l'horizon, même pas une bouchée de pain, et les politiques ne s'en souciaient guère de la faillite qui pointe du doigt, menaçant l'Egypte entière en mal de gouvernance.

 Et aujourd'hui où en sommes-nous, des dizaines de morts sacrifiés sur l'autel de la politique de l'islamisme. Morsi déposé, ses ouailles ont voulu le libérer à l'aube du 8 juillet, au moment de la prière du Fadjr, de la caserne de la Garde république égyptienne. Et l'occupation de Maydan Ettahrir et de Rabiia El Aadaouiya a sonné le glas. Est-ce le début d'une autre révolution à l'égyptienne et le recommencement de ce qui a été engagé avec la chute de Moubarak, une nouvelle révolution dont l'avenir est incertain, à moins que les nouveaux maîtres de l'Egypte prennent les choses en main, redressent le politique et préparent le terrain à l'économique. Nous le souhaitons de tout cœur, les Egyptiens ont besoin de sérénité, ils ne pousseront pas la boule de Sisyphe vers le haut de la montagne pour la voir redescendre et «recommencer sa révolution». Souhaitons qu'ils réussissent cette épreuve et fassent sortir leur pays du tunnel, l'Egypte ne mérite pas cette situation.